Accueil Economie

Éric Andrieu : «il faut remettre l’agriculture au cœur du débat politique!»

Écouté, apprécié et respecté de tous dans l’hémicycle, le socialiste français Éric Andrieu, l’un des piliers de la commission de l’Agriculture du parlement européen, vient de quitter son costume de député avant le terme de la législature. Il a retracé, avec nous, les contours d’une carrière pleine et au long cours, toujours au service de l’agriculture et de ses acteurs.

Temps de lecture : 9 min

À moins d’un an des élections européennes il avait déjà annoncé en début d’année qu’il ne serait pas candidat à sa succession. Une décision que le social-démocrate à l’accent chantant du midi a assumée, en se qualifiant de « passeur », pour son choix de transmettre le flambeau sans attendre la fin de son mandat.

Éric Andrieu, quand et dans quelles circonstances avez-vous fait vos premiers pas d’eurodéputé ?

J’ai accédé au parlement européen en 2012, au moment où François Hollande est devenu président de la République. Il avait appelé Kader Arif, tête de liste du parti socialiste de la région Sud-Ouest aux élections européennes de 2009, pour devenir secrétaire d’État aux anciens Combattants dans son gouvernement. La place s’est donc mécaniquement libérée pour le second de la liste que j’étais. J’ai immédiatement intégré la commission de l’Agriculture et du Développement rural (Comagri) ainsi que celle du Commerce international (Inta).

Quel a été votre cheminement à partir de là ?

J’ai été élu aux élections européennes de 2014 et je suis devenu dans la foulée premier vice-Président de la Comagri et j’ai été désigné coordinateur de mon groupe politique pour le volet agricole puis vice-Président en charge du budget. En parallèle, j’ai participé à la création et présidé la commission spéciale « Pesticides » (Pest) suite à l’affaire des Monsanto Papers, dont le but était d’évaluer le protocole de mise sur le marché des molécules. Autant de fonctions qui m’ont permis d’aborder un spectre assez large des activités et du fonctionnement du parlement européen. J’ai ensuite été réélu en 2019. Au cours de ce dernier mandat, j’ai été rapporteur principal du volet OCM (organisation commune des marchés) de la Pac.

En onze années d’exercice, quels ont été les dossiers les plus importants que vous ayez eus à traiter ?

Je citerais le nouveau règlement sur l’agriculture biologique dont j’avais été désigné rapporteur fictif, la commission Pesticides que j’ai eu le privilège de présider et qui nous a permis de faire avancer la sensibilisation aux enjeux liés aux intrants tant du point de vue de la santé humaine que de celui de la biodiversité. Il y a bien sûr la Pac où nous avons pu orienter l’OCM vraiment à gauche, avec, pour la première fois, l’accompagnement de tous les groupes politiques du début à la fin de la négociation. Je pense que la pandémie que nous avons traversée a montré les limites du modèle néo-libéral et la nécessaire régulation dans le secteur agricole. Nous avons avancé sur une quarantaine de points en matière de régulation du marché. Présider des trilogues, comme j’ai été amené à le faire, sur des textes aussi structurants qui engagent tout le volet économique de l’agriculture européenne, c’est une belle expérience dans une vie d’élu.

Quelles ont d’ailleurs été les principales avancées ?

Nous avons beaucoup travaillé au niveau du secteur viticole, nous avons notamment gagné le combat de la reconduction du régime des autorisations de plantation de vignes jusqu’en 2045 alors qu’il était prévu jusqu’en 2030. Il faut savoir que la viticulture est le secteur de l’agriculture qui crée le plus de valeur à l’exportation, c’est celui qui a fait le plus grand nombre de progrès en matière d’environnement ces dernières années et qui assume le mieux le renouvellement des générations. Nous avons par ailleurs obtenu des avancées sur le vin partiellement et totalement désalcoolisé, qui sont deux nouvelles catégories reconnues de vin, sur l’étiquetage avec l’indication obligatoire des ingrédients et l’aspect nutritionnel du vin via un QR-Code. Nous avons réellement donné un coup d’accélérateur aux outils de régulation en obtenant une plus grande flexibilité sur l’activation des mesures de crise. En agriculture, l’aval, soit le commerce, est extrêmement bien organisé tandis que la production, en amont, est très éclatée, ce qui entraîne un déséquilibre. Dans le cadre de l’OCM, nous avons eu la volonté d’offrir aux organisations de producteurs la possibilité de mieux se structurer collectivement pour éviter que l’aval ne dicte systématiquement les règles.

