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Du quinoa «made in Belgium», le pari osé d’un jeune entrepreneur wallon

Durant son mémoire de fin d’études, François Gilbert de Cauwer s’était fixé un objectif bien précis : analyser la possibilité d’établir une « filière quinoa » en Belgique. Les résultats qui en ont découlé, très encourageants, l’ont conduit dans une direction que très peu de jeunes empruntent une fois leurs études terminées. En effet, il n’a pas hésité à créer sa propre entreprise. Un parcours fastidieux que l’entrepreneur de 28 ans retrace avec nous.

Temps de lecture : 7 min

Attiré par l’agriculture depuis son plus jeune âge, c’est assez naturellement que François Gilbert de Cauwer s’est tourné vers des études supérieures d’agronomie. Après avoir hésité entre différents enseignements, son choix se porta sur la formation de bioingénieur dispensée par l’Université catholique de Louvain (UCL).

En 2011, arrivé au terme de ses trois premières années de bachelier, il opta pour le master en agronomie et plus particulièrement pour l’option « Formation interdisciplinaire en création d’entreprise (CPME) ». Comme son nom l’indique, celle-ci vise à former des étudiants, issus de divers horizons (droit, psychologie, ingénierie, sciences…), à la création d’entreprise et à l’entrepreneuriat au sens large.

Première rencontre avec le quinoa

Au moment de choisir le sujet de son mémoire de fin d’études, réalisé en collaboration avec trois étudiantes en psychologie, droit et management, François entend parler plus en détail du quinoa. « Je savais qu’il y avait une pénurie de quinoa sur les marchés internationaux. En parallèle, lors d’un cours, j’ai découvert que sa culture était très intéressante. En outre, il existe des variétés adaptées à de nombreuses régions du globe », explique-t-il.

L’objectif du mémoire était tout trouvé : étudier la possibilité d’établir une « filière quinoa » en Belgique, de la culture à la commercialisation. Les différentes tâches incombant à la création d’une entreprise, à ce moment-là « fictive », sont alors réparties entre les quatre étudiants. Les aspects législatifs, financiers et marketing sont pris en charge par ses partenaires tandis que François conduit les essais culturaux, au sein de la ferme expérimentale de l’UCL.

Durant près de deux ans, ils s’attellent à développer les différents volets de leur projet, nommé « Quinobel ». Et arrivent, en 2013, à une conclusion très encourageante : il est tout à fait réaliste de créer une filière quinoa en Belgique. En outre, les variétés testées et sélectionnées par l’université de Wageningen (Pays-Bas) sont parfaitement adaptées aux climat et sols belges.

Selon le jeune bioingénieur, l’option « CPME » dans laquelle s’intégrait ce travail a l’avantage de faire se rencontrer des étudiants issus de différentes filières. « Ayant tous les quatre des compétences très différentes, nous nous sommes complétés pour faire avancer le projet dans la bonne direction », se souvient-il.

Quinobel, une réalité !

Une fois son diplôme en poche, François Gilbert de Cauwer se rend au Chili pour le compte d’Abbottagra, une société agricole française cultivant du quinoa depuis 2009. De juillet à décembre 2013, il y découvre comment sont menées les recherches sur le quinoa.

À son retour, Isabelle Coupienne, Eddy Montignies et lui fondent Land, Farm & Men. Un premier partenariat est conclu avec trois agriculteurs et une dizaine d’hectares de quinoa bio sont implantés au printemps 2014, à Rhisnes. L’itinéraire technique mis en place repose alors sur l’expérience acquise durant le mémoire de François et l’expérience de terrain d’Eddy Montignies. La production est ensuite écoulée sous la marque « Graines de Curieux ».

« Être indépendant est réellement exaltant. Chaque journée de travail est différente ! »

2015 est le théâtre de nouveaux partenariats. François crée la société Gilbel et collabore avec des agriculteurs du Nord et du Sud du pays. Ceux-ci produisent du quinoa « conventionnel », vendu sous le label « Quinobel ». La marque, créée durant le mémoire, devient ainsi réalité.

Dans le même temps, le jeune entrepreneur prend la décision de quitter Land, Farm & Men. « Les deux sociétés sont en croissance, s’y consacrer pleinement devenait impossible. » C’est donc seul qu’il a abordé la saison 2016.

