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Dans les coulisses de «Terre de Fromages» à Herve

Sa forme cubique, sa patine orangée et son fumet invitant à quelques ripailles rabelaisiennes, font du fromage de Herve un produit aussi reconnaissable qu’incontournable du patrimoine gastronomique wallon. Dans le cadre de la campagne signée « L’excellence européenne est un art » qui met à l’honneur les labels de qualité AOP et IGP à travers des produits d’exception, nous avons pu nous glisser, avec la complicité de l’Apaq-w, dans les coulisses de la fromagerie « Terre de Fromages » et de son histoire.

Temps de lecture : 7 min

Cofinancé par l’Europe et présente dans trois pays, ce programme européen s’articule autour du Pruneau d’Agen IGP (France), du Jambon de Carpegna AOP (Italie) et d’une sélection de 11 produits AOP et IGP wallons, reflétant la qualité et le savoir-faire des terroirs dont ils sont issus.

Le coup de pouce de Charles Quint

Profondément ancré dans sa belle région délimitée au sud par la Vesdre, au nord par les Pays-Bas, à l’ouest par la Meuse et à l’est par l’Allemagne, le Herve est le seul fromage belge à bénéficier de l’Appellation d’Origine protégée (AOP) et ce, depuis le 1er  juillet 1996.

« Le savoir-faire fromager de la région est séculaire puisque l’on retrouve les premières traces écrites attestant l’existence du fromage de Herve dès le XIIIe siècle » nous apprend Francis Beberonne, responsable marketing de « Terre de Fromage ».

Profondément ancré dans sa belle région délimitée au sud par la Vesdre,  au nord par les Pays-Bas, à l’ouest par la Meuse et à l’est par l’Allemagne,  le Herve est le seul fromage belge à bénéficier d’une AOP.
Profondément ancré dans sa belle région délimitée au sud par la Vesdre, au nord par les Pays-Bas, à l’ouest par la Meuse et à l’est par l’Allemagne, le Herve est le seul fromage belge à bénéficier d’une AOP. - M-F V.

Sa réputation croît aux XVIIe et XVIIIe  siècle, mais elle prend réellement son essor à la suite d’un édit de Charles Quint interdisant l’exportation du blé vers les actuels Pays-Bas des Habsbourg avec lesquels l’empereur était en mauvais termes. Les paysans du pays de Herve ont donc été poussés à reconvertir leurs terres en prairies destinées à l’élevage laitier, avec, pour corollaire, la fabrication de fromage.

Un rayonnement international dès le XVIIe siècle

Au XVIIe siècle, le fromage acquiert une telle valeur marchande qu’il devient également une monnaie d’échange dans les villages où des maisons sont vendues contre paiement par une rente de produits faite de beurre et de fromage de Herve.

Sa notoriété dépasse rapidement les frontières du territoire hervien et grâce à son temps de mûrissement assez long, il a l’avantage de pouvoir être exporté vers des régions parfois lointaines que sont alors l’Alsace, la Lorraine, la Bourgogne.

Autant de terroirs dont les productions fromagères s’apparentent d’ailleurs étrangement à notre Herve : le Munster, le Maroilles, l’Époisses ou, plus étonnant, le Limburger, un fromage à croûte lavée de forme parallélépipédique de l’Allgäu (région du sud de l’Allemagne), qui porte le nom de la province de son origine, le Limbourg.

Affineur, métier phare des années 80

La production de fromage dans toutes les fermes s’est inscrite dans le temps. En 1960, le plateau de Herve comptait plus de 500 producteurs qui travaillaient selon un schéma bien établi. Le fermier s’occupait des vaches tandis que son épouse transformait une partie du lait en fromage qu’elle affinait dans les caves basses et humides de la ferme.

C’est dans les années 80 que les oncles de Jean-Marc Cabay, l’actuel administrateur délégué de « Terre de Fromages », créent une petite structure qu’ils baptisent « Herve Société » ayant pour finalité l’affinage et la commercialisation du fromage de Herve.

Alors toujours fabriqués dans les fermes, les fromages de Herve étaient vendus « blancs » par les producteurs à des affineurs dont le métier consistait à les amener au même niveau de maturité. Ce ne sera que dans les années 90’ que « Herve Société » commencera à fabriquer des fromages dans ses propres ateliers.

De Petit-Rechain à Herve

En 1998, « Herve Société », qui produisait alors dans ses ateliers situés à Petit-Rechain, reprend et s’installe sur le site d’activité de la Laiterie régionale de Herve, la coopérative qui fabriquait tout une série de fromages (dont plus de 2.500 tonnes de fromage de Maredsous passé un peu plus tard sous la bannière du groupe Bel) sauf… le Herve, et ce afin de ne pas concurrencer les coopérateurs qui en élaboraient.

La fromagerie fabrique 70 fromages différents en semi-fini  dans quatre ateliers différents pour une production totale de 2.280 tonnes  de fromages dont environ 250 tonnes de fromage de Herve.
La fromagerie fabrique 70 fromages différents en semi-fini dans quatre ateliers différents pour une production totale de 2.280 tonnes de fromages dont environ 250 tonnes de fromage de Herve. - M-F V.

