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Le point sur les sous-locations: exceptions à l’exploitation personnelle?

À la faveur de la précédente parution, était abordée la notion d’exploitation personnelle impliquant que le preneur cultive lui-même les biens loués, pour son compte, en assumant les risques et en en percevant les bénéfices d’exploitation…

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Il était rappelé que la loi « légalisait » certaines entorses à cette exigence d’exploitation personnelle (échange, convention annuelle dite « de culture », sujet qui sera abordé dans la prochaine parution)… et fait le point sur le mécanisme de la cession de bail, ainsi définie : la cession de bail est un mécanisme juridique par lequel le preneur (le cédant) cède son bail à un « nouveau » preneur (le cessionnaire) : autrement dit, le cédant donne ou transfère son statut de locataire au cessionnaire. Il n’est pas question de deux baux mais d’un bail qui passe du cédant au cessionnaire. Il était enfin signalé que la parution prochaine serait consacrée à la sous-location, mécanisme différent mais néanmoins «  voisin » de la cession de bail. C’est donc de la sous-location qu’il sera question à travers ces quelques lignes.

Coexistence de deux conventions

La sous-location vise l’hypothèse de la coexistence de deux conventions, l’une convenue entre un bailleur et un preneur principal et l’autre convenue entre le preneur principal et un tiers au bailleur nommé « sous-locataire ». Pour faire bref, la sous-location implique que le preneur principal n’exploite pas personnellement les biens qu’il prend à bail mais concède au sous-locataire un contrat (parallèle au contrat de bail principal et différent de celui-ci), ce contrat permettant au sous-locataire d’exploiter/occuper les biens faisant l’objet du bail principal. Là où, en matière de cession de bail, il n’existe qu’un seul et unique contrat de bail que le preneur cédant « donne » au cessionnaire, la sous-location implique donc la coexistence de deux contrats distincts, étant entendu qu’il n’existe aucun lien contractuel entre le bailleur et le sous-locataire. En effet, il existe un contrat nº1 entre le bailleur et le preneur principal et un contrat nº2 entre le preneur principal et le sous-locataire  mais il n’existe pas de contrat entre le bailleur et le sous-locataire…

Et le principe d’exploitation personnelle alors ?

La sous-location implique donc, on l’aura compris, que les biens loués par le preneur principal au bailleur ne sont pas exploités par le preneur principal mais par le sous-locataire. En cela, la sous-locatation contrarie le principe de l’exploitation personnelle si bien que la loi en pose l’interdit de principe, comme un commandement biblique. Là où l’évangile dirait « tu ne sous-loueras pas les biens que tu loues à ferme », l’article 30 de la loi sur le bail à ferme, lui, édicte la règle suivante : « (…) le preneur de biens ruraux ne sous-loue pas en tout ou en partie le bien loué ou ne cède pas son bail en tout ou en partie sans l’autorisation du bailleur (…) ».

L’autorisation du bailleur

Comme toute bonne règle, l’interdit de principe de la sous-location est soumis à plusieurs exceptions qui sont, de près où de loin, similaires à celles qui prévalent en matière de cession de bail. Ainsi, l’exception première à l’interdit (exception, qui, en fait, n’en est pas vraiment une), consiste à obtenir l’autorisation du bailleur. Cette autorisation, dit la loi en son article 30 in fine, est, à peine de nullité, préalable à la sous-location (…)  et est donnée par écrit. Il semble toutefois, en pratique, que l’exigence de l’écrit est surtout une question de preuve à se réserver au cas où, ultérieurement, le bailleur ayant donné son accord verbal viendrait à le renier : « Verba volant, scripta manent », « Les paroles s’envolent, les écrits restent ».