Des partenaires, tout le long de la filière

Au moment de créer sa société, François a entamé un long travail de prospection. Premièrement, il a dû trouver des agriculteurs prêts à se lancer dans cette culture, inhabituelle dans nos régions. « Je travaille en contacts étroits avec un groupe de cultivateurs intégrés à la filière. Je ne m’approvisionne pas sur le marché libre », explique-t-il. Il a ensuite démarché de potentiels clients, en Wallonie et à Bruxelles, dans l’objectif d’étoffer au maximum son réseau de vente. « Il ne s’agit pas uniquement de cultiver le quinoa, il faut pouvoir le commercialiser ! »

D’importants efforts ont également été déployés pour trouver les sous-traitants opérant entre la récolte et la vente. En effet, une fois le quinoa acheté aux agriculteurs en fin de saison, il convient encore de le sécher, de le trier, de le stocker, de l’emballer et de le distribuer vers les différents points de vente.

«
Pour trouver des partenaires, mon téléphone est mon meilleur allié
», explique François.
« Pour trouver des partenaires, mon téléphone est mon meilleur allié », explique François. - J.V.

Le séchage des grains est réalisé, au besoin, en Belgique, dans les 24h suivants la récolte afin de préserver la qualité du produit. Si le tri était jusqu’ici effectué en France, il devrait prochainement avoir lieu à la frontière belgo-hollandaise, côté néerlandais. En effet, aucun prestataire ne peut actuellement effectuer cette tâche en Wallonie. Le produit trié est ensuite stocké dans un dépôt agricole wallon.

Vient ensuite l’étape d’emballage pour laquelle Gilbel fait appel à une entreprise de travail adapté basée à Waremme. « L’entièreté, ou presque, du travail s’y fait à la main. Celle-ci s’adapte plus facilement à mes demandes et à mes quantités qu’une ligne industrielle d’emballage. »

Enfin, la distribution des produits dans les points de vente se fait par l’intermédiaire de centrales d’achat, de plateformes logistiques provinciales ou encore en direct.

Dans le respect de ses valeurs

À travers sa société, François Gilbert de Cauwer souhaite que certaines de ses valeurs soient respectées. « Afin que l’agriculture ne soit plus pointée négativement du doigt », précise-il. Ainsi, chaque agriculteur partenaire signe une charte de production Quinobel. Discutée et élaborée avec les cultivateurs, elle a pour objectif de permettre une production durable du quinoa, sur les plans économique, environnemental et social.

De son côté, le bioingénieur assure un rôle de « plaque tournante » des connaissances. Il enseigne la culture du quinoa aux agriculteurs, les conseille et les oriente selon les attentes des consommateurs. « Mais toujours dans l’optique qu’ils restent indépendants et maîtres de leurs parcelles. »

Dès la mi-août, le quinoa peut être récolté.
Dès la mi-août, le quinoa peut être récolté. - Gilbel

Minimiser les transports fait également partie des priorités du jeune entrepreneur, tout comme limiter la recherche de sous-traitants à la France et au Benelux. Le but : rester dans une approche la plus locale possible de la filière. « Vu la superficie de la Belgique, il est plus difficile de travailler uniquement avec des partenaires nationaux. Un Français ou un Allemand trouvera plus facilement le sous-traitant idéal sur son territoire, tant celui-ci est grand », déplore-t-il. En outre, certaines infrastructures sont manquantes en Belgique.

Travailler à l’échelle locale lui permet également de s’adapter très facilement aux demandes de ses clients, dans le respect des saisons agricoles.

Des projets pour l’avenir

Cette saison, une dizaine d’ha de quinoa conventionnel seront semés. Une surface en baisse par rapport aux années précédentes, les stocks étant encore suffisants. Néanmoins, ce sera l’occasion de cultiver, pour la première fois, une variété à grains rouges. Ainsi, au quinoa beige déjà commercialisé, viendront se greffer du quinoa rouge et du quinoa duo, rassemblant grains beiges et rouges dans la même boîte. À ceux-ci s’ajoutent, sur demande, de la farine et des flocons de quinoa. Des pâtes pourraient aussi apparaître dans la gamme, dans un futur plus ou moins proche. Les écarts de tri seraient quant à eux être valorisables en alimentation animale.

Si le jeune diplômé travaille actuellement avec des sous-traitants, il n’exclut pas d’internaliser un jour certaines tâches. « Si les résultats économiques de l’entreprise s’y prêtent, j’investirai dans le matériel et le personnel nécessaires au moment voulu », dit-il.

Enfin, Gilbel va poursuivre son développement, notamment en étudiant les possibilités d’implanter d’autres nouvelles cultures sur le sol belge. Et François de conclure : « m’adapter aux besoins des consommateurs est et sera toujours essentiel pour assurer la pérennité de mon entreprise ».

J.V.

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