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Au lendemain du 31 décembre 2023, qu’adviendra-t-il des sociétés agricoles?

Depuis l’avènement, en 2019, du Code des Sociétés et Associations (CSA), la Société Agricole n’existe plus. Néanmoins, une période transitoire de vie des Sociétés Agricoles existant en 2019 était prévue. Celle-ci expirant au 31 décembre 2023, pour cette date, les Sociétés Agricoles existantes doivent avoir pris des dispositions particulières pour leur transformation en un type de société régi par le CSA, à défaut de quoi le CSA s’occupe lui-même de la transformation.

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D ans le monde rural, il n’est pas rare de rencontrer des exploitants agricoles qui travaillent via une société agricole. C’est la loi du 12 juillet 1979 consacrant la société agricole qui l’a introduite, dans notre paysage rural belge. L’idée est fiscale mais également civile. Fiscale car, comme toute personne morale, le taux de taxation au niveau des revenus peut se montrer avantageux. Civile car, en vertu de l’article 838 des Codes des Sociétés (maintenant devenu 8 : 2 et 8 : 3 du Codes des Sociétés et Associations qui a succédé, en 2020, au Code des Sociétés), l’exploitation d’une parcelle louée en qualité d’associé-gérant d’une société agricole rencontre l’obligation d’exploitation personnelle.

Autrement dit, le preneur, en personne physique, reste titulaire juridique du bail mais peut, d’un point de vue matériel, exploiter les biens loués via la Société agricole sans que le bailleur ne puisse lui reprocher une sous-location, ce même si c’est la société agricole qui s’acquitte annuellement du paiement du fermage.

La Société agricole disparaît, et donc ?

Comme dit ci-avant, le Code des Sociétés a fait place, en 2020 (entrée en vigueur le 1er janvier 2020), au Code des Sociétés et Associations (CSA) dans notre arsenal juridique. Et le CSA ne reprend plus, parmi les divers types de sociétés existantes (SRL, SA, SCA, SC, SCOM…), la Société Agricole. Pratiquement, cela veut dire que la Société Agricole va et doit disparaître. À quelle sauce, donc, seront mangées les Sociétés Agricoles qui existaient en 2020 et qui, aujourd’hui encore, continuent à exister. Il faut comprendre que le CSA a prévu une période transitoire de vie des Sociétés Agricoles existant en 2020. Cette période transitoire expire au 31 décembre 2023. Pour cette date, les Sociétés Agricoles existantes doivent avoir pris des dispositions particulières pour leur transformation en un type de société régi par le CSA, à défaut de quoi le CSA s’occupe lui-même de la transformation. Concrètement donc, les Sociétés Agricoles encore en vie ne vont pas disparaître le lendemain du 31 décembre 2023 mais vont muer en un autre type de société, prévu par le CSA, soit par des dispositions volontairement prises par les organes de la Société Agricole, soit par des dispositions prévues par défaut au CSA si les organes de la Société Agricole ne prennent aucune disposition volontaire. Le CSA n’a pas perdu de vue l’intérêt de la Société Agricole. C’est pour cela que, même s’il supprime purement et simplement la Société Agricole, il prévoit des solutions permettant de maintenir l’intérêt qui était celui de la Société Agricole.

Pour les nouvelles sociétés constituées après le 1er janvier 2020

Pour faire simple, le CSA prévoit que les nouvelles sociétés, constituées après le 1er janvier 2020 et éligibles à bénéficier des avantages de la Société agricole, devront opter pour une des formes sociales suivantes : la Société en nom collectif, la Société en commandite, la Société à responsabilité limitée et la société coopérative. En même temps, il conviendra de solliciter du SPF Économie un agrément comme « entreprise agricole ». Cet agrément, s’il est concédé par la SPF parce que les critères légaux sont réunis, permettra à la société nouvellement constituée de bénéficier des avantages, notamment fiscaux et civils, propres au régime de la Société agricole. La procédure et les conditions légales d’agrément énoncées par l’arrêté royal du 28 juin 2019 fixant les conditions d’agrément comme entreprise agricole et comme entreprise sociale tel que publié au Moniteur Belge du 11.07.2019, p. 70056. Ces conditions sont au nombre de 8 :

(1)  l’objet de la société doit être principalement l’exploitation d’une activité agricole,

(2)  seules des personnes physiques peuvent être associées,

(3)  la société doit compter au moins deux associés dont un est associé gérant,

(4)  les actions doivent être nominatives et de valeur égale,

(5)  l’associé gérant doit consacrer la moitié de son temps de travail à l’exploitation de l’activité agricole et tirer au moins la moitié de son revenu professionnel de l’exploitation active de l’activité agricole,

(6-7-8) le consentement de l’associé gérant ou de l’assemblée générale est requis pour certaines opérations liées à la cession d’action ou la modification des statuts.

Ces conditions remplies, le SPF délivre en règle l’agrément mais il est entendu que des contrôles peuvent avoir lieu dans l’optique de vérifier que les conditions demeurent maintenues au cours de la vie de la société : un retrait de l’agrément semble ainsi possible si les conditions ne sont plus maintenues.

Exemple. Je me lance dans l’activité agricole en mars 2020. Je souhaite travailler via une société et je souhaite que cette société bénéficie des avantages légaux qui sont ceux d’une Société agricole. Je vais donc constituer une société dont la forme sociale sera, à mon choix, une Société à responsabilité limitée. En sus de la constitution de la société, je solliciterai du SPF Economie l’obtention d’un agrément comme entreprise agricole. Cet agrément me permettra notamment de travailler comme si je travaillais avec une Société agricole.

