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«Tisser des liens entre mangeurs et producteurs»

Coordonner, faire du lien et faciliter les initiatives locales et régionales en matière d’alimentation, tel est le but de la cellule « Manger demain » dont les représentants ont tout récemment expliqué pourquoi et comment le secteur de la restauration collective est au cœur des stratégies menées par la Wallonie pour s’engager vers un système alimentaire plus durable. Témoignages à l’appui.

Temps de lecture : 9 min

Dans le cadre du plan Food Wallonia (adopté en octobre 2022), lequel se décline en dix-neuf actions, le gouvernement wallon a approuvé, le 20 juillet dernier, la mise en œuvre de six nouveaux projets concrets visant à contribuer à la transition vers un système alimentaire durable en Wallonie. La restauration collective en fait partie.

Le « Green Deal Cantines Durables »

Il s’agit d’un secteur qui présente un important potentiel d’accélération de la transition du système alimentaire. Les volumes sont conséquents puisque l’on parle de 200.000 repas chauds servis chaque jour en Wallonie.

C’est aussi un secteur qui touche toutes les catégories sociales et toutes les générations depuis la petite enfance au niveau des crèches jusqu’aux maisons de retraite. Il permet par ailleurs une approche multidimensionnelle puisqu’il a trait à la santé, l’environnement, l’économie, l’éducation.

Pour encourager les cantines à mettre en place une politique d’alimentation durable, la Wallonie a lancé le « Green Deal Cantines Durables », un accord volontaire dont l’objectif est d’amener en l’espace de 18 mois les cantines vers la labellisation « Cantines Durables » et un approvisionnement relocalisé.

À ce jour, la Wallonie compte 320 cantines signataires qui représentent plus de 50.000 repas par jour, un chiffre en constante évolution et 71 acteurs au niveau de l’approvisionnement.

 

La restauration collective dans tous ses états

Le terme de « restauration collective » recouvre la confection et distribution de repas au sein de collectivités publiques ou privées, à savoir les restaurants scolaires, d’entreprises, d’administrations, la restauration médico-sociale.

Un pan de l’économie qui est particulièrement diversifié, que ce soit en termes de gestion (elles peuvent être autonomes, déléguées ou intermédiaires) que de volumes et s’adresse à des acteurs aux profils, eux aussi très différents.

Comme dans la plupart des secteurs, le prix constitue un important point d’attention. Pour la cellule « Manger demain » il doit rester à la fois accessible à tous, y compris au public précarisé, et rémunérateur pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement (producteurs et transformateurs).

Pour pouvoir rencontrer ces deux exigences ainsi que sa volonté d’offrir des produits de qualité, la cellule « Manger demain » a pu bénéficier du coup de pouce « Du local dans l’assiette », un financement de la région wallonne qui vise à favoriser un approvisionnement local via la prise en charge d’une partie du surcoût lié à l’achat de produits locaux.

 

« Du local dans l’assiette »

En phase test l’année dernière, ce subside de 120.000€ a bénéficié à 82 cantines et près de 6.000 usagers. Le dispositif permet la prise en charge de 50 % des factures de produits locaux issus de circuits courts et 70 % s’il s’agit de produits bio locaux, le tout étant plafonné à 0,50 € par repas.

En termes de filières, ce sont les pommes de terre et les légumes qui ont été le plus souvent commandés dans le cadre de ce coup de pouce tandis que le bœuf et les pommes de terre en ont le plus bénéficiés.

234 cantines ont été sélectionnées en 2023, c’est trois fois plus qu’en 2022. Les bénéficiaires espèrent que ce financement, qui court jusqu’en décembre 2024, puisse devenir structurel afin de sécuriser la demande au niveau des collectivités et permettre à l’offre de se développer sur ces marchés.

C’est la cellule « Manger demain » qui est le point de rencontre entre cantines et acteurs de l’approvisionnement. Elle organise des événements de réseautage, a développé un catalogue reprenant tous les signataires qui se sont engagés dans le « Green Deal Cantines durables » avec leur offre, leur zone de chalandise, leurs volumes. Distribué aux cantines, cet annuaire permet d’accroître la visibilité des acteurs qui ont montré leur volonté de travailler avec ce public spécifique.

Et ce n’est pas tout. « Manger demain » a mis sur pied des groupes de travail thématiques sur les légumeries ou encore le pain, des filières en développement pour lesquelles elle essaie de mettre les acteurs en réseau.

