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Présidence belge: «nous avons une responsabilité envers les agriculteurs!»

La Belgique s’apprête à prendre les rênes de la présidence tournante du Conseil de l’UE dans un contexte politique général qui sera marqué par la fin du mandat de la commission von der Leyen, la volonté des acteurs européens de finaliser certains dossiers et de préparer l’avenir. Le ministre David Clarinval nous a apporté son éclairage sur ce qui attend le secteur agricole pour les six prochains mois.

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C’est la 13ème fois que notre pays assumera cette fonction à la tête de l’Union.

«Avec une superficie et une capacité de production supérieures à la France, l'Ukraine deviendrait, en cas d’adhésion à l’UE, le plus grand bénéficiaire des subventions agricoles, devant nos voisins français».
«Avec une superficie et une capacité de production supérieures à la France, l'Ukraine deviendrait, en cas d’adhésion à l’UE, le plus grand bénéficiaire des subventions agricoles, devant nos voisins français». - M-F V.

Conformément aux dispositions du Traité de Lisbonne, l’exercice intervient dans le cadre d’un trio de présidences constitué par l’Espagne, qui nous a précédés, et la Hongrie qui prendra notre relais le 1er juillet 2024.

Monsieur le ministre, quelle sera la principale ligne de force de la présidence belge ?

Nous avons voulu placer la souveraineté alimentaire au cœur de notre réflexion. C’est une dimension qui m’a particulièrement marqué en tant que ministre de l’Agriculture. La crise sanitaire a mis en lumière l’incapacité de nos entreprises à produire des masques et des produits d’hygiène pour nous protéger, tandis que le conflit russo-ukrainien a démontré combien nous dépendions de la Russie pour notre énergie. Il pourrait en être de même pour notre souveraineté alimentaire. Si l’on n’y prend pas garde et que nous ne mettons pas à disposition des agriculteurs des solutions qui permettent de rencontrer tous les défis actuels, nous pourrions en effet nous retrouver en situation de dépendance d’autres continents. Comme c’est déjà le cas depuis le début du conflit russo-ukrainien, nous continuerons donc à faire un point sur la situation des marchés. J’ai déjà rencontré à cet égard mes homologues tchèques, slovaques, luxembourgeois, danois et tous, à l’unisson, m’ont dit qu’il était indispensable de faire preuve d’anticipation et de trouver des solutions aux chocs de marché qui sont engendrés par l’arrivée des produits ukrainiens sur notre marché intérieur.

Quel sera le rôle de notre agriculture dans ce contexte précis ?

Il faut offrir à nos agriculteurs tous les outils pour leur permettre de produire en quantité et en qualité des denrées alimentaires pour l’Europe, mais aussi d’assurer les contrats que nous avons avec des pays tiers, notamment le nord de l’Afrique, qui dépendent de nous pour leurs céréales. Mais il faut aussi que ces mêmes agriculteurs perçoivent un revenu qui soit à la hauteur du travail qui leur est demandé. Or, on constate aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Enfin, je n’oublie pas que nous devons honorer nos engagements en matière de durabilité. Et je persiste à penser que c’est grâce aux nouvelles technologies et aux solutions innovantes que nous pourrons répondre à tous ces défis.

Justement, à propos des NGT auxquels vous vous êtes toujours montrés favorables, quelle va être

l’action de la Belgique ?

Les NGT constituent l’un des éléments qui nous permettra de répondre aux enjeux de l’agriculture de demain. Je mettrai tout mon poids dans la balance pour avancer sur le sujet, même s’il y aura une abstention au niveau de la Belgique en raison de l’opposition des écologistes et ce, alors que les libéraux y sont favorables. Mais cela ne m’empêchera pas, en tant que président du conseil des ministres européens de l’Agriculture, de travailler à dégager un compromis. Ce n’est pas parce que les écolos belges y sont opposés qu’il en irait de même pour les Bulgares, les Roumains ou les Polonais ! La présidence espagnole a beaucoup travaillé en amont en organisant huit réunions sur ce dossier. Il en ressort qu’une majorité de pays se dégage en faveur des NGT. Je pense que l’on pourrait parvenir rapidement à un accord à condition d’assouplir encore un peu le texte, notamment au niveau des contraintes en lien avec les brevets. Certains États membres sont inquiets que l’on puisse breveter trop facilement les semences traitées par NGT faisant que des nouvelles variétés végétales à très grande valeur ne seraient pas accessibles à tous. Je partage pour ma part ces inquiétudes car ce n’est pas aux agriculteurs à payer plus cher pour des semences qui auraient des performances supérieures.

En 2024, cela fera un an que la nouvelle Pac est en vigueur. Il échoira donc à notre pays de faire le point…

Nous allons lancer une procédure d’évaluation. Cela passera par une comparaison sur la manière dont les États membres ont mis en œuvre leurs plans stratégiques, peut-être corriger le tir, tenir compte des bonnes pratiques et amender la Pac actuelle, laquelle a quand même subi une forme de renationalisation, ce qui n’est pas sans poser pas mal de questions de concurrence entre les différents pays. Cette évolution de la Pac permet en revanche l’émergence d’initiatives nationales intéressantes. Je pense aux Néerlandais et aux Luxembourgeois qui se sont penchés sur l’élaboration d’un complément alimentaire pour réduire la production de méthane des bovins. Une démarche qui permettrait de rencontrer les objectifs de réduction de CO² sans pour autant devoir réduire le cheptel.

La Belgique devra-t-elle déjà songer à la prochaine Pac ?

