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Le motif de congé n’est pas respecté, puis-je récupérer la parcelle?

Lorsqu’un bailleur envoie à un preneur un congé pour motif d’exploitation personnelle et que ce congé se trouve validé, soit parce qu’il n’a pas été contesté dans le délai légal de 3 mois par le preneur, soit parce qu’il a été rendu valable judiciairement, la conséquence en est que, à l’échéance du délai de préavis, le preneur doit quitter les lieux pour laisser place au bénéficiaire du congé, qu’il soit le bailleur lui-même ou un de ses parents éligibles à être bénéficiaire du congé.

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La question posée par ces quelques lignes est de savoir si un congé validé met définitivement hors-jeu le preneur évincé une fois qu’il a libéré les parcelles à l’issue du délai de préavis. Plus précisément encore, une fois exclu, ce preneur a-t-il encore un droit de regard sur ce qui se passe sur les parcelles dont congé.

La question a le mérite de devoir être posée en ce sens qu’un congé est toujours donné pour un motif et que, donc, un congé validé suppose que son motif soit respecté. Si le motif en question n’est pas respecté après l’issue du délai de préavis, il est assez normal que le preneur évincé puisse trouver à se plaindre.

Mise en situation

Un bail a pris cours le 1er janvier 2020 pour 9 ans, sa première période d’occupation se terminant donc à la fin de l’année 2028. Le bailleur est Monsieur A tandis que le preneur est Monsieur B. L’article 7 de la loi sur le bail à ferme autorise A, s’il respecte les conditions légales (notamment être agriculteur) à notifier à B un congé pour motif d’exploitation personnelle pour l’échéance de la période en cours, soit pour la fin de l’année 2028, moyennant respect d’un délai de préavis de 2 à 4 ans. Sur base de l’article 12§4 de la loi sur le bail à ferme, B conteste le congé dans le délai légal de 3 mois en saisissant le Juge de Paix (appel en conciliation puis citation à comparaître) mais, finalement, le Juge de Paix considère que le congé est valable et le valide donc judiciairement. B interjette appel, le Tribunal de Première Instance (juge d’appel) confirmant finalement la décision du Juge de Paix. La validation du congé induit, en droit, que A reprendra possession des terres à l’échéance du délai de préavis tout étant obligé, sur base de l’article 9 al.1er de la loi, d’exploiter personnellement les parcelles 9 ans durant. À la fin de l’année 2028, donc, B libère les parcelles et A prend possession des lieux pour, selon le motif du congé, cultiver les parcelles concernées. Mais voilà qu’en 2031, B, propriétaire de parcelles voisines qu’il cultive, constate que les parcelles dont il a été évincé fin 2028 ne sont pas exploitées par A. Question simple et directe : B peut-il envisager une action pour s’opposer à la situation ?

L’idée sous-jacente à une telle action est simple : si A a fait valider un congé pour le motif de son exploitation personnelle et qu’il ne respecte pas son obligation d’exploiter personnellement les parcelles, on peut en déduire que l’intention d’exploiter évoquée à travers le congé n’était pas sincère. Autrement dit, donc, si le Juge de Paix ou le Tribunal de Première Instance avai(en)t su que l’intention n’était pas sincère, il(s) n’aurai(en)t donc pas validé le congé. . Or, le contrôle juridictionnel intervient TOUJOURS avant la reprise des parcelles par le bénéficiaire du congé tant et si bien qu’il serait injuste de priver le preneur évincé de pouvoir se plaindre d’une absence d’exploitation personnelle auprès du Juge de Paix…

Que dit la loi ?

La réponse est en fait donnée à l’article 13 de la loi sur le bail à ferme. Cet article s’ouvre sur ces quelques lignes : « Le preneur qui a évacué les lieux loués à la suite d’un congé donné pour exploitation personnelle a droit à sa réintégration dans les lieux loués avec dommages-intérêts ou, s’il le souhaite, aux dommages-intérêts seuls, si, sans motifs graves, plus de six mois et moins de neuf années après l’évacuation du bien, celui-ci ne se trouve pas exploité par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ».