Au cours de vos mandats, vous avez croisé de nombreuses personnalités politiques. Lesquelles vous auront le plus marqué ?

J’ai vraiment beaucoup apprécié, en tant qu’homme et collègue, l’ancien président du parlement européen, David Sassoli, qui est malheureusement décédé en 2022. J’aime bien la façon dont le luxembourgeois Nicolas Schmit appréhende le volet social de ses responsabilités en tant que commissaire à l’Emploi. Il avance pas à pas et très sérieusement au sein d’un collège qui ne lui est pas spécialement favorable. Je mesure aussi à sa juste valeur le travail du commissaire Frans Timmermans. Avec le Pacte Vert, il a quand même réussi un essai qui était d’autant moins facile à transformer qu’il n’a pas toujours eu l’aval du collège. C’était quand même un tour de force que d’arriver à l’imposer comme élément structurant des politiques communautaires.

Justement, à propos du Pacte Vert, comment réagissez-vous aux remous qui agitent l’hémicycle ?

Le Pacte Vert est attaqué par une importante frange des députés, il a suscité et génère toujours des critiques virulentes. En s’y opposant, certains élus extraient l’agriculture du monde politique. Ils n’ont pas mesuré que ce sont en fait les grandes firmes agrochimiques et agro-industrielles qui dictent les règles. Les critiquent fusent aussi des organismes comme la Fnsea ou le Copa-Cogeca dont le secrétaire général contribue à tuer, paradoxalement, le modèle agricole continental. Les deux défendent leur pré carré et restent sur un schéma court-termiste où ceux qui sont en place prennent un maximum d’argent. Ils ne pensent pas le projet au niveau (géo)-politique.

Comment expliquez-vous cette vision dichotomique de l’agriculture ?

Il faut remonter aux années 80, au moment où l’on a assisté à la libéralisation de l’économie. C’est le modèle économique libéral qui prédominait et devait à l’époque devenir le garant de la paix dans le monde. Exit donc tous les outils de régulation, aussi pour l’agriculture, ce qui a entraîné une concentration de la production, de la transformation et de la distribution. Nous nous sommes fait aspirer par le modèle anglo-saxon néo-libéral, celui de Reagan et de Thatcher tandis que l’européen disparaissait.

On a donné les clefs du camion à la finance, assisté à la création de multinationales et, de ce fait, coupé le lien entre l’agriculture, l’alimentation, la santé humaine et la biodiversité.

Ces monstres de l’industrie veulent seulement faire de l’argent pour pouvoir distribuer des dividendes aux actionnaires. L’interdiction du stockage public dans le cadre de l’OMC en 1994 a généré des monstres qui gèrent, par exemple, le marché du blé au niveau mondial. Ils créent des stocks, spéculent, et peuvent créer la famine où bon leur semble.

Aujourd’hui nous avons besoin de remettre de la régulation dans un modèle qui devrait aussi gagner en souplesse. J’avais proposé un système de subventions contracycliques de garantie sur les prix ou le chiffre d’affaires face à la volatilité des prix, car c’est le problème numéro un des plus petits agriculteurs. J’ai dénoncé la collusion de la commission vis-à-vis de ces grands groupes, c’est ce qui tue les agriculteurs dont le nombre diminue vertigineusement alors qu’il devrait, au contraire, s’accroître pour pouvoir revenir à un système de polyculture-élevage qui capte le carbone dans le sol et réponde aux enjeux climatiques, environnementaux et de santé humaine tels que défini dans le Pacte Vert. Les dirigeants du Copa-Cogeca eux, captent le plus d’argent de la Pac… Il faut remettre l’agriculture au cœur du débat politique et s’orienter vers un modèle qui recrée le lien entre agriculture, alimentation, santé et biodiversité. C’est en tout cas le combat qui m’a toujours animé.

