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«Si l’Ukraine perd, une guerre mondiale se profile à l’horizon»

Deux ans après que Poutine a ordonné à ses troupes d’attaquer l’Ukraine, la paix semble encore lointaine. Le journaliste agricole Iurii Mykhailov et l’agriculteur Tom Van Goey sont d’accord : ils n’auraient jamais pensé que la guerre en Ukraine durerait aussi longtemps.

Temps de lecture : 6 min

Si la guerre en Ukraine a commencé il y a deux ans, le conflit militaire y a débuté en février 2014. L’orientation de plus en plus occidentale de l’Ukraine et le fait que Poutine voulait à tout prix que le pays rejoigne le « pays d’origine » sont à l’origine du conflit. L’invasion de février 2022 n’est donc pas survenue de nulle part, mais elle a tout de même provoqué une onde de choc dans le monde entier.

Départ inattendu

Tom Van Goey, originaire de Stabroek, dirige une exploitation agricole à Tsjerkasy, une ville à une heure et demie de route de Kiev, avec son associé Wim De Schutter. Tom fait régulièrement la navette entre Anvers et Tsjerkasy, tandis que Wim vit en permanence en Ukraine. À deux, ils dirigent l’entreprise Granex, spécialisée dans les cultures et les travaux agricoles.

Il y a deux ans, Tom a été obligé de quitter le pays précipitamment lors de l’invasion russe. « Il y avait des rumeurs de soldats à la frontière, mais je n’ai jamais pensé qu’il y aurait une invasion », explique Tom. « Jusqu’à ce que des amis journalistes m’appellent en me disant de partir immédiatement.». Deux semaines après l’invasion, les Ukrainiens ont repoussé les Russes loin des provinces du nord et de la région de Kiev, ce qui a donné espoir aux deux associés que tout se terminerait bientôt.

Une épreuve d’endurance

Mais ce fut une véritable épreuve d’endurance. Iurii Mykhailov est journaliste agricole ukrainien et travaille depuis 28 ans à Kiev. Il explique que l’Ukraine n’était pas préparée à une attaque. D’après lui, Poutine a opté pour une tactique d’épuisement en réalisant que l’Ukraine n’allait pas se rendre facilement. « Il n’avait pas prévu non plus que l’Ukraine tiendrait aussi longtemps », explique Iurii. « Sans le soutien de l’Europe, des États-Unis, du Canada, de l’Australie, de la Corée et du Japon, le matériel de guerre aurait été épuisé en seulement un mois ».

Aujourd’hui, la ligne de front n’a pratiquement pas changé depuis plusieurs mois, mais de nombreux territoires sont bel et bien tombés aux mains des Russes. Le journaliste précise : « Avant, environ 7 % du territoire ukrainien était occupé par la Russie, comme la Crimée, le Donetsk et le Louhansk. Aujourd’hui, c’est environ 20 % ».

Défis économiques et logistiques

Le faible prix du marché intérieur et les coûts élevés qui pèsent sur les agriculteurs ukrainiens rendent les choses difficiles. À ça vient s’ajouter la hausse des prix du carburant, des engrais, des produits phytosanitaires, des pièces détachées et la dépréciation de la monnaie ukrainienne. Vivre et travailler dans les zones occupées est très difficile, et de nombreux agriculteurs ont dû abandonner leur exploitation. Mais tout n’est pas impossible. « Lorsque le chaos des premières semaines s’est calmé, Wim est retourné en Ukraine pour commencer les travaux de semailles », raconte Tom. « Moi je suis revenu en été. Ce n’était pas évident, mais nous avons pu poursuivre toutes nos activités comme d’habitude ».

