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Pacte Vert, durabilité et marchés : «les agriculteurs sont devenus des champions de la résilience»

Faut-il opposer l’écologie à l’économie, à la souveraineté alimentaire et au renouvellement générationnel ? Non, ont assuré l’EMB et Via Campesina lors d’un débat organisé la semaine dernière autour de l’eurodéputé Benoît Biteau au cours duquel plusieurs intervenants ont souligné l’importance de la régulation des marchés agricoles et de la garantie de prix justes pour atteindre les objectifs du Pacte Vert.

Temps de lecture : 8 min

Des eurodéputés et des représentants de plusieurs organismes de défense des agriculteurs européens s’étaient réunis, le 8 novembre dernier, au parlement européen.

Ils y ont fait le point sur la nécessaire évolution des systèmes agricoles vers davantage de durabilité environnementale, économique et sociale.

Une Pac « de la honte »

Aux manettes, l’écologiste français Benoît Biteau. Reconnaissable à son imposante stature, son catogan et ses bacchantes, celui qui se définit comme un « paysan résistant » est un vieux routier des joutes verbales sur la thématique de l’environnement, tant au niveau national qu’européen.

Pour l’écologiste Benoît Biteau, « certains veulent faire porter le chapeau aux politiques écologiques alors qu’il s’agit du résultat de décennies de libéralisation des marchés agricoles pilotés par ceux qui se prétendent défenseurs des agriculteurs ».
Pour l’écologiste Benoît Biteau, « certains veulent faire porter le chapeau aux politiques écologiques alors qu’il s’agit du résultat de décennies de libéralisation des marchés agricoles pilotés par ceux qui se prétendent défenseurs des agriculteurs ». - UE.

Alors que la commission affichait, au début de cette mandature, des objectifs « ambitieux mais insuffisants » de transformation écologique de l’économie européenne, il a choisi de tirer le bilan des annonces faites par l’Exécutif, celles qui se sont réellement concrétisées. Et les autres.

Il a ainsi salué les succès qui ont été engrangés au niveau des secteurs de l’énergie et des transports mais a amèrement constaté que le secteur agricole a résisté à une nécessaire transformation. La faute, selon lui, à la nouvelle Pac validée en 2021, entrée en vigueur au début de cette année, qui est « en dessous de tout ».

C’est même à ses yeux « la Pac de la honte » tant sur les aspects environnementaux que sociaux.

Lui qui avait déjà dénoncé les revenus en berne, voire indignes des agriculteurs de moins en moins nombreux à s’installer, des propriétaires de terres agricoles qui ne les cèdent pas lorsqu’ils partent à la retraite pour pouvoir continuer de toucher les aides.

Début 2023, il s’était aussi ému de la mobilisation de sommes colossales d’argent public « servant à perfuser des pratiques agricoles décalées des enjeux climatiques, de protection de la biodiversité, de santé et de sécurité alimentaire ».

Les agriculteurs européens tirent la langue

La semaine passée, l’écologiste français dénonçait la commission qui « abandonne la loi-cadre sur les systèmes alimentaires, laquelle aurait dû constituer la colonne vertébrale de la stratégie « De la fourche à la fourchette ». Pire, elle a décidé de présenter une proposition inadmissible sur la réglementation communautaire sur les OGM ».

Il a pointé les résistances politiques basées sur des sophismes et des infox et une réalité qu’il faut prendre en compte, celle d’une partie des agriculteurs européens actuellement embourbés dans d’importantes difficultés économiques.

« Certains veulent faire porter le chapeau aux politiques écologiques alors qu’il s’agit du résultat de décennies de libéralisation des marchés agricoles pilotés par ceux qui se prétendent défenseurs des agriculteurs » a-t-il cinglé.

Pour Benoît Biteau, si la productivité de la ferme Europe en venait à s’effondrer, « ce ne serait pas en raison de la réduction des pesticides, ni de celle des engrais de synthèse, ni de la régulation des marchés puisqu’aucune de ces mesures n’a encore été mise en œuvre ».

