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Pierre Peltzer, chasseur Sparmont et par vaux

Le chemin escalade la colline tous les bouquets de vert profond jouent à cisailler le ciel affolant de bleu dont la puissance quasi atomique du soleil diffractait les nuances. L’abondante frondaison susurrait une délicate brise comme le doigt crissant sur le granité d’une page. Sparmont, le hameau surgit, embusquée à son entrée une imposante bâtisse apparaît telle une conversation soudainement démasquée dans l’étoffe soyeuse des phrases.

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C’est le royaume du calme et de l’apaisement, sur la commune de Comblain-Féron, dans l’entité de Hamoir. C’est aussi celui de Pierre Peltzer, qui jongle entre les métiers d’agriculteur, d’entrepreneur et de chasseur dans cette région particulièrement giboyeuse.

Une jeunesse à la ferme

Économiste de formation, il a longtemps travaillé dans une multinationale avant de reprendre, en 2010, des terres familiales autour du hameau et de les exploiter. Sans véritable formation agricole, il peut toutefois compter sur l’expérience qu’il a engrangée durant tous les congés scolaires qu’il passait dans la ferme située en face de la maison de sa mère, à Ferrières.

Et pour les matières dont il n’est pas spécialiste, il a su s’entourer de conseillers pour pallier son manque de connaissances.

Pierre Peltzer s’est lancé dans les cultures avec un assolement classique dans la région (colza, froment, escourgeon, de temps en temps du lin ou du maïs, malgré la proximité des bois). Il fait partie d’une Cuma composée de quatre agriculteurs, située à 10km de Sparmont, lui permettant de bénéficier de toutes les machines pour réaliser ses travaux, du labour jusqu’à la récolte, mais aussi de réduire ses coûts de production.

« Il s’agit d’une très bonne formule, c’est bien dommage qu’il n’y en a pas plus en Belgique où les agriculteurs ont un esprit plus individualiste, à l’inverse de la France où ce modèle est très populaire » a regretté M. Peltzer pour qui l’agriculture constitue une activité annexe, lui qui fait également tourner une société de ferronnerie du bâtiment.

« Je suis indépendant des deux côtés, tant au niveau agricole qu’entrepreneurial » sourit-il.

Une région peuplée de grand gibier

Située dans le premier contrefort du Condroz liégeois, la région se caractérise, au niveau du biotope, par une alternance de prairies, de terres arables et de blocs forestiers, d’où la notion de gestion des dégâts de gibiers qui y est particulièrement prégnante.

Les forêts feuillues et leur abondance de fruits forestiers constituent une zone d’opulence pour le gibier
Les forêts feuillues et leur abondance de fruits forestiers constituent une zone d’opulence pour le gibier

Les forêts feuillues et leur abondance de fruits forestiers constituent une zone d’opulence pour le gibier également attiré par les plaines où l’on retrouve du colza, du maïs et des moutardes.

On y croise essentiellement des chevreuils et des sangliers, peu de petit gibier, si ce n’est quelques lièvres qui survivent à la prédation, aux maladies et autres obstacles et que les chasseurs ne tuent pas « afin de continuer à avoir le plaisir de les voir » indique Pierre Peltzer.

« Gourmet », le chevreuil se nourrit de façon éclectique, contrairement au sanglier qui « se goinfre » et cause des dégâts aux cultures et en prairie quand il va vermiller pour chercher des souris, des batraciens ou des mulots. Beaucoup plus par temps humide qu’en période de sécheresse, quand les occupants de la terre descendent en profondeur.

La chasse, une longue tradition familiale

Chasseur, Pierre Peltzer l’est dans l’âme. Il perpétue une tradition familiale où la chasse constitue une véritable passion. Traqueur depuis l’âge de 12 ans, il passe son permis à 22 ans.

À l’époque, ce dernier est constitué d’un examen théorique qui portait sur trois matières : la législation, la connaissance du gibier et celle des armes. Un volet pratique a depuis lors été rajouté qui concerne l’entretien et le maniement de l’arme ainsi que des exercices de simulation en mode de chasse ou de tir sur cible.

« Il existe essentiellement trois modes de chasse : à l’affût ou à l’approche, où l’on est seul, et la chasse en battue où l’on cerne un bloc de bois autour duquel sont positionnés plusieurs chasseurs tandis que des traqueurs l’arpentent pour faire sortir le gibier » développe P. Peltzer qui évoque aussi la chasse à la botte, « une méthode intermédiaire pratiquée, par exemple, en Hesbaye, et qui mobilise entre cinq et dix chasseurs qui avancent dans la plaine pour tirer du petit gibier ».