La sous-location aux descendants

L’exception seconde à l’interdit concerne la sous-location familiale. De fait, l’article 31 de la loi sur le bail à ferme nous précise que : « Le preneur peut, sans autorisation du bailleur, sous-louer la totalité du bien loué à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, de son cohabitant légal ou aux conjoints ou aux cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs. Le preneur, à peine de nullité de la sous-location en informe le bailleur au plus tard dans les trois mois de la mise en sous-location (…) ».Traduction du commandement : « Tu ne devras pas demander l’autorisation du bailleur pour sous-louer à certains membres de ta famille visés à l’article 31 de la loi sur le bail à ferme ».

Deux choses importantes doivent être épinglées au sujet de l’article 31. La première est que la sous-location familiale ne requiert pas l’autorisation du bailleur pour autant et aux conditions qu’elle soit consentie à un parent éligible (liste à l’article 31) et qu’elle concerne la totalité du bien loué. Il ne saurait donc être question de morceler ou de diviser l’occupation du bien loué en créant une situation impliquant que le bien loué soit, en pratique, occupé pour partie par le preneur principal et pour partie par le sous-locataire, ce dernier fut-il parent légalement éligible du preneur principal.

La seconde chose à épingler concerne l’obligation de notification. Cette obligation est neuve (depuis la réforme entrée en vigueur en 2020). Elle contraint le preneur principal qui sous-loue à un parent à en avertir le bailleur dans les 3 mois de la mise en sous-location. La loi précise que l’irrespect de cette obligation de notification consiste en la nullité de la sous-location. On rappellera opportunément qu’en matière de bail à ferme, la loi prévoit les modes de notification en ses articles 2ter et 57 (voir quizz précédent). Cette obligation de notification semble justifiée : on conviendra en effet que la moindre des choses, lorsqu’on est autorisé à sous-louer sans devoir obtenir l’autorisation du bailleur, est, à tout le moins, de prévenir ce dernier.

Si le bail prend fin, la sous-location aussi

Pour le reste, il importe de rappeler que le contrat de sous-location vient forcément « en second » au contrat de bail principal tant et si bien que la loi précise, si besoin en est, en son article 32, que la sous-location ne peut se prolonger plus longtemps que le bail principal. Il en faut en conclure que, si le bail principal prend fin pour quelque raison que ce soit (congé, arrivée à terme, résiliation judiciaire…), le contrat de sous-location devra aussi prendre fin. Ceci est à ce point vrai que l’article 33 de la loi impose au preneur principal qui se voit notifier un congé par son bailleur ou qui fait face à un jugement de résiliation de bail de notifier au sous-locataire copie du congé ou du jugement et le tenir au courant de la suite qu’il y a réservée, selon le cas et sous peine de dommages et intérêts.

La sanction en cas d’irrespect

Cette brève parution s’achèvera par quelques mots sur la sanction en cas d’irrespect des dispositions légales relatives à la sous-location. Cette sanction est à trouver à l’article 29 de la loi sur le bail à ferme et consiste, pour reprendre les termes de la loi, à la résiliation du bail aux torts et griefs du preneur principal qui sous-loue en infraction aux prescriptions légales. De fait, sous-louer en infraction aux prescriptions légales constitue un manquement ou une faute contractuelle de nature à pouvoir justifier une demande du bailleur de « mise à mort du bail ». La loi exige toutefois que le bailleur fasse la démonstration de son dommage : autrement dit, la démonstration de la faute contractuelle consistant en la sous-location illégale doit être accompagnée d’une démonstration du dommage/préjudice dans le chef du bailleur. Cette exigence de démonstration du dommage a fait couler beaucoup d’encre dans la littérature scientifique juridique (la doctrine), d’aucuns considérant que la faute implique forcément le dommage… Disons simplement que toute situation doit être analysée au cas par cas et que le Juge conserve toujours, suivant la formule consacrée, sa « souveraine marge d’appréciation »

On aura chacun compris que, comme bien souvent en matière de bail à ferme, les règles sont complexes et bardées de nuances. Mieux vaut ainsi se faire conseiller pour éviter de faire des bêtises parfois irréparables : ne dit-on pas que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions…

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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