« Nous sommes sur une route très sinueuse »

Agriculteur danois, Kjartan Poulsen, est président de l’EMB (European Milk Board). Et il n’a pas caché son pessimisme en déplorant l’accélération des fermetures d’exploitations mais aussi la faiblesse de la relève générationnelle en Europe.

Les jeunes hésitent à se lancer en agriculture en raison de la lourdeur du travail et des charges, « mais surtout de l’incertitude liée à leur avenir sur une exploitation qu’ils mettront 30 ans à rembourser ».

Depuis la fin des quotas, l’augmentation des volumes et l’absence d’instruments de crise n’ont, depuis lors, engendré que des prix bas (sauf à Chypre, Malte et en Suède) et une insécurité permanente pour les producteurs, rendant l’installation de la jeune génération dans la production laitière presque impossible.

À part en 2022, la diminution des prix qui caractérise à nouveau fortement le marché laitier et ce, depuis le début de l’année 2023, exerce une pression intense sur les producteurs.

Pour l’EMB, un secteur constamment en crise comme celui du lait ne peut répondre aux défis du Pacte Vert. Seule une agriculture équitable, rémunératrice et dotée d’outils appropriés sera à même d’épouser ses objectifs politiques.

M. Poulsen a ainsi exhorté la commission à endosser ses responsabilités à l’échelle de l’UE et d’enfin soulager le marché laitier par le biais de l’activation du programme de réduction volontaire des volumes, alors que les prix sont en chute libre et poussent les producteurs vers la sortie.

Pour rappel, ce mécanisme est différent de l’intervention, qui implique un stockage et un retour ultérieur sur le marché. Il s’agit en fait de diminuer réellement la production de lait, avec un bonus proposé par l’UE aux producteurs pour un volume défini de lait non produit.

Attention, chute d’exploitations agricoles !

Au sud de l’Europe, la régulation des marchés est aussi le cheval de bataille de l’Espagnol Andoni Garcia, membre du comité de la Coordination européenne Via Campesina (ECVC), ce mouvement né en 1986 qui est l’un des pionniers du concept de souveraineté alimentaire, lequel avait été formulé au cœur du sommet mondial de l’Alimentation de 1996.

La Via Campesina n’est, elle aussi, peu convaincue par la direction empruntée par le Pacte Vert, loin s’en faut. L’organisation en veut pour preuve les projections qui laissent entrevoir une diminution de l’ordre de 4 millions des exploitations agricoles de type familial à l’horizon 2040 en Europe.

Pour l’heure, leur nombre a déjà diminué d’environ 37 % entre 2005 et 2020, les plus petites d’entre elles enregistrant, sans surprise, la plus forte baisse.

Une inexorable chute que M. Garcia attribue à un marché où les prix qui n’ont pas été adaptés ne permettent plus aux agriculteurs de vivre correctement de leur travail.

Le revenu agricole ne reste-t-il d’ailleurs pas inférieur à la moyenne des autres secteurs de l’économie dans presque tous les États membres, équivalant à 47 % des salaires et traitements bruts moyens dans l’économie de l’UE ?

À cela se sont greffées les crises énergétique, climatique et environnementale (entre 60 % et 70 % des sols européens sont dégradés), autant d’éléments qui rendent nécessaire une transition écologique du secteur agricole « dont nous ne pourrons toutefois pas parler sans une meilleure régulation des marchés » a insisté le représentant de l’ECVC.

Plaidoyer pour une régulation des marchés

Pour Via Campesina, la régulation des marchés agricoles est la pièce manquante nécessaire pour réaliser le Pacte Vert européen et l’autonomie stratégique ouverte de l’Europe.

« Cette régulation est essentielle si nous voulons parvenir à la souveraineté alimentaire et à la durabilité des systèmes alimentaires en Europe » a insisté Andoni Garcia qui a appelé de ses vœux des prix justes pour une production durable.