Il faut savoir qu’à chaque gibier correspond une période durant laquelle il peut être tiré qu’il s’agisse, par exemple, du chevreuil mâle ou femelle.

« Le sanglier peut, quant à lui, être chassé toute l’année à l’affût et en battue durant trois mois avec la possibilité d’organiser des chasses de destruction, moyennant autorisation en cas de surpopulation » précise M. Peltzer.

Surpopulation des sangliers, réchauffement climatique et assolement

La problématique de la surpopulation de ces suidés dépasse largement les frontières du Condroz et de la Wallonie. Le sanglier connaît une explosion de ses populations au niveau européen, que l’on peut attribuer aux hivers de plus en plus cléments qui entraînent moins de pertes au niveau des portées de marcassins, mais aussi à l’abondance de nourriture en milieu forestier, laquelle résulte d’une réaction physiologique de l’arbre à un stress hydrique.

« Au plus la nourriture abonde, au plus vite la laie atteint 45kg, poids auquel elle devient gravide alors qu’en Ardenne, où il n’y a que des épicéas, il lui faudra plus de temps » indique Pierre Peltzer qui cite par ailleurs l’évolution des techniques agricoles au niveau des assolements en Condroz, avec du maïs, beaucoup de colza, des couverts avec des moutardes, (semées début juillet), autant de cultures qui « attirent le sanglier comme un aimant ».

Sa double casquette de chasseur et d’agriculteur l’amène à envisager les deux points de vue afin de limiter les dégâts : tirer plus et mieux pour le premier, mieux choisir les cultures et les endroits où les planter, mieux les défendre par la pose de clôtures, pour l’autre.

Froment barbu, maïs et MAEC

Pour sa part, il s’est orienté depuis plusieurs années vers du froment barbu, une variété assez rustique qui offre un peu moins de rendement à l’hectare mais qui a l’avantage de ne pas attirer du tout les sangliers.

« Au niveau du maïs, j’avais veillé à ne pas le planter directement en lisière de forêt, ce qui permet au chasseur de pouvoir intervenir en affûtant le sanglier qu’il peut voir sortir du bois et entrer dans la culture » détaille M. Peltzer qui a développé à cet effet de nombreuses mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec).

Pierre Peltzer plante des haies pour accueillir les oiseaux mais aussi limiter les risques d’érosion dans le relief accidenté de la région ou encore en bordure de parcelles pour les faire bénéficier d’un effet brise-vent.
Pierre Peltzer plante des haies pour accueillir les oiseaux mais aussi limiter les risques d’érosion dans le relief accidenté de la région ou encore en bordure de parcelles pour les faire bénéficier d’un effet brise-vent. - M-F V.

Pour certaines d’entre elles, il est suivi et encadré par Natagriwal quant au choix des parcelles où les implanter.

Il s’agit de haies pour accueillir les oiseaux mais aussi de limiter les risques d’érosion dans le relief accidenté de la région ou encore en bordure de parcelles pour les faire bénéficier d’un effet brise-vent.

Ce sont par ailleurs des tournières. « J’ai profité de la possibilité offerte par la Pac de les faire passer de 15m à 20m, afin de bénéficier d’une plus grande bande qui sépare le bois de la culture pour affûter plus facilement le grand gibier » illustre-t-il.

La lutte contre le ruissellement est un problème criant d’actualité. Ce n’est pas la quantité mais la vitesse de l’eau qui pose souci et qu’il faut freiner à tout prix, « il n’y a rien de plus efficace qu’une bande d’herbe ou, en dernier recours, la constitution d’une fascine ».

Il a aussi eu recours à la Maec « céréales sur pied » (MB12) dans le but de favoriser la biodiversité en mettant de la nourriture à disposition des espèces les plus menacées d’oiseaux hivernants et de passage en hiver, période la plus cruciale pour leur survie. Une mesure dont l’enjeu répond au déclin de la petite faune des plaines.

Enfin, il a semé des plantes mellifères dans le fond d’une parcelle ainsi qu’un hectare et demi d’une prairie à haute valeur biologique afin d’y maintenir une large diversité botanique.

« Entre agriculteur et chasseur, il faut du dialogue et de la diplomatie »

« Il est révolu le temps où l’agriculteur sur sa parcelle regardait en chien de faïence le chasseur en lisière de bois. Tous les deux sont des acteurs de la ruralité et de la biodiversité dont l’intérêt est de s’entendre » assure Pierre Peltzer qui reconnaît parfois des frictions qui dépendent pourtant majoritairement de la personnalité de l’un et de l’autre.