Quelque 3.700 hectares sont cultivés par l'entreprise de cultures arables et d'agriculture contractuelle Granex, détenue par les Flamands Tom Van Goey et Wim De Schutter à Cherkasy. Elle emploie 80 personnes.
Quelque 3.700 hectares sont cultivés par l'entreprise de cultures arables et d'agriculture contractuelle Granex, détenue par les Flamands Tom Van Goey et Wim De Schutter à Cherkasy. Elle emploie 80 personnes. - Photo: Granex

La guerre a aussi limité les voies d’exportation de l’Ukraine, ce qui a eu un impact majeur sur le pays qui est orienté vers l’exportation de céréales. « Les navires russes ont bloqué les ports de la mer Noire, les principaux centres de stockage et de commerce du pays », explique Iurii. En juillet 2022, un accord sur les céréales avait pourtant été trouvé entre la Russie et l’Ukraine, garantissant l’exportation de céréales via plusieurs ports pendant un an. Mais l’été dernier, la Russie a quitté l’accord et l’Ukraine s’est retrouvée seule pour trouver une solution. Tom et Wim ont pris les choses en main et s’occupent eux-mêmes du transport de leurs céréales vers les ports improvisés du Danube. « C’est une manière coûteuse et très peu pratique de transporter nos céréales, mais il n’y a pas d’autre moyen », explique-t-il.

Enjeux géopolitiques

Aujourd’hui, la fin de la guerre semble plus éloignée que jamais. « Tant que Poutine restera au pouvoir et en bonne santé, je pense que la guerre durera encore au moins 2 ans », pense Tom. « À condition que les deux pays puissent s’approvisionner en matériel de guerre et en soldats ». Car avec 1.000 morts par jour des deux côtés, cela pose un gros problème. Il y a également une énorme pénurie d’équipement de guerre, et les avions de combat F16 que l’Europe a promis de livrer pourraient faire une énorme différence. « Aujourd’hui, nous recevons de l’aide par petits morceaux », expliquent Tom et Iurii. « Juste assez pour survivre, mais beaucoup trop peu pour regagner du terrain ».

Et selon le journaliste ukrainien, ce soutien des pays occidentaux ne doit pas seulement intervenir pour sauver l’Ukraine, mais aussi pour réduire l’emprise de la Russie sur le reste du monde. « Si la région d’Odessa tombe aux mains des Russes, l’Ukraine aura perdu tout accès à la mer », explique-t-il. « La voie sera alors ouverte pour la Russie vers la Moldavie. Ce qui veut dire que si nous perdons cette guerre, une guerre mondiale se profile à l’horizon. »

Tom Van Goey (à gauche), comme beaucoup d'autres organisations, fait pression pour obtenir des secours pour l'Ukraine depuis le début de la guerre.
Tom Van Goey (à gauche), comme beaucoup d'autres organisations, fait pression pour obtenir des secours pour l'Ukraine depuis le début de la guerre. - TVG

Superpuissance agricole

De son côté, Tom craint que Poutine ne soit pas encore satisfait, même s’il réussit à mettre l’Ukraine à genoux : « Il veut réunir tous les pays de l’Union soviétique, donc il est dans l’intérêt de tous de maintenir ce conflit en Ukraine ». Selon l’agriculteur, il est possible de mettre fin à cette guerre en utilisant des armes de haute technologie contre l’infrastructure militaire russe, mais l’augmentation de l’armée russe ne semble pas une bonne idée. « Les Russes ont combattu les Tchétchènes, qui se battent maintenant à leurs côtés. Imaginez dans 10 ans, des Ukrainiens formés qui se dirigent vers l’Europe avec les Russes ».

Dans la perspective d’une guerre qui pourrait durer longtemps, la vie en Ukraine continue donc tant bien que mal. « L’Ukraine dispose d’un énorme potentiel grâce à toutes ses ressources naturelles telles que le minerai de fer dans le sol, les routes d’exportation cruciales par la mer, les sols fertiles et une main-d’œuvre abondante et abordable », explique l’agriculteur belge. « Avec le soutien adéquat d’investissements étrangers, le pays pourrait devenir une superpuissance agricole ».

Les élections en Ukraine et en Russie devraient se tenir au printemps. En Russie elles sont connues pour leur caractère peu démocratique, avec le même résultat depuis plus de 20 ans. En Ukraine la question est surtout de savoir si et comment les habitants pourront voter. Tom explique : « Il est très difficile d’organiser cela maintenant, mais l’absence d’élections pourrait ébranler la confiance en Zelensky en tant que président ». Une confiance qui s’effrite déjà petit à petit…

Nele Kempeneers

Pennenvrucht

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