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NBT : une saga européenne à rebondissements

On les fait sortir par la porte, ils rentrent par la fenêtre. Les NBT et leur cohorte de débats suivis d’annonces puis d’atermoiements, s’invitent tour à tour depuis de long mois au conseil et au parlement européen où ils reviendront d’ailleurs une nouvelle fois à l’occasion de la dernière session plénière de la présente législature. Avec l’entrée en scène de l’Efsa appelée à se pencher sur le rapport de sa consœur française, l’Anses, ils s’offrent même un avant-dernier tour de piste cette semaine.

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Faisons un petit saut dans le passé. Avec les sols, les systèmes alimentaires durables, le gaspillage alimentaire, ou encore l’étiquetage, les NBT faisaient partie des grands domaines liés à l’agriculture dans lesquels la commission présentait des initiatives en 2023, selon le programme de travail qu’elle avait dévoilé en octobre 2022.

L’objectif des Institutions européennes était alors de conclure un compromis final avant les élections européennes de ce printemps 2024.

Une proposition en juillet 2023

Mais le chemin s’est en réalité avéré particulièrement sinueux et parsemé d’embûches. Après de multiples reports, la commission avait fini par présenter une proposition le 5 juillet 2023. Le texte prévoit de classer ces plantes modifiées par des techniques de mutagenèse ciblée ou de cisgénèse, en deux catégories.

La première recouvre celles équivalentes à ce qui pourrait être trouvé dans la nature ou qui pourraient être produites par sélection conventionnelle. Une limite de modifications de 20 nucléotides est également fixée au-delà de laquelle elles passent dans la seconde catégorie.

Ces plantes de première catégorie seraient exemptées des obligations de la directive OGM. Elles devraient seulement être notifiées par les semenciers et enregistrées dans un registre public. Un étiquetage des semences serait également nécessaire.

Les plantes de la deuxième catégorie sont, elles, soumises aux obligations de la directive OGM (évaluation d’impact, autorisation de mise sur le marché, étiquetage, suivi post-autorisation) mais leur procédure d’évaluation pourrait être allégée au cas par cas.

Un texte qui met le secteur en ébullition

La communication de l’Exécutif avait été rapidement suivie d’un flot de réactions très tranchées. À l’instar du Copa, on retrouvait d’un côté ceux qui saluaient un pas en avant pour enrichir la boîte à outils permettant aux sélectionneurs de mettre plus rapidement sur le marché de meilleures variétés de plantes, lesquelles doivent être accessibles dans tous les secteurs et toutes les régions pour aider les agriculteurs européens confrontés à de nombreux défis, notamment l’accélération du changement climatique.

De l’autre, les opposants au texte qui dénoncent un recul de la réglementation. Parmi ceux-ci, la coordination européenne Via Campesina (dont fait partie la Fugea) pour qui les consommateurs perdront leur droit à l’information, et à une alimentation sans OGM. Et d’ajouter qu’en interdisant aux États membres de refuser la culture de ces OGM sur leur territoire, la commission supprime de fait le droit des paysans de protéger leurs champs des contaminations génétiques et de cultiver sans OGM.

La présidence espagnole veut forcer le destin

La présidence espagnole (tout comme la Belgique) avait fait de la question des NBT l’une de ses priorités, espérant pouvoir finaliser une position commune des ministres européens de l’Agriculture sur la proposition de la commission avant la fin de son exercice en décembre 2023.

Si certains s’opposent à toute possibilité d’interdire au niveau national la culture de variétés NBT autorisées dans l’UE, d’autres États membres insistent sur l’interdiction d’utiliser les NBT en agriculture biologique, une disposition prévue par la commission. Ils réclament aussi l’étiquetage pour les consommateurs et surtout la possibilité d’interdire leur culture sur tout ou partie d’un territoire, deux éléments qui n’ont pas été prévus par l’Exécutif.

Tous se rejoignent toutefois sur un sujet : la brevetabilité des NBT qui devra être limitée au maximum.

Débats nourris au parlement

Mais les discussions se sont aussi largement jouées au parlement où l’enjeu restait de trouver un accord sur le partage des compétences entre la commission de l’Agriculture (Comagri) et celle de l’Environnement (Comenvi) avec, aux manettes, la démocrate-chrétienne Jessica Polfjärd.

En Comagri, les députés souhaitent largement alléger les mesures de traçabilité appliquées aux NBT. Ils suggèrent de supprimer toutes les obligations d’étiquetage appliquées aux semences de catégorie 1 et de catégorie 2. Ils veulent aussi, comme le propose la commission, une interdiction de l’étiquetage pour les consommateurs.

Et la commission de l’Agriculture veut également empêcher les États de prendre des mesures de coexistence s’agissant des NBT de catégorie 1. Enfin, les eurodéputés se prononcent pour une interdiction de tous les brevets déposés pour des plantes NBT, quelle que soit leur catégorie. Une demande portée par de nombreux pays.

La proposition de la commission adoptée mais amendée

Le parlement adoptait finalement, le 7 février dernier, les grandes lignes de la proposition de la commission mais avec, contre toute attente, des amendements portés par les écologistes et les sociaux-démocrates (voir votre