Il faut, en effet, déjà entamer la réflexion sur la Pac d’après 2027. Mais il se posera aussi bientôt la question de la future adhésion de l’Ukraine à laquelle nos marchés sont déjà grands ouverts, que ce soit en au niveau des céréales ou des poulets, pour ne citer que ces deux secteurs. Avec une superficie et une capacité de production supérieures à la France, cela signifie que l’Ukraine deviendrait, notamment, le plus grand bénéficiaire des subventions agricoles, devant nos voisins français.

La présidence belge sera marquée par l’organisation des élections européennes prévues du 6 au 9 juin, et la campagne électorale qui se tiendra avant. Comment allez-vous gérer cette échéance ?

150 dossiers sont encore sur la table, heureusement pas tous en agriculture. Nous allons essayer de clôturer un maximum d’entre eux au début de notre présidence. Après les élections, cela n’aura plus vraiment de sens de discuter de ces textes puisqu’il y aura un nouveau collège européen. Aucun trilogue ne sera possible avant la fin 2024. Nous allons donc mettre à profit la période entre avril et juillet pour mener des séances de réflexions et mettre en place des groupes de travail afin d’insuffler à la future commission, à la nouvelle assemblée parlementaire, de nouvelles initiatives qui seront portées par la Belgique.

Concrètement, quelles seront-elles ?

Il s’agit d’abord la vaccination des volailles. Nous épousons en cela la ligne de la France, qui a décidé, pour la première fois en 2023, de vacciner les canards. Nous voulons permettre la vaccination pour les États membres qui sont demandeurs avec un cadre qui n’empêcherait pas l’exportation pour ceux qui le souhaiteraient. Nous voulons ensuite concentrer notre travail sur le dossier de l’antibiorésistance. Nous sommes fiers du travail déjà accompli en Belgique, notamment par l’Amcra (le centre de connaissances concernant l’utilisation des antibiotiques), et par les éleveurs qui ont déjà fourni des efforts considérables pour diminuer les doses d’antibiotiques à destination de leurs animaux. Des bonnes pratiques et une expérience dont nous pourrons faire bénéficier les autres États membres. Enfin, nous nous concentrerons sur l’autonomie protéique dans l’optique de créer une filière européenne à la fois forte et résiliente.

Comment la Belgique avancera-t-elle au niveau des différentes stratégies en lien avec le Pacte Vert quand on voit les profonds clivages au sein des différentes assemblées ?

Je comprends qu’il y ait eu une forme de révolte de plusieurs groupes politiques au parlement européen parce que le Pacte Vert qui était porté par Frans Timmermans et sa vision punitive de l’écologie, infantilisait les agriculteurs qu’il considérait comme des pollueurs. C’est totalement inacceptable. Tel que présenté par l’ancien commissaire, le Pacte Vert voulait faire une révolution contre les agriculteurs. Or, nous voulons entamer une évolution avec et pour eux. Pour ma part, je me réjouis que certains textes excessifs aient été balayés. En revanche, ce n’est pas pour autant que nous devons nous éloigner des ambitions et des objectifs de durabilité, lesquels doivent néanmoins être pragmatiques et mesurés. Il faut savoir qu’en Europe, nous sommes déjà les meilleurs élèves du monde. Pourquoi vouloir encore aller plus loin sans clauses miroirs vis-à-vis des autres continents qui produiraient moins chers avec moins de normes ?

Que vous inspire le rejet du règlement pesticides par le parlement européen ?

Les contraintes chiffrées et les interdictions qui étaient contenues dans le texte étaient imbuvables et excessives, et je suis également prêt à les enterrer. Par contre, et c’est le message que j’ai fait passer au niveau de la diplomatie, je pense qu’il existe quelques éléments sur lesquels nous pouvons travailler. Je songe au biocontrôle, pour lequel il n’existe pas de cadre, en permettant le développement de ce type de solution intelligente pouvant venir en complément des produits classiques. J’aimerais par ailleurs que l’on puisse autoriser la pulvérisation par drones qui n’est pour l’heure possible qu’à des fins expérimentales. On devrait aussi pouvoir s’appuyer sur l’IPM (Integrated Pest Management), la base de données développée par la commission qui comprend environ 1.300 exemples de pratiques, techniques et technologies de lutte intégrée contre les ravageurs.

Quel bilan tirez-vous de la présidence espagnole et plus particulièrement du travail accompli par votre prédécesseur à la tête du conseil, Luis Planas ?

La collaboration avec Luis Planas a été excellente. Nous avons pu compter sur une délégation et un homme qui connaissaient très bien leurs dossiers et ont la même vision pragmatique que la Belgique. Leur toute dernière avancée date de quelques jours avec l’adoption de la révision des directives dites « petit-déjeuner » qui ne nécessitera plus qu’un ultime trilogue sous l’égide de notre présidence.

Que ressentez-vous à quelques jours d’enfiler le costume de président du conseil des ministres européens de l’Agriculture ?

Il s’agit pour moi d’une responsabilité d’autant plus importante que nous évoluons dans le contexte d’une guerre qui fait rage aux frontières de l’UE. Et l’agriculture est en première ligne. Nous avons dû faire face aux réactions de pays qui ont décidé, par exemple, de fermer leurs frontières ou pris des sanctions à l’encontre de leurs voisins. Cela nécessite beaucoup de réactivité. Nous avons aussi une responsabilité à l’égard des agriculteurs et la Belgique aura la possibilité de mettre leurs préoccupations à l’agenda. Je ne vous cache pas que c’est assez exaltant car cela donne de l’amplitude à notre petit, mais beau pays.

Marie-France Vienne

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