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Transmission d’exploitation: puis-je transmettre les baux dont je suis titulaire à mon fils?

Mieux vaut parfois une brève citation qu’un long discours : la loi sur le bail à ferme aime les familles. Et comme elle aime les familles, elle fait en sorte de faciliter la transmission des baux à ferme en famille.

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U ne remise d’exploitation agricole s’accompagne souvent d’une convention dite « convention de reprise de ferme » . Pareil document est, en fait, le cadre contractuel/juridique via lequel l’exploitation est transmise par le cédant (le fermier qui remet) au cessionnaire (le fermier qui reprend). Ce cadre contractuel contient les données essentielles entourant la transmission : le prix, la date de prise d’effet, la composition de l’exploitation cédée, le passif éventuel, ...

 

Actif de l’exploitation cédée

Parmi ces données, nous intéresse particulièrement la composition, autrement appelée actif, de l’exploitation cédée. En résumé, l’actif cédé est constitué de ce que reprend effectivement et matériellement le cessionnaire. On peut y retrouver le matériel, les stocks, les cultures sur pied, les quotas, parfois des droits de propriété immobilière et, souvent, aussi… des droits aux baux. Et c’est précisément ce qui intéresse ces quelques lignes.

On sait que peu d’exploitants agricoles sont propriétaires de tout ce qu’ils cultivent : les exploitants sont, en général, à la fois propriétaires et à la fois locataires. Et pour ce dont ils sont locataires, lors de la transmission de l’exploitation, se pose souvent la question de savoir si les baux peuvent eux aussi être remis. La question est somme toute assez normale.

Imaginons un fermier qui exploite 100 ha dont 50 ha en propriété et 50 ha en location. Il a 4 enfants et envisage de transmettre son exploitation à l’un d’eux, son 1er fils par exemple. Il est normal que ce fermier fasse payer la reprise de la ferme à son fils, ne fût-ce que par souci d’égalité successorale entre ses 4 enfants. Mais il est évident que le fils, lui, sera plus ou moins enclin à payer un prix certain à son père selon qu’il peut ou non prétendre à l’occupation des terres en propriété familiale et des terres en location : reprendre une ferme de 100 ha ne rapporte pas la même chose et ne coûte pas le même prix qu’une ferme de 50 ha. Le fermier cédant fera ce qu’il voudra des 50 ha dont il est propriétaire, par exemple en les donnant lui-même à bail à son fils ou en les lui vendant. Mais pourra-t-il transmettre les baux – les céder, en vocabulaire juridique – dont il est titulaire à son fils ? La loi répond par un grand OUI. Devra-t-il demander l’autorisation préalable au bailleur ? La loi répond par un grand NON. Devra-t-il en avertir le bailleur ? La loi répond par un OUI.

 

Pas d’autorisation préalable du bailleur en cas de cession à certains membres de la famille mais…

Développons le propos. Un fermier locataire qui souhaite céder son bail doit, en principe, obtenir l’accord écrit et préalable du bailleur, SAUF si le bail est cédé à certains membres de la famille du fermier cédant. Ces membres de la famille sont les suivants : les descendants ou enfants adoptifs ou à ceux du conjoint ou les conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs.

Dans le cas où le bail est cédé à un de ces membres de la famille, le fermier cédant n’est pas tenu à solliciter l’autorisation du bailleur MAIS (1) la cession doit porter sur l’entièreté du bail (autrement dit, si le bail concerne 10 ha, il n’est pas question de le morceler en cédant 5 ha et en conservant les 5 autres) et (2) le fermier cédant doit en informer le bailleur, ce dans un délai de 3 mois à dater de cession effective / l’entrée en jouissance.

Le type de cession familiale à préciser dans la notification

Les choses ne sont pas encore aussi simples car il faut distinguer (1) deux types de cession familiale, la cession simple/ordinaire et la cession dite privilégiée et (2) deux moments, celui de la cession/ l’entrée en jouissance elle-même et celui de la notification de la cession. La cession ordinaire/simple est celle par laquelle le fermier cédant cède son bail au cessionnaire et au terme de laquelle le cessionnaire ne fait que continuer le bail du cédant là où il était au moment de la cession. Dans ce cas, le cédant informera, généralement par voie recommandée ou par pli d’huissier (en tout cas par un envoi conforme à l’article 57 de la loi sur le bail à ferme), le bailleur de l’existence de la cession dans les 3 mois de celle-ci. Exemple : la cession est effective au 1er janvier de l’année X en ce sens que le cessionnaire entrera en jouissance le 1er  janvier X. Le cédant devra, dans les 3 mois du 1er janvier X, informer le bailleur de l’existence de la cession (il convient que la lettre arrive au bailleur avant l’échéance des 3 mois, et non d’attendre le dernier jour des 3 mois pour déposer la lettre à la poste).

Quant à la cession privilégiée, il s’agit, en gros, d’un processus identique sinon que, par l’effet de la notification dans un délai de 3 mois à dater de l’entrée en jouissance, le cessionnaire se voit attribuer une 1ère et nouvelle période d’occupation de 9 ans et le cédant est déchargé de toutes les obligations liées au bail cédé. Il faut garder à l’esprit que l’obligation de notification en matière de cession simple n’existe que depuis le 1er janvier 2020 en Wallonie (effet de la réforme). Or, si les termes de la notification de la cession ne sont pas clairs, il se peut que le bailleur ne sache pas si ce qui lui est notifié est une cession ordinaire/simple ou une cession privilégiée. Il est évident que la cession privilégiée est « meilleure » pour le cessionnaire puisqu’elle revient à lui accorder les effets d’un bail tout neuf : aussi, si c’est la cession privilégiée que le cédant entend notifier, il est conseillé d’indiquer clairement qu’il s’agit d’une cession privilégiée et faire référence à l’article 35 de la loi sur le bail à ferme.

Quant à la forme et au contenu de la notification, la loi ne semble pas bien gourmande : la lettre doit être envoyée par le(s) cessionnaire(s) au(x) bailleur(s) (s’il y en a plusieurs, il faut écrire à chaque bailleur de façon distincte) et contenir l’identité et adresse du/des cessionnaire(s) et celles du/des cédant(s). Il faut évidemment dater et signer la notification, indiquer, comme dit ci-avant, qu’il s’agit d’une cession (privilégiée si c’en est une) et préciser, idéalement, les parcelles/le bail concernés (on lit souvent que la cession porte « sur tous les biens que nous vous louons »). Il est également indiqué de mentionner la date de la cession / l’entrée en jouissance.

Pour l’envoi, le recommandé, plus simple, peut être conseillé.
Pour l’envoi, le recommandé, plus simple, peut être conseillé. - Yanniklab - stock.adobe.com

Toute notification, en matière de bail à ferme, doit répondre à la forme de l’article 57 de loi : exploit d’huissier, recommandé postal, courriel daté et signé, envoi par société privée contre accusé de réception, dépôt d’un acte contre récépissé (le recommandé, plus simple, peut être conseillé).

En matière de cession privilégiée, exclusivement, il doit également être rappelé (1) que le cessionnaire doit répondre aux conditions d’aptitude (diplôme ou expérience agricole) et que le bailleur a un droit d’opposition. L’opposition doit être introduite dans les 3 mois de la notification de la cession privilégiée, exclusivement pour un motif d’opposition visé à l’article 37 de la loi (essentiellement si le bailleur a l’intention d’exploiter dans un délai inférieur à 5 ans).

A nouveau, il est toujours préférable de se faire conseiller par un professionnel au moment venu…

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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