Autrement dit, et pour en revenir la mise en situation ci-dessus, A dispose, à dater de l’évacuation des lieux par B, de 6 mois pour entamer l’exploitation des parcelles concernées, exploitation qu’il doit mener pendant 9 ans. L’irrespect de ces délais peut entraîner la réintégration des parcelles par B, la réintégration des parcelles par B avec dommages et intérêts ou, simplement, des dommages et intérêts. Le seul salut de A, à défaut du respect des délais de 6 mois et de 9 ans, est à trouver dans l’existence d’un ou plusieurs motif(s) grave(s). Le motif grave n’est pas assimilable à un cas de force majeure. On peut citer, au titre d’exemple tiré de la jurisprudence, le fait qu’un propriétaire entre comme messager dans une administration publique après avoir été classé dans la réserve de recrutement lors d’un concours auquel il avait participé quelques années auparavant. Par contre, la jurisprudence n’a pas reconnu comme motif grave une maladie n’ôtant pas la possibilité de donner des instructions sur l’exploitation : «  L’exploitation ne devant pas nécessairement consister, pour le propriétaire, en des travaux sur le terrain, mais en des actes de direction quotidienne et de prise en charge des risques, le motif de maladie n’a pas été jugé suffisamment grave, dès lors qu’il n’empêchait par le propriétaire de donner les instructions nécessaires » (Civ. Furnes, 4 janv. 1973, R.W., 1973-1974, col. 1448. Voy. Égal., Cass., 15 mars 1983, T. Not., 1984, p. 85).

Si B introduite la procédure, il reviendra à A, conformément à l’article 13 §1er al.2, d’établir qu’il a effectivement exploité les parcelles concernées dans les délais prévus par la loi. Cette précision n’est pas anodine car elle revient à mettre, sur les épaules de A, la charge de la preuve : autrement, c’est à A de prouver qu’il a exploité, et non à B de prouver que A n’a pas exploité. Il est évident qu’il sera attendu de B qu’il participe loyalement à la manifestation de la vérité judiciaire mais la circonstance que la loi renseigne A comme chargé de la preuve démontre sans nul doute que le Juge attendra les explications de A.

En son §3, la loi a prévu un délai pour agir dans le chef de B. S’il s’agit de vouloir sanctionner l’irrespect du délai de 6 mois pour entamer l’exploitation des parcelles dans le chef de A, le délai pour agir est de 3 ans à dater de son évacuation des parcelles. S’il s’agit de vouloir sanctionner l’irrespect du délai de 9 ans durant lequel A doit exploiter les parcelles, le délai pour agir est de 3 ans à dater de la cessation de l’exploitation des parcelles par A. On rappellera opportunément que, selon le prescrit de l’article 1345 du Code Judiciaire, toute action en matière de bail doit être précédée d’un appel en conciliation valable et que l’appel en conciliation interrompt un délai légalement fixé pour autant que la citation à comparaître intervienne dans le mois de la signature du procès-verbal de non-conciliation. Lorsque le congé est donné au bénéfice d’une personne autre que le bailleur (par exemple : A donne congé au profit de son fils C), il convient d’agir contre A et contre C.

Exploitation par échange non valide

Il importe encore de faire mention d’un arrêt de la Cour Constitutionnelle du 24 septembre 1998 : cet arrêt a considéré que, après validation d’un congé, l’exploitation des parcelles par la voie d’un échange n’est pas équivalente à une exploitation personnelle. Concrètement, donc, si A récupère les parcelles par validation de son congé mais qu’il en fait un échange avec D, l’obligation d’exploiter personnellement 9 ans durant n’est pas respectée ( et ce bien que la loi légalise en fait les échanges). Cet arrêt a toutefois été critiqué par une partie de la littérature juridique. La porte à donner à cet arrêt est également discutée quant à savoir s’il trouve aussi à s’appliquer à des échanges antérieurs à la validation du congé.

Pour d’autres motifs de congé aussi

Précisons enfin que le principe de la réintégration est également, et légalement, prévu pour d’autres motifs que celui de l’exploitation personnelle. Ainsi, l’article 13 §2 de la loi l’envisage également pour les congés visés à l’article 6 (congé pour motif de construction ou motif industriel, congé pour motif d’affectation publique…) et d’autres congés visés à l’article 7… Les délais d’action restent les mêmes.

Henry Van Malleghem

, avocat au Barreau de Tournai

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