Il souhaite, dans la foulée, voir augmenter le pouvoir de négociation des agriculteurs pour contrebalancer celui des grandes entreprises, des multinationales qui sont les bénéficiaires de l’actuelle situation. Une réglementation des marchés permettra en outre de bloquer l’entrée dans l’UE de certaines productions qui ne respectent pas les normes et standards qui ont été fixés au niveau européen.

Il existe pourtant de bons exemples d’outils de régulation du marché, comme la directive-cadre européenne sur les pratiques commerciales déloyales que Via Campesina appelle à réformer.

Andoni Garcia a cité l’exemple vertueux de son pays, l’Espagne, qui s’est pour sa part dotée d’une loi sur le fonctionnement de la chaîne agroalimentaire qui interdit et sanctionne l’achat à des prix qui ne couvrent pas les coûts de production, dans chaque maillon de la chaîne, en commençant par l’agriculteur. Celui-ci peut signaler de manière anonyme tout achat de leurs produits à un prix inférieur au prix de production.

C’est la première fois que le gouvernement espagnol impose des prix laitiers plus élevés que dans la majorité des pays européens

 

Défendre la rémunération du travail familial

Beaucoup plus proche de nous, en Wallonie, Vincent Delobel est éleveur de chèvres laitières en agriculture biologique dans le Tournaisis. Cet agriculteur engagé au sein de la Fugea et du Cncd (Centre national de coopération au développement) est sensibilisé aux enjeux commerciaux, de souveraineté alimentaire et de dignité humaine en agriculture depuis sa prime jeunesse.

« On trait le matin et le soir de père en fils depuis de nombreuses générations qui ont traversé plusieurs guerres » a-t-il déroulé.

Ses parents ont dû, quant à eux, surmonter la crise de la dioxine et celle de la vache folle. Ils ont connu les balbutiements de la demande en lait bio, son ralentissement au début des années 2000 et ensuite son embellie.

Sur sa ferme, Vincent Delobel transforme et commercialise sa production. Avec toujours la même quête : « celle d’accroître  notre marge brute pour défendre la rémunération du travail familial face aux prix imposés par l’agro-industrie  ».
Sur sa ferme, Vincent Delobel transforme et commercialise sa production. Avec toujours la même quête : « celle d’accroître notre marge brute pour défendre la rémunération du travail familial face aux prix imposés par l’agro-industrie ». - M-F V.

Depuis la reprise de la ferme il y a 8 ans, il a dû lui-même faire face plusieurs crises : celle du covid, de l’énergie, du pouvoir d’achat et des engrais, en lien avec les conséquences du conflit russo-ukrainien.

« Malgré cela, le savoir-faire a pu se transmettre, les prairies ont pu être maintenues ». Ce qui aurait été impossible sans avoir su faire preuve d’une grande flexibilité. Il aura fallu tantôt accroître le troupeau, tantôt le décroître, parfois se spécialiser, puis se diversifier.

Sur sa ferme, Vincent Delobel transforme et commercialise sa production. Avec toujours la même quête, « celle d’accroître notre marge brute » pour défendre la rémunération du travail familial face aux prix imposés par l’agro-industrie « mais aussi défendre nos fonds propres et donc notre autonomie décisionnelle face à la trajectoire de développement des fermes et des nouvelles technologies ».

« Nous sommes devenus des champions de la résilience » a enchaîné l’éleveur hennuyer. Car il en faut pour garantir l’autonomie des fermes, qu’elle soit fourragère, semencière, énergétique, défendue bec et ongles par les familles agricoles.

Pour Vincent Delobel, il est grand temps que cette résilience soit défendue à l’échelle institutionnelle par la mise en œuvre de Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (Undrop « United Nations Declaration on the Rights of Peasants and Other People Working in Rural Areas »).

Celle-ci comprend des obligations de la part des États, notamment celle de créer un cadre légal face aux formes de dumping au sein des filières, un cadre légal face à la violation de la dignité des personnes et des familles agricoles.

Marie-France Vienne

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