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Biosécurité : une mise en œuvre pas toujours aisée sur le terrain

En tant que premier maillon de la chaîne, l’agriculteur est confronté à la notion de biosécurité dans son quotidien. Parfois perçue comme un investissement peu rentable ou une contrainte par certains, elle est basée sur des pratiques simples et de bon sens pour d’autres. Deux éleveurs, l’un wallon, l’autre français, ont éclairé cette notion de leur expérience lors du récent symposium organisé par la Fesass à Bruxelles.

Temps de lecture : 6 min

À 57 ans, Yves-Marie Desbruyères a vu peu à peu s’évanouir les fermes de son village de Melles (Tournai) qui en comptait 24 en 1980. « Aujourd’hui, je suis le prochain à disparaître » déplore l’éleveur hennuyer qui possède un troupeau de 195 Blanc-Bleu-Belge et effectue 70 vêlages par an.

Hygiène et qualité du colostrum

Chez lui, biosécurité et gestion du troupeau vont de pair. Et cela commence dès la naissance des veaux et la mesure de la qualité du colostrum, source d’anticorps et d’énergie, à l’aide d’un réfractomètre pour prémunir au mieux ses animaux des maladies.

Ceux-ci seront isolés dans des niches pendant 15 jours à 3 semaines avant une mise en lot explique M. Desbruyères fervent défenseur du lavage et du nettoyage et particulièrement attentif à la désinfection des locaux et à une bonne préparation des vêlages.

L’éleveur, peu friand de concours, expertises et autres foires, ne court pas les rassemblements d’animaux, loin s’en faut. « C’est la meilleure façon d’éviter les maladies », indique-t-il en précisant derechef que la Flandre toute proche enregistre des cas de rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR) depuis la fin de l’année 2023.

Il accorde par ailleurs de l’importance à l’écornage et à l’importance de prodiguer des soins aux animaux malades après les animaux sains. 

L’insémination artificielle comme outil sanitaire

Pour optimiser la santé de son troupeau, M. Desbruyères n’a plus acheté d’animaux depuis 25 ans, et recourt à l’insémination artificielle qu’il considère « plus comme à visée sanitaire que d’amélioration génétique » pour gérer son élevage.

Il ne possède pas d’autre spéculation et pratique la vaccination intranasale à 8 jours contre les maladies respiratoires, dont l’histophilus, dès 15 jours.

Pourtant très attentif à ne pas introduire d’éléments extérieurs qui pourraient mettre en péril la santé de son troupeau, il a rencontré l’expérience d’une transmission horizontale de la « Neospora caninum » par le biais de l’un des deux chiens de troupeaux qui lui avaient été offerts. Si l’animal a pu rester sur la ferme, il n’est plus question qu’il entre en contact avec les bovins.

Biosécurité et bien-être animal

L’éleveur se montre par contre favorable à la présence de chats (« de grange ») qui ont l’avantage de faire fuir les étourneaux et les pigeons et d’écarter les rongeurs. Le petit félidé s’avère efficace pour contrôler les populations d’espèces indésirables potentiellement vectrices de maladies, dans les exploitations.. Pour Yves-Marie Desbruyères, constamment en recherche d’information et de communication pour protéger son troupeau, bien-être animal et biosécurité vont aussi de pair. C’est ainsi qu’il veille à lui garantir une alimentation et une eau en quantité et en qualité, un logement bien adapté avec des rainurages en béton pour améliorer la stabilité des animaux. C’est, enfin, aussi adapter les bâtiments au réchauffement climatique en faisant pénétrer la lumière par les côtés et non plus par le haut.

 La Normandie, une région herbagère exposée

Jonathan Lenourichel est un éleveur laitier à Formigny, très engagé au sein du groupement de défense sanitaire (GDS) du Calvados (Basse-Normandie) dont il est président.

Première région herbagère de France de par son climat, la Normandie est propice à la polyculture-élevage et compte sur son territoire près de 600.000 vaches laitières et plus de 220.000 bovins allaitants. Le bocage normand propose au fil de son paysage des prairies souvent entourées de haies naturelles et de vallons associant des bois.

La région se caractérise par une densité d’élevages assez élevée, une obligation de pâturage découlant des nombreux cahiers des charges (liés aux multiples AOP) et la présence de faune sauvage en raison de la proximité des forêts et des bois. Une richesse qui n’est pas sans comporter de nombreux risques, notamment en raison des contacts avec la faune mais aussi entre troupeaux voisins.

Résurgence de la tuberculose

Au niveau sanitaire, si le territoire est relativement sain car en voie d’éradication d’IBR et de BVD, il connaît depuis 10 ans une résurgence de la tuberculose. On y a trouvé une trentaine de cas qui sont notamment concentrés en « Suisse normande » (région naturelle à cheval entre le Calvados et l’Orne). Les autorités ont mis en place une surveillance renforcée de la faune sauvage (néanmoins, seuls deux blaireaux sur la centaine qui est testée tous les ans étaient positifs en 2023) et des mesures de contrôles.

L’ensemble des acteurs s’est mobilisé pour éviter de nouvelles contaminations. Une campagne de prophylaxie a commencé en novembre 2023 pour une durée de 6 mois. Et les mesures de biosécurité se sont imposées comme une évidence afin de limiter les contacts entre animaux de troupeaux différents.

 Mise en place de mesures de biosécurité

Des doubles clôtures entre certaines parcelles, des clôtures électriques séparatives à 1,20 m en cas de proximité de troupeaux ou encore un pâturage alterné entre voisins sont autant de mesures qui ont été appliquées dans un premier temps.

Les membres du GDS ont ensuite œuvré à une limitation des contacts avec la faune sauvage (sangliers, blaireaux) et posé des passages canadiens et clôtures et électriques 3 fils en bordure de forêt. Ils ont également travaillé au niveau de la gestion et du contrôle des points d’abreuvement, en rehaussant, notamment, les abreuvoirs.

Des éleveurs à convaincre !

Si ce paquet de mesures est indispensable pour éradiquer la maladie, il est généralement considéré comme une contrainte par les éleveurs, surtout si leur exploitation n’est pas touchée. « On a du mal à les amener à discuter de biosécurité » avance même M. Lenourichel, qui essaie pourtant, en tant que président d’un GDS, de les sensibiliser au quotidien. Et d’avouer que cela nécessite « beaucoup de communication et de persuasion du bien-fondé de sa mise en œuvre dans les exploitations ». Le GDS saisit toutes les opportunités pour aborder le sujet lors, par exemple, de fermes ouvertes au public, foires, manifestations diverses. Le but est d’inciter les éleveurs à la mise en place de mesures en leur offrant des cadeaux en lien avec la biosécurité (lave-bottes…).

Le financement reste toutefois le gros point noir pour un éleveur pour qui il s’agit d’un investissement non-productif. « Or, il est compliqué de demander à des exploitants qui dégagent moins de 500€ de revenu par mois d’investir entre 10.000€ et 20.000€ dans de la biosécurité » synthétise le président du GDS dont l’association a pu dégager des compléments de financement par les conseils départements et les interprofessions (lait et viande).

Mesurer les risques sur les exploitation s

L‘efficacité de la biosécurité est très difficilement mesurable. Dans le Calvados, Le GDS essaie d’objectiver les risques lors des audits en exploitation, via les relevés des passages d’animaux, les constatations de dégâts ou l’enregistrement des caméras de chasse. Pour Jonathan Lenourichel, sa mise en doit se faire parallèlement à une action de régulation de la faune sauvage et à la lutte contre la divagation et la déshérence bovine.

Marie-France Vienne

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