Accueil Droit rural

Un bail à ferme doit-il désormais obligatoirement être écrit?

Depuis le 1er janvier 2020, l’article 3, consacré à la preuve de l’existence du bail, a été considérablement modifié. Cet article est capital parce qu’il est la base légale de la façon dont l’existence d’un bail à ferme peut être prouvée. Pourtant, force est de constater que la réforme n’a pas apporté que de la clarté à ce niveau et que diverses difficultés d’interprétations se posent désormais.

Temps de lecture : 7 min

Traditionnellement, il a toujours été considéré qu’un contrat de bail à ferme pouvait être écrit ou oral. Ecrit parce qu’il résultait d’un document écrit dont on pouvait déduire, peu importe la formulation, que le bailleur et le preneur avaient ensemble convenu de s’engager dans les liens d’un bail, soumis à la loi sur le bail à ferme. Oral parce que, à défaut de document écrit, il se déduisait des circonstances suivantes que bailleur et preneur ne pouvaient qu’avoir voulu s’engager dans un bail à ferme : (1) une occupation d’un bien rural (2) par un exploitant agricole (3) en affectant cette occupation à son activité agricole (4) moyennant paiement d’un fermage.

Possibilité d’apporter la preuve de l’existence d’un bail…

L’article 3 1º alinéas 1 et 2 anciens disaient d’ailleurs, assez clairement, me semble-t-il, que « Le bail doit être constaté par écrit. (…) À défaut de pareil écrit, celui qui exploite un bien rural pourra fournir la preuve de l’existence du bail et de ses conditions par toutes voies de droit, témoins et présomptions compris ». C’est ainsi que, à l’occasion d’un litige, le fermier qui voulait établir qu’il occupait un bien rural dans le cadre d’un bail à ferme, devait soit produire un écrit, soit prouver sa qualité de fermier, son occupation, l’affectation de son occupation à son exploitation agricole et le paiement d’un fermage. À défaut d’écrit ou de la démonstration de ces conditions, pareil litige se soldait généralement par un jugement ordonnant une expulsion de l’occupant pour occupation sans titre ni droit.

… modifiée dans la nouvelle législation

Depuis le 1er janvier 2020 (date d’entrée en vigueur de la modification de la loi sur le bail à ferme), l’article 3, consacré à la preuve de l’existence du bail, a été considérablement modifié. Cet article est en fait passé d’une petite dizaine de lignes à une grosse vingtaine de lignes. Or, cet article est capital parce qu’il est la base légale de la façon dont l’existence d’un bail à ferme peut être prouvée. Sans vouloir tirer sur l’ambulance, force est à nouveau de constater que la réforme législative n’a pas apporté que de la clarté. Diverses difficultés, qui n’existaient pas ou existaient moins auparavant, se posent désormais.

Un nouveau bail peut-il encore être oral ?

La première, essentielle, tient au fait de savoir si un bail nouveau né après le 1er janvier 2020 peut encore avoir une nature orale : autrement dit, un bail à ferme doit-il désormais et obligatoirement être écrit ? On aurait vite tendance à répondre par l’affirmative, à lire les premiers mots de l’article 3 §1er al.1er nouveau : « Tout bail tombant sous la présente section ainsi que sa modification ou sa reconduction expresse, sont établies par écrit ». Le texte apparaît a priori clair. Pour autant, lors des discussions parlementaires préalables au vote de la modification de l’article 3 ancien de la loi, il a été dit par les parlementaires wallons que « L’on ne va toutefois pas jusqu’à faire du bail à ferme un contrat solennel dont l’écrit serait une solennité ». Traduction : « Un contrat de bail à ferme peut être valablement formé, même sans écrit qui le matérialise ». Cafouillage, n’est-ce pas, entre (1) un article de loi qui n’est pas destiné qu’à des juristes et qui semble imposer l’écrit comme condition de validité du contrat de bail et (2) ce que voulaient réellement les parlementaires wallons lors de la modification de l’article 3.

À lire l’entièreté des commentaires parlementaires, il en ressort en fait que l’apparente exigence d’un écrit cache en fait une invitation, voire une suggestion, à rédiger un écrit, tout simplement et essentiellement parce qu’un écrit a le mérite d’éviter, sauf cas très particuliers, une discussion quant à l’existence ou pas du bail. C’est donc dans une optique de faciliter la preuve de l’existence du bail que l’article 3 a ainsi été modifié. L’objectif du législateur wallon paraît donc louable : qui voudrait lui reprocher de tenter d’éviter des discussions dont on pourrait se passer ? Le problème vient plutôt du fait que cet objectif est, une nouvelle fois, mal mis en œuvre à travers un texte mal rédigé ou, à tout le moins, susceptible d’interprétation, voire au pire d’incompréhension par ceux qui en sont les premiers destinataires : les bailleurs et preneurs qui ne sont pas forcément juristes.