« Herve Société » poursuit sa croissance en reprenant, dans les années 2000, plusieurs petites structures fromagères et signe un accord avec Milcobel pour une partie de son approvisionnement en lait avant de créer, sur le même site, la « Fromagerie du Plateau » qui produit des fromages à pâte pressée cuite au lait cru.

En 2021, « Herve Société » devient « Terre de Fromages ». Un choix qui renvoie au travail de la terre et aux profondes racines qui lient la fromagerie à son terroir.

Un univers, quatre ateliers, 70 fromages

Sur son site, « Terre de Fromages » transforme quelque 18 millions de litres de lait dont un tiers provient de filières de qualité différenciée. La fromagerie fabrique 70 fromages différents en semi-fini dans quatre ateliers différents pour une production totale de 2.280 tonnes de fromages dont environ 250 tonnes de fromage de Herve.

Le premier atelier est dédié à la fabrication de fromages à pâte molle (croûte lavée, mixte, fleurie, pâte persillée, Herve), le deuxième concerne les fromages à pâte mi-dure de 1,5 kg à 15 kg (fromages d’abbaye, dont ceux de Val-Dieu), le troisième est consacré aux fromages à pâte pressée cuite (meules de 15 kg) avec un affinage allant de 6 mois jusqu’à 18 mois maximum.

Quant au quatrième atelier, il est dédié aux fromages à caillés lactiques (un produit très crayeux au centre avec peu de matière grasse et contenant 7 % à 8 % de sel), comme le traditionnel fromage de Bruxelles.

« Terre de Fromages travaille à l’accélération du retour à l’origine locale des fromages en Belgique, en proposant, bien sûr, ses propres fromages à tous les Belges » insiste M. Beberonne.

Le caillé est brassé avec précaution pour obtenir des grains qui seront également répartis dans des moules  tandis que le sérum qui surnage est évacué. Il est ensuite déposé dans des moules, sans action mécanique de pressage.
Le caillé est brassé avec précaution pour obtenir des grains qui seront également répartis dans des moules tandis que le sérum qui surnage est évacué. Il est ensuite déposé dans des moules, sans action mécanique de pressage. - M-F V.

Car il faut savoir que 85 % des fromages qui sont consommés en Belgique sont importés. « Nous avons largement la possibilité de nourrir tous les Belges en transformant les quelque 3 milliards de tonnes de lait produites dans notre pays » développe le responsable marketing de « Terre de Fromages ».

Le Herve, un cahier des charges très strict

Le fromage de Herve ne peut être fabriqué qu’à base de lait collecté et transformé dans la zone géographique AOP du pays de Herve.

« Nous travaillons avec le lait de la filière « Marguerite Happy Cow », que nous avons créée en 2015 avec des familles d’agriculteurs, dont la philosophie est basée sur le respect et les bonnes pratiques, ce qui permet de bénéficier d’un lait de qualité différencié » explique M. Beberonne.

Les fromages sont affinés dans des caves dont l’humidité et la température sont constantes.
Les fromages sont affinés dans des caves dont l’humidité et la température sont constantes. - M-F V.

À pâte molle et croûte lavée, le Herve est un fromage qui possède un cœur crayeux qui s’affine de la croûte vers le centre. Sa couleur orangée provient naturellement de bacterium linens, l’une des bactéries spécifique présente dans le lait du terroir du pays de Herve.

La forme du fromage doit être cubique ou parallélépipédique et répondre à des grammages spécifiques : 50 g (personne n’en produit), 100 g, 200 g ou 400 g. Les Herve produits par « Terre de Fromages » sont soit doux, soit piquants en fonction de la durée d’affinage.

Du lait à la cave d’affinage

Mais qu’en est-il dans les entrailles de la fromagerie ? Dans la moiteur de l’atelier des fromages à pâte molle où le brouhaha des machines habille l’atmosphère, les bassines se remplissent à intervalle régulier de lait où s’injectera la présure, une enzyme animale nécessaire pour le faire coaguler et l’amener à se transformer en caillé qui pourra être découpé.

Il sera brassé avec précaution pour obtenir des grains qui seront répartis dans des moules tandis que le sérum qui surnage est évacué. Le caillé est ensuite déposé dans des moules, sans action mécanique de pressage. Une fois en moule, chaque produit est scrupuleusement identifié avec un numéro de lot. À chaque opération, le fromage est scanné afin d’assurer une traçabilité maximale de chaque produit.

Une fois démoulés, les fromages sont ensuite plongés dans la saumure. Ils passeront à l’étape de l’affinage dans des caves dont l’humidité et la température sont constantes. Ils y sont lavés et retournés deux fois par semaine durant quatre semaines (Herve doux), six semaines (Herve piquant) ou encore deux mois (Remoudou).

Marie-France Vienne

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