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Pension et bail à ferme: des droits réduits pour le preneur pensionné

S’il est tout à fait possible de bénéficier d’une pension tout en poursuivant une activité d’agriculteur en tant qu’indépendant, la loi sur le bail à ferme ne favorise pas cette situation et écorne les droits des preneurs pensionnés.

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Ce n’est pas révéler un secret que de dire qu’il est parfaitement légal d’être cultivateur indépendant tout en bénéficiant d’une pension de retraite. Nombreux sont en effet les agriculteurs qui, ayant atteint l’âge légal de la pension, bénéficient d’une pension de retraite et poursuivent malgré tout une activité professionnelle de cultivateur en tant qu’indépendant.

Contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, la loi sur le bail à ferme n’y voit rien à redire et rien n’interdit donc d’être preneur à ferme et de bénéficier, en même temps, d’une pension de retraite. Mais, si la loi tolère ce genre de situation, elle ne la favorise cependant pas : elle écorne, en effet, les droits des preneurs pensionnés qui se trouvent dans des conditions particulières. Touchons en un mot à travers plusieurs articles de la loi qui illustrent ce « désamour »…

Mettre fin au bail selon l’article 8bis

Dans l’ordre de numérotation, citons d’abord l’article 8bis de la loi sur le bail à ferme. Celui-ci permet, à des conditions de temps avantageuses pour le bailleur, de mettre fin au bail en vue de confier l’exploitation du bien loué à un parent légalement éligible ou à une exploitation agricole étrangère à la famille du bailleur, voire en vue de vendre libres les biens loués.

L’application de l’article 8bis suppose d’abord et essentiellement que le preneur réponde à trois conditions cumulatives (les trois conditions doivent être réunies) : (1) le preneur doit avoir atteint l’âge légal de la pension, (2) il doit bénéficier d’une pension de retraite et (3) il doit ne pas pouvoir désigner un parent visé à l’article 34 de la loi comme susceptible de poursuivre son exploitation (fils, fille, beau-fils, belle-fille… ; l’article 34 détaille cette liste). Ce n’est que si ces trois conditions sont toutes réunies que le bailleur le souhaitant pourra envisager l’envoi d’un congé sur base de l’article 8bis.

Pour exploitation personnelle…

Le premier cas de figure visé par l’article 8bis est celui du bailleur qui est lui-même exploitant ou qui a un parent légalement exigible susceptible d’être bénéficiaire d’un congé pour le motif d’exploitation personnelle (conjoints, cohabitant légal, descendants, enfants adoptifs…).

Ce bailleur pourra alors notifier au preneur un congé pour le motif d’exploitation personnelle assorti d’un délai de préavis d’un an au moins et quatre ans au plus. Pareil congé pourra faire l’objet d’une contestation par le preneur dans les 3 mois de sa notification, auquel cas il reviendra au Juge de Paix de vérifier la bonne validité légale du congé notifié.

L’article 8bis, qui fonctionne par renvoi à d’autres dispositions légales, expose les conditions de validité d’un tel congé. Mais, si le preneur conteste le congé avec succès parce qu’il a pu démontrer qu’il avait un parent successeur, ce dernier devra cultiver dans un délai de 3 ans maximum à dater de l’envoi du congé, sous peine de voir le bail mis à mort sans préavis aucun…

… ou au profit d’une autre exploitation

Le second cas de figure est celui du bailleur qui n’est pas lui-même cultivateur ou qui n’a aucun parent éligible susceptible d’être bénéficiaire d’un congé pour le motif d’exploitation personnelle. En pareil cas, et pour autant toujours que le preneur en place réponde aux trois conditions susmentionnées, le bailleur pourra lui notifier congé pour exploitation personnelle au profit d’une exploitation viable ou d’une exploitation faisant l’objet d’un plan d’amélioration matérielle de l’exploitation démontrant des investissements faits ou à faire dans le but de créer l’exploitation, de la développer, d’augmenter ou de maintenir le niveau de ses revenus, c’est-à-dire, pour être clair, d’un bénéficiaire du congé pouvant être totalement étranger à la famille du bailleur. Dans ce cas, le délai de préavis est toujours d’un an au moins et quatre ans au plus.

Dans le même cas de figure, le bailleur peut également notifier un congé destiné à rendre les parcelles libres de tout bail, non plus pour exploitation personnelle, mais pour les aliéner (c’est-à-dire les vendre) à une même exploitation viable ou à une même exploitation faisant l’objet d’un plan d’amélioration matérielle… Ce dernier congé permettra donc au bailleur de rendre des terres libres de tout bail pour les vendre à un tiers.

À nouveau, ce type de congé peut faire l’objet d’une contestation par le preneur, dans les trois mois de sa notification. Qu’il s’agisse du congé pour le motif d’exploitation personnelle ou du congé pour aliénation, la loi prévoit en tout cas que l’exploitation viable ou celle faisant l’objet d’un plan d’amélioration matérielle… doit être entamée dans un délai de 6 mois à dater du départ des lieux du preneur.

Pour le reste, la matière étant plus que technique, le texte légal est un précieux allié. Toutefois, il ne faut jamais oublier qu’il est préférable de se faire conseiller, plutôt qu’agir à l’aveugle ou dans l’incertitude…

Il sera vu, prochainement, une seconde disposition légale écornant les droits du preneur pensionné.

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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