Ce qui peut être dit, par contre, c’est que le régime qui prévalait avant le 1er janvier 2020, soit l’existence de baux écrits et de baux oraux, vaut encore après le 1er janvier 2020 tant et si bien que, même en l’absence d’un écrit, un occupant sera autorisé à prouver l’existence du bail par toutes voies de droit (dit-on en droit) et, ainsi, se prévaloir d’un bail oral. Ceci est tellement vrai que la loi contient désormais un article 3 §1er al.3 qui autorise tout occupant estimant disposer d’un bail oral né après le 1er janvier 2020 de le prouver par toutes voies de droit (dit-on en droit), c’est-à-dire par tout mode de preuve, et, si le Juge estime qu’il est effectivement prouvé, de contraindre le bailleur à le transformer en bail écrit via « l’action en rédaction forcée d’un bail écrit ».

Quelles mentions doivent figurer sur le bail écrit ?

La seconde difficulté, qui se résout facilement du côté des juristes mais qui aurait pu être évitée, concerne les mentions (c’est-à-dire) les informations qui, désormais, doivent figurer dans les baux écrits nouveaux. Avant le 1er janvier 2020, la loi n’apportait pas, ou peu, d’indications sur ce que devait contenir un bail écrit. Il n’est pas excessif de dire que la loi nouvelle ne voit pas les choses de la même manière : elle impose une bonne vingtaine de mentions à contenir par tout bail écrit. Une bonne partie de ces mentions va de soi : l’identité et adresse du propriétaire, celles du locataire, la désignation des parcelles, la durée du bail, etc etc. Mais à vouloir trop bien faire, on finit souvent par mal faire. Et de fait, outre les mentions classiques, la loi impose désormais une série de mentions qui apparaissent moins indispensables, telles que le numéro de registre national ou le numéro BCE des parties au contrat, le numéro de producteur du preneur ou encore, pour chaque parcelle, les noms de rue ou de lieu-dit, le revenu cadastral non-indexé, la région agricole dans laquelle se trouve chaque parcelle… Un peu compliqué tout ça, n’est-ce pas ? À nouveau, on ne peut que louer la volonté du législateur, anticiper les difficultés pour les éviter. Ceci étant, il est permis de se demander si TOUTES ces mentions « moins évidentes », qu’il est possible de connaître à défaut d’être contenues dans le bail, sont vraiment nécessaires et, surtout, ce qu’il se passera si un bail écrit est signé entre bailleur et preneur alors que l’une ou l’autre des mentions prévues par la loi fait défaut.

Sans sanction, pas de caractère obligatoire !

En droit, une règle sans sanction est une règle dépourvue de son caractère obligatoire. Si le Code de la Route ne disait pas à quoi sera puni un conducteur flashé au-delà de 120 km/h sur l’autoroute, la limitation de vitesse à 120km/h ne serait pas obligatoire puisque toute infraction à cette limitation ne saurait être punie. Pour en revenir à « nos moutons », il sera observé que les mentions imposées par la loi lors de la rédaction d’un bail écrit ne sont prescrites d’aucune sanction, c’est-à-dire, plus clairement, qu’il ne se passera strictement RIEN si le bail écrit ne renseigne pas TOUTES les informations dont la loi dit qu’elles doivent être renseignées. Évidemment, il est conseillé d’être le plus complet possible et de respecter la loi et certaines mentions sont obligatoires parce qu’elles vont de soi : identité de qui prend à bail et de qui donne à bail, désignation des parcelles… Il est précisé que le Spw Agriculture propose un modèle de bail écrit.

Voilà quelques lignes, non exhaustives naturellement, de nature à tenter de clarifier les réponses à apporter des questions qui se sont multipliées depuis l’entrée en vigueur de la réforme… Mais il est quand même  formidable de devoir se poser autant de questions sur un texte nouveau dont l’objectif avoué était d’apporter plus de « sécurité juridique » et de clarté et qui concerne, pour citer le parlement wallon, « une matière qui revêt une grande importance » tant pour les propriétaires que pour les locataires…

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

A lire aussi en Droit rural

La cession privilégiée en gelée…

Droit rural Qui veut bien se prêter à l’exercice de la comparaison entre l’ancienne version de la loi sur le bail à ferme et sa nouvelle version wallonne, en vigueur depuis le 1er janvier 2020, fera le constat que, ci-et-là, apparaissent parfois de nouvelles dispositions légales, autrement appelées de nouveaux articles, souvent affublés d’un « bis » ou d’un « ter » : 2bis, 2ter, 57bis…
Voir plus d'articles