Mais vous aviez voté contre la nouvelle Pac…

En effet, j’ai voté, à titre personnel, contre la Pac parce que j’estimais que nous nous situions en deçà des enjeux futurs et actuels. Depuis 2018, on a construit le processus à l’envers en votant d’abord le budget avant de définir ses grands objectifs. Avec pour résultat que l’on demande aujourd’hui aux agriculteurs de faire plus avec moins d’argent. On aurait d’abord dû mettre en place le Pacte Vert et ses deux stratégies et seulement ensuite bâtir la Pac et négocier le cadre financier pluriannuel au regard des besoins de l’agriculture, pour lui donner les moyens de participer à la transition de son modèle au niveau économique, environnemental et social. On élabore des Pac successives sans prendre le temps d’évaluer ce que l’on a généré. Cette dernière mouture en date n’est pas celle du commissaire actuel, mais celle de son prédécesseur Phil Hogan et aujourd’hui, elle n’est plus raccord avec les objectifs demandés. Actuellement, M. Wojciechowski est donc obligé de bricoler avec ce qu’il a…

Que préconisez-vous dans l’immédiat ?

Je le répète, il faut absolument remettre l’agriculture au cœur du débat politique, car c’est un secteur qui touche tout le monde, à toutes les étapes de la vie, et se rendre compte que l’alimentation n’est pas un sujet mineur. On doit se questionner sur l’augmentation des cancers, des maladies émergentes ou orphelines, des problèmes de puberté, de fertilité qui se multiplient en raison des perturbateurs endocriniens. Mais quand on évoque l’évaluation des politiques publiques à l’échelle communautaire, on a presque l’impression de prononcer un gros mot ! D’ailleurs personne ne s’en charge. On doit aussi mesurer tout l’intérêt du Pacte Vert. Il fixe comme objectif de devenir un continent neutre en carbone en 2050. Il faut donc que toutes nos politiques publiques participent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour la première fois, il y a une prise de conscience forte par rapport au climat. Je suis originaire du sud de la France et les problèmes de manque d’eau sont vécus de façon dramatique. Tout le monde va devoir rapidement intégrer que la sécheresse va bouleverser nos logiques culturales.

Vous êtes impliqué, même très passionné par vos tâches au sein du parlement. Pourquoi avoir décidé de le quitter à un an de la fin de votre mandat ?

Je ne suis ni las, ni fatigué. C’est une décision que j’ai prise au nom de la démocratie. J’ai exercé de nombreux mandats en France, j’ai été conseiller départemental, maire, président d’une intercommunalité, vice-président de région et j’ai toujours procédé de la sorte car je me considère comme un passeur d’histoire. Il faut être capable de transmettre pour conserver une démocratie vivante. Il s’agit d’une décision que j’ai prise dès 2019. Après mon élection, je suis allé voir Olivier Faure, qui était mon responsable de parti, pour lui faire part de mon souhait de quitter mes fonctions un an avant le terme de mon mandat dans un esprit de transmission parce que je crois au renouvellement en politique. C’est Christophe Clergeau, le premier candidat non-élu sur la liste PS – Place publique de 2019 qui me remplace tout en gardant mon équipe. Il est conseiller régional des pays de la Loire et secrétaire national à l’Europe du Parti socialiste. Je lui ai transmis tous mes dossiers, il siégera à la commission de l’Agriculture, je lui ai fait rencontrer toutes les personnes-ressources au parlement et nous avons ainsi travaillé en tuilage pendant un an et demi.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles