Accueil Economie

Loi sur la restauration de la nature : «sauver la nature…et faire barrage au populisme d’extrême droite»

Soulagement pour la gauche, le centre et les écologistes, victoire vide ou à la Pyrrhus pour la droite et son extrême. La loi sur la restauration de la nature, l’une des pièces maîtresses de la transition verte de l’UE, a passé, in extremis, l’épreuve du vote en session plénière. Le projet de législation, en version malgré tout très allégée, poursuivra son chemin. Et il s’annonce chaotique…

Temps de lecture : 8 min

Les résultats ont été très serrés et reflètent le suspense qui aura entouré le vote jusqu’au bout : 336 voix pour, 300 contre, et 13 abstentions. Avant cela, il s’en était fallu de peu pour que la motion de rejet, déposée par la commission de l’Environnement et qui aurait fait tomber cette législation, soit adoptée.

Pour la gauche, un texte urgent et indispensable

Le rapporteur social-démocrate du texte n’aura pourtant pas ménagé ses efforts pour rallier l’hémicycle à sa cause, réclamant solennellement un vote favorable à la fois pour l’histoire et l’avenir « tant l’urgence de rétablir les écosystèmes, les habitats et les sols dont 61 % et 70 % sont respectivement dégradés, est prégnante. Sans oublier que l’Europe se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale » a-t-il alerté tandis que le centriste Stéphane Séjourné intervenait, quelques minutes plus tard, pour mentionner que le thermomètre, à l’extérieur du parlement, indiquait 37º en date du 11 juillet dernier.

Cesar Luena n’a pas ménagé ses efforts pour rallier l’hémicycle à sa cause,  réclamant solennellement un vote favorable à la fois pour l’histoire et l’avenir  « tant l’urgence de rétablir les écosystèmes, les habitats et les sols  dont 61% et 70% sont respectivement dégradés, est prégnante».
Cesar Luena n’a pas ménagé ses efforts pour rallier l’hémicycle à sa cause, réclamant solennellement un vote favorable à la fois pour l’histoire et l’avenir « tant l’urgence de rétablir les écosystèmes, les habitats et les sols dont 61% et 70% sont respectivement dégradés, est prégnante». - UE

Cesar Luena a par ailleurs regretté les mensonges proférés par ses adversaires politiques, eux qui estiment que cette loi mettrait en danger la sécurité alimentaire.

« Il est faux de dire que les superficies agricoles seront réduites », a-t-il voulu rassurer. « La subsidiarité sera garantie pour les États membres qui devront établir leurs plans nationaux avec beaucoup de flexibilité », promet-il également

« La science et les faits nous prouvent que sans sols fertiles, sans pollinisateurs, il n’existe pas de production alimentaire » s’est-il encore exclamé.

La loi apportera, pour le rapporteur, « tranquillité et confiance » aux États membres qui appelaient de leurs vœux une politique en faveur de la nature, qui soit ordonnée et cohérente avec des objectifs clairs.

« La loi se conjuguera avec souplesse, temps et compréhension et sera intéressante pour le secteur privé » a assuré M. Luena en évoquant « les éleveurs, agriculteurs, sylviculteurs et pêcheurs. « Des écosystèmes sains engendreront des écosystèmes économiques qui le seront tout autant ».

Pour certains collègues, a abondé un écologiste, « les élections qui se profilent à l’horizon sont plus importantes que l’avenir de nos enfants », ajoutant que le texte offrirait aux États membres suffisamment de temps pour s’adapter.

« A tous les manipulateurs qui sont autour de nous, voter contre ce texte, c’est voter contre le bon sens, la sécurité alimentaire, la préservation des beautés naturelles et la survie des agriculteurs européens » a-t-il encore cinglé.

La droite sort du bois en amont du vote

Mais c’est peu dire que les oppositions étaient farouches !

En amont du vote, un collectif de personnalités politiques françaises de droite avait diffusé une tribune très offensive synthétisant parfaitement la position du PPE selon laquelle le texte sur la restauration de la nature s’ajoutait à une longue série de nouvelles normes votées dans le cadre du Pacte Vert : taxe carbone à l’entrée du marché intérieur, taxonomie sur les énergies, réglementation sur les émissions industrielles, normes de rénovation énergétique des bâtiments et sur la sortie du moteur thermique…

Pour les démocrates-chrétiens, la loi sur la restauration de la nature ajoute à l’inflation normative en cours de nouvelles contraintes qui entraîneront une politique de décroissance en Europe.

Ils taxent la stratégie « d’absolument déraisonnable », alors que les crises récentes, liées à la pandémie ou au conflit russo-ukrainien, auraient dû enseigner à la commission l’impérative nécessité de renouer au contraire avec la production des biens les plus stratégiques.

« Non, produire n’est pas un gros mot ! »

« Restaurer ne doit pas signer l’arrêt de mort de toute production artisanale, industrielle, forestière et agricole car non, produire n’est pas un gros mot » s’est exclamée la démocrate-chrétienne française Anne Sander, en regrettant qu’avec la proposition qui est sur la table, « malgré les crises sanitaires, la situation géopolitique, la commission et une partie de cet hémicycle ne se soucient guère de la réalité dans le monde puisqu’ils estiment que geler 10 % de nos terres agricoles ne présente pas de danger pour notre sécurité alimentaire ».

Les résultats du vote ont été très serrés et reflètent le suspense qui l’aura entouré  jusqu’au bout : 336 voix pour, 300 contre, et 13 abstentions.
Les résultats du vote ont été très serrés et reflètent le suspense qui l’aura entouré jusqu’au bout : 336 voix pour, 300 contre, et 13 abstentions. - UE.

Le PPE a par ailleurs rappelé que plus de vingt textes concernent déjà la protection et la restauration des écosystèmes naturels. Et les élus de droite de se demander « pourquoi ne pas améliorer ce qui doit l’être, plutôt que d’ajouter encore une couche de complexité au droit applicable, en lui surimposant de nouvelles normes et des concepts réglementaires inédits, parfois ambigus ou contradictoires ».

« Revenez à la raison ! »

Pascal Canfin, le président centriste de la commission de l’Environnement n’a pas hésité à haranguer ses collègues du PPE, les invitant à écouter, à défaut de l’avis des scientifiques, unanimes pour défendre la nécessité de cette loi, du moins celui des fédérations européennes des chasseurs et des entreprises du secteur de l’agroalimentaire, toutes deux favorables à cette loi car conscientes que la première menace sur les rendements agricoles, c’est la disparition, des pollinisateurs et le changement climatique.

Il leur a demandé de s’aligner sur la position de la banque européenne, laquelle rappelle que l’immense majorité de l’économie du vieux continent est dépendante des services rendus par la nature.

Enfin, a-t-il alerté, « l’autre raison pour adopter cette loi, c’est de faire barrage au populisme d’extrême droite qui tue la démocratie européenne et l’esprit de compromis qui nous anime depuis le début sur le Pacte Vert ».

M. Canfin a d’ailleurs lourdement taclé le président du PPE, Manfred Weber, qui, selon lui, « s’inscrit dans la même grammaire que Donald Trump. Il est anti-climat et favorable à la construction de murs aux frontières extérieures de l’UE ».

La commission et la politique de la chaise vide

Stéphane Séjourné, son collègue du groupe Renew a abondé dans ce sens en déplorant que le débat ait « dérapé tant sur la forme que sur le fond » avant de s’étonner de l’absence, dans l’hémicycle, du commissaire Frans Timmermans, en charge du Pacte Vert.

« Tellement de mensonges et de malentendus sur ce projet de loi auraient pu être évités si la commission avait tissé une stratégie globale sur l’ensemble des textes constituant le Pacte Vert » s’est-il plaint.

L’erreur politique de la commission n’est-elle pas d’avoir présenté séparément le texte sur la restauration de la nature alors qu’il fait pourtant partie d’un paquet plus large de législations portant toutes sur la résilience agricole et qui prévoit notamment le recours aux nouvelles techniques génomiques et au « carbon farming » auxquels les agriculteurs sont favorables ? Poser la question, c’est y répondre.

Contrecarrer des alliances avec les eurosceptiques

Pour l’espagnol Cesar Luena, le résultat du vote constitue « une victoire d’ordre social ».

Il a insisté la menace pesant sur la pérennité des écosystèmes en Europe. «Nous avons besoin de politiques concrètes, ambitieuses, planifiées et contraignantes pour forcer la restauration de la nature» a-t-il répété en espérant que la loi sera adoptée d’ici la fin de l’année, encore sous la présidence de son pays.

Et le fait que le négociateur parlementaire en chef soit Espagnol et socialiste, tout comme la ministre de l’Environnement, Teresa Ribera, qui mènera les pourparlers pour le conseil, devrait mettre de l’huile dans les rouages.

À l’issue du vote, Cesar Luena a dénoncé la droite, l’extrême droite, les conservateurs, les anti-européens qui pensent que la loi porte préjudice aux agriculteurs « alors qu’il s’agit d’une loi en faveur de la nature et non contre qui que ce soit ».

Nouvelle main tendue au PPE…

Au-delà du seul texte, il a qualifié le vote favorable « d’excellente nouvelle pour le parlement et son rôle dans la construction européenne ». L’hémicycle ne pouvait, selon lui, aucunement constituer un obstacle à une réforme constructive qu’est la première loi sur la restauration de la nature en Europe.

« Son rôle est d’édicter des lois et non de refuser le débat » a-t-il justifié.

Mais c’est la politique européenne en général qui en bénéficiera « parce que nous avons été à même de contrecarrer des alliances nouées au sein de la droite avec les eurosceptiques » a précisé le rapporteur du texte tant chahuté.

Ses dernières paroles furent à l’attention du PPE auquel, il a, une nouvelle fois, tendu la main « pour qu’il rectifie le tir ». Futur rapporteur au niveau des trilogues, il assure compter sur les sociaux-démocrates qu’il souhaite intégrer dans les négociations.

Un texte affaibli

Pour l’heure, les différents groupes tentaient encore il y a peu d’y voir clair dans les amendements, parfois contradictoires, qui ont été soumis au vote et adoptés.

Dans sa position finale, le parlement reprend l’essentiel de l’orientation générale du conseil qui prévoit de nombreuses flexibilités pour les États membres et choisit de se reposer sur une obligation de moyens plutôt que sur une obligation de résultat.

À une différence près : l’article 9 portant sur le volet agricole a été entièrement supprimé. Certains amendements du groupe conservateur limitent la restauration des écosystèmes aux zones Natura 2000 ont été adoptés. D’autres – du groupe social-démocrate – renforcent, entre autres, la protection des pollinisateurs.

Le parlement précise que la loi ne s’appliquera que lorsque la commission aura fourni des données sur les conditions nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire à long terme et que les pays de l’UE auront quantifié la superficie à restaurer pour atteindre les objectifs de restauration pour chaque type d’habitat.

Le parlement prévoit également la possibilité de reporter les objectifs en cas de conséquences socio-économiques exceptionnelles. Dans les 12 mois suivant l’entrée en vigueur de ce règlement, la commission devra évaluer tout écart entre les besoins financiers en matière de restauration et le financement européen disponible, puis rechercher des solutions pour combler cet écart, notamment par le biais d’un instrument européen spécifique.

Mais pour les groupes social-démocrate, des Verts, de la gauche et d’une partie des centristes qui étaient en faveur de cette législation, « mieux vaut une loi édulcorée que pas du tout »…

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

«On ne peut croire en une agriculture sans élevage, prélude à une alimentation sans agriculture»

Elevage Ce n’est un secret pour personne : les éleveurs souffrent. Tant d’un désintérêt du citoyen pour leur activité que de la multitude d’idées reçues relatives à la production et à la consommation de viande… Heureusement, les produits carnés ont encore leurs défenseurs. Parmi ceux-ci, le politologue français Paul Ariès qui ne manque jamais de remettre « la vache au milieu de la prairie ».
Voir plus d'articles