Les tensions proviennent de « celui qui n’a aucune diplomatie et croit être roi dans sa discipline » image-t-il, lui qui croit au dialogue et à la proximité.

Il faut trouver le dénominateur commun entre les objectifs de chacune des disciplines

« J’ai la chance d’habiter au milieu de mes parcelles et de chasser sur mon territoire, en famille et entre amis, ce qui me donne un gros avantage par rapport à un chasseur occasionnel qui vient de plus loin ».

Les dégâts de sangliers ne sont pas faciles à gérer en prairies car ils obligent les agriculteurs à reboucher les trous et à ressemer de l’herbe.
Les dégâts de sangliers ne sont pas faciles à gérer en prairies car ils obligent les agriculteurs à reboucher les trous et à ressemer de l’herbe. - M-F V.

Mais il lui faut aussi gérer la problématique des dégâts. Car il faut savoir que la loi du 14 juillet 1961, qu’il juge « obsolète » et « plus en adéquation avec le terrain, les densités de gibier et les pratiques agricoles actuelles » désigne les chasseurs comme responsables du dommage causé aux champs, fruits et récoltes par le grand gibier qui provient des parcelles boisées sur lesquelles ils possèdent le droit de chasse.

Pierre Peltzer et ses amis tirent entre 15 et 20 sangliers contre 5 à 6 chevreuils par an sur un territoire de 200 hectares équitablement répartis entre les bois et les plaines.

« Avec le sanglier, il faut faire du chiffre, avec le chevreuil, on fait de la sélection » résume-t-il en évoquant la régulation des populations de sangliers qui ont un taux de reproduction particulièrement élevé, puisqu’une laie a des portées de 5 à 10 marcassins. En cas d’hiver peu rigoureux, elle peut avoir jusqu’à trois portées en deux ans.

« Nous vivons dans une région où il y a un gibier naturel et je suis très sensible à l’équilibre de la biodiversité au sein de laquelle tout le monde peut s’exprimer » souffle le Condruzien.

En faveur de l’agrainage et du nourrissage « réfléchi »

Fermement opposé au lâcher massif de petit gibier (pour le tirer un peu plus tard…) et au nourrissage intensif des sangliers pratiqués dans certaines chasses, P. Peltzer s’inscrit en faveur d’un nourrissage qu’il taxe de « réfléchi ». C’est-à-dire quand il se justifie, comme en avril et en mai lors de la plantation du maïs.

« C’est alors le moment idoine pour faire de l’agrainage qui, contrairement au nourrissage, oblige le sanglier à chercher la nourriture dans le bois pour l’y conserver et ainsi éviter qu’il aille faire des dégâts dans la culture. »

Le but étant d’occuper et de dissuader le sanglier de se promener dans les champs, mais aussi dans les prairies où les dégâts ne sont pas plus faciles à gérer car ils obligent les agriculteurs à reboucher les trous et à ressemer de l’herbe.

« On parle aussi de nourrissage supplétif qui consiste à amener de la nourriture au gibier quand il ne peut en trouver lui-même dans la nature. La technique est surtout utilisée pour les grands cervidés dans les forêts d’Ardenne en cas d’épisodes neigeux ».

Mais à la lumière des périodes hivernales de moins en moins rudes de ces dernières années, il ne devrait être mis en œuvre que par dérogation spécifique et au minimum à l’échelle d’un conseil cynégétique. C’est en tout cas l’avis des signataires d’un courrier adressé au ministre Willy Borsus en janvier dernier émanant de chasseurs exerçants ou ayant exercé une ou plusieurs fonctions dans des associations parties prenantes de la ruralité, parmi lesquels Pierre Peltzer.

Un mauvais procès fait à la chasse

La notion de nourrissage a toujours été un élément qui braque à la fois politiques et acteurs de la ruralité et le grand public. Comme la chasse en elle-même d’ailleurs qui a parfois mauvaise presse.

Une connotation négative que Pierre Peltzer attribue à la méconnaissance de l’univers de la chasse dont la pratique, à part dans le sud namurois et le Luxembourg, s’exerce dans des zones périurbaines et interfère avec d’autres bénéficiaires et utilisateurs de la nature. Sans compter les réactions épidermiques de certains non-chasseurs.

Lui-même qui regrette certaines dérives de la chasse au niveau, par exemple, du sur-lâcher de petit gibier, s’étonne « que l’on fasse toujours plus de cas de la chasse plutôt que de la pêche où personne ne s’émeut que l’on relâche les poissons dans la rivière pour les repêcher en aval. Il y a donc un juste milieu à trouver ».

Marie-France Vienne

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