Pour les sociétés agricoles existant avant le 1er janvier 2020

Les sociétés agricoles existantes au 1er janvier 2020 doivent faire l’objet d’une transformation en une Société en nom collectif, une Société en commandite, une Société à responsabilité limitée ou en une Société coopérative.

Si, d’ici au 1er janvier 2024, une Société agricole n’a pas fait l’objet d’une transformation spontanée et volontaire en une autre forme sociale par ses organes d’administration, elle sera transformée de plein droit (soit automatiquement) en une Société en nom collectif si elle ne compte pas d’associés commanditaires ou en une Société en commandite si elle compte des associés commanditaires.

Au sujet de l’agrément évoqué ci-dessus, il est prévu que les Sociétés agricoles existantes au 1er janvier 2020 sont présumées agréées comme entreprise agricole, ce qui signifie donc que la demande et la procédure d’agrément existante pour les nouvelles sociétés ne sont pas requises. Il semble cependant qu’un contrôle régulier et ponctuel aura lieu pour vérifier que les conditions d’agrément demeurent existantes.

Pour bien comprendre…

Une mise en situation, pour bien comprendre. Une société agricole appelée Le Sillon Wallon est créée en 1990. Elle est toujours active le 1er janvier 2020. Elle dispose d’un délai transitoire jusqu’au 31 décembre 2023 pour muer en un autre type de société. En janvier 2023, ses dirigeants font choix de la transformer en Société à responsabilité limitée, via les démarches juridiques susdites. Non seulement, cette Société agricole sera transformée en un autre type de société (par exemple en une SRL) mais, en sus de la transformation, elle recevra automatiquement un agrément comme entreprise agricole lui permettant de bénéficier des avantages de la société agricole. La Société agricole Le Sillon Vert (SAGR Le Sillon Wallon) deviendra ainsi La Société à responsabilité limitée Le Sillon Wallon Entreprise Agricole. La Société Agricole Le Sillon Vert deviendra la SRL Le Sillon Wallon Entreprise Agricole.

Si les dirigeants de la Société agricole Le Sillon Wallon n’ont pas, volontairement, fait les démarches pour le 31 décembre 2023, la société sera automatiquement transformée en la Société en nom collectif Le Sillon Wallon Entreprise Agricole si elle ne compte pas d’associés commanditaires ou en la Société en commandite Le Sillon Wallon Entreprise Agricole si elle compte des associés commanditaires.

Quel type de société ?

La société à responsabilité limitée est prévue aux 5 : 1 et suivants du CSA. En substance, il s’agit d’une personne morale, constituée par voie notariée, par une ou plusieurs personne(s) morale(s) ou physique(s). Un capital initial minimum n’est pas requis mais il faut prévoir un patrimoine initial suffisant pour l’activité à développer. Au sujet de la responsabilité des actionnaires, elle est limitée à leur apport. En tant que tel, la SRL n’est pas la forme sociale « naturelle » pour succéder à une société agricole ou pour devenir « entreprise agricole »(bien que cela ne soit techniquement pas impossible), notamment parce que les formalités de constitution sont plus lourdes (voie notariée, état comptable + rapport de réviseur / expert-comptable, rapport l’organisme d’administration lors de l’acte notarié…).

La société coopérative est prévue aux articles 6 : 1 et suivants du CSA. Elle est, par excellence, une société qui a pour toile de fond l’esprit coopératif dont l’objectif premier est la satisfaction des besoins des actionnaires et/ou le développement de leurs activités économiques ou sociales. En substance, il s’agit d’une personne morale, constituée par voie notariée, par 3 actionnaires au minimum. Un capital initial minimum n’est pas requis mais un apport est nécessaire pour l’acquisition des actions. Les actionnaires pourront distribuer bénéfices, réserves et apports à la seule condition que la société réponde favorablement à deux tests, celui du bilan et celui de la liquidité. Tout comme la SRL, la SCOOP n’est pas la forme sociale « naturelle » pour succéder à une société agricole ou pour devenir « entreprise agricole » (bien que cela ne soit techniquement pas impossible).

La société en commandite et la société en nom collectif sont prévues tout au long du Livre 4 du CSA. L’une et l’autre sont des sociétés simples qui ont acquis la personnalité juridique. En règle, une société simple (association de fait, par ex.) est dépourvue de personnalité juridique. Une société simple peut toutefois acquérir la personnalité juridique et devenir ainsi soit une SCOMM, soit une SNC. Ce type de société se constitue par un simple contrat, sans autre formalité plus lourde, ou par voie notariée. La responsabilité des associés d’une SNC est illimitée. La SCOMM, elle, compte deux types d’associés : les associés commandités dont la responsabilité est illimitée et les associés commanditaires dont la responsabilité est limitée aux apports. Les SNC et SCOMM sont les formes sociales naturelles pour succéder à une société agricole ou pour devenir une « entreprise agricole ».

Les questions développées ci-dessous sont d’une importance capitale et, par ailleurs, complexes. Il est vivement conseillé de se faire entourer par des services comptables et/ou des juristes spécialisés. Les conséquences fiscales et civiles des choix à faire ne sont pas anodines…

Henry Van Malleghem, avocat au Barreau de Tournai

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