Il faut aussi savoir que les producteurs ou collectivités désireux de répondre à des marchés publics peuvent bénéficier des conseils et de l’accompagnement d’un juriste.

 

Des acteurs de terrain motivés

Ces producteurs, ces collectivités, ce sont, par exemple, la cuisine centrale de l’intercommunale IsosL qui élabore 12.000 repas par jour à destination des écoles de la ville de Liège, la coopérative brabançonne « En direct de mon élevage », la cantine en gestion autonome de l’IMP (institut médico-pédagogique) « La Providence » à Étalle, ou la centrale d’achat locale de l’Asbl « Solidairement » qui se structurera en coopérative et offre un service logistique pour approvisionner le sud de la province de Luxembourg en fruits et légumes.

L’Asbl « Solidairement» a mutualisé les plans de cultures « pour pouvoir développer une offre diversifiée et en quantité suffisante que pour répondre à la demande de  cuisines de collectivité » explique  Pascal Van Bever.
L’Asbl « Solidairement» a mutualisé les plans de cultures « pour pouvoir développer une offre diversifiée et en quantité suffisante que pour répondre à la demande de cuisines de collectivité » explique Pascal Van Bever. - M-F V.

Autant d’acteurs qui ont la durabilité pour moteur. IsosL est, par exemple, devenue signataire du « Green Deal Cantines Durables » en 2018.

« Au niveau des marchés publics, nous avons commencé par les produits laitiers, le pain, les fruits et le poisson avant de nous lancer dans la viande (bœuf, porc, agneau, poulet) en 2022 ; il nous reste encore les légumes et les produits d’épicerie à couvrir » a développé Davide Acardipane.

Il faut dire que les volumes sont importants. IsosL écoule actuellement 8 tonnes de viande bovine par an, un chiffre qui passera même à 12 tonnes l’année prochaine en raison de l’augmentation du nombre de repas scolaires.

Son objectif est d’atteindre 100 % de repas durables constitués de produits issus du territoire wallon en 2024. IsosL travaille d’ailleurs depuis un an avec la coopérative « En direct de mon élevage ».

Des représentants de l’intercommunale s’y sont d’ailleurs rendus avec le chef de cuisine et ses cuisiniers ainsi que les diététiciens « tous faisant, eux aussi, partie du changement à mettre en place ».

 

Engagement de production et d’achat

L’IPM « La Providence », qui fournit une cinquantaine de repas par jour à ses résidents, est signataire du « Green Deal Cantines Durables » depuis le mois d’avril 2022. Mais l’institution travaillait déjà avec des producteurs locaux, notamment pour la viande et les œufs depuis plusieurs années.

L’IPM «La Providence» est signataire du « Green Deal Cantines Durables » depuis avril 2022. «Mais l’institution travaillait déjà avec des producteurs locaux, notamment pour la viande et les œufs depuis plusieurs années» a expliqué Françoise Marx.
L’IPM «La Providence» est signataire du « Green Deal Cantines Durables » depuis avril 2022. «Mais l’institution travaillait déjà avec des producteurs locaux, notamment pour la viande et les œufs depuis plusieurs années» a expliqué Françoise Marx. - M-F V.

À Meix-devant-Virton, l’Asbl « Solidairement », à l’origine du Réseau paysan, a quant à elle signé le « Green Deal Cantines Durables » en 2019. « Nous avons la chance d’être frontalier de la France, où la loi EGAlim définit une obligation pour les cantines scolaires d’introduire un minimum de produits bio et de qualité. C’est dans cet esprit que nous avons commencé à travailler avec un traiteur de Longwy qui livrait 800 repas par jour dans des écoles » nous a informé Pascal Van Bever.

Essentiellement terre d’élevage, la province de Luxembourg compte peu de maraîchers sur son territoire. Les producteurs s’y diversifient sur de petites surfaces, commercialisent leurs productions soit à la ferme soit sur les marchés et très peu à destination des professionnels.

C’est de cette spécificité liée à son territoire qu’est né le projet de centrale locale d’achats « car d’un côté nous connaissions la demande des épiceries, de l’HoReCa et des cuisines de collectivité, de l’autre les producteurs de notre région étaient disposés à mettre en culture des productions tout en ayant la garantie de pouvoir les écouler. C’est ainsi que nous avons mutualisé les plans de cultures pour pouvoir développer une offre diversifiée et en quantité suffisante que pour répondre à la demande de cuisines de collectivité » a explicité M. Van Bever.

 

Des conséquences favorables pour les territoires

Répondre aux demandes en viande locale, c’est le cœur de l’action de la coopérative « En direct de mon élevage », née au sortir de la crise Veviba qui avait entaché l’image de l’agriculture wallonne. Plusieurs éleveurs s’étaient alors unis pour reprendre leur sort en main. Ils sont désormais au nombre de 150, tous naisseurs, éleveurs engraisseurs sur des fermes familiales indépendantes financièrement.

La notoriété de la coopérative « En directe de mon élevage » a rapidement attiré les collectivités, même s’il s’agit, pour Matthieu Perreaux, « d’un autre métier car nous leur fournissons majoritairement du haché, des carbonades, des hamburgers contrairement aux bouchers qui travaillent en demie-bête ou en carcasse complète ».
La notoriété de la coopérative « En directe de mon élevage » a rapidement attiré les collectivités, même s’il s’agit, pour Matthieu Perreaux, « d’un autre métier car nous leur fournissons majoritairement du haché, des carbonades, des hamburgers contrairement aux bouchers qui travaillent en demie-bête ou en carcasse complète ». - M-F V.

Si les bouchers locaux et les commerces de proximité ont été les premiers clients de la coopérative, sa notoriété a rapidement attiré les collectivités, même s’il s’agit, pour Matthieu Perreaux, « d’un autre métier car nous leur fournissons majoritairement du haché, des carbonades, des hamburgers contrairement aux bouchers qui travaillent en demie-bête ou en carcasse complète ».

Tous ces acteurs de terrain sont unanimes pour vanter les nombreux avantages de travailler avec des producteurs locaux. S’ils évoquent la qualité et la fraîcheur des produits, certains mettent aussi en avant, comme Françoise Marx de l’IPM « La Providence » la nécessité de motiver les jeunes issus de milieux défavorisés, « qui n’ont connu que la malbouffe », à manger autrement.

Habitué à travailler dans un passé encore récent avec des grossistes qui proposaient des produits standardisés et bas en gamme, Davide Acardipane s’est félicité d’avoir changé de cap. Il ne compte plus les retours positifs des enfants et de tous ceux qui ont noté un changement favorable dans les repas.

Mais ce n’est pas tout. « Nous avons 64 fermes qui contribuent à notre approvisionnement en viande. Avec notre budget alimentaire qui s’élève à 7 millions € par an, cela constitue de l’argent qui peut être réinvesti dans notre territoire » a-t-il soufflé.

 

« C’est rassurant de savoir d’où provient ce que l’on achète »

Ce changement de paradigme dans la façon d’aborder le lien avec une nourriture locale et de qualité, a induit une évolution des comportements. Les uns ont pris conscience du gaspillage alimentaire. « Quand l’alimentation n’a pas beaucoup de valeur, on se permet de la gaspiller un peu plus… Chaque année, nous jetions des dizaines de tonnes de nourriture à tous les niveaux, on surestimait nos commandes, on remplissait trop les assiettes sans respecter les recommandations au niveau des grammages en viande, en légumes, en féculents » a reconnu M. Acardipane.

L’intercommunale liégeoise IsosL, représentée par Davide Acardipane, a pour objectif d’atteindre 100% de repas durables constitués autant que faire se peut de produits issus du territoire wallon en 2024.
L’intercommunale liégeoise IsosL, représentée par Davide Acardipane, a pour objectif d’atteindre 100% de repas durables constitués autant que faire se peut de produits issus du territoire wallon en 2024. - M-F V.

Un temps désormais révolu si bien que l’argent de la manne qui était gaspillée a été réinjecté dans la qualité.

Dans les cuisines de collectivité, la tendance est par ailleurs à la végétalisation de l’assiette qui fait la part belle aux légumineuses et au fromage tandis que la viande (de bœuf ou de poulet) monte en qualité. Fini les viandes industrielles en provenance du nord du pays, elles-mêmes originaires des pays de l’Est de l’Europe ou d’Amérique du sud. Elles viennent désormais de chez PQA, Coprobel, « En direct de mon élevage »…

La nébuleuse a fait place à la transparence du contact direct avec les producteurs et les éleveurs.

Et tous ces acteurs espèrent que les pouvoirs publics continueront à utiliser les leviers d’action en leur possession pour changer la donne.

Marie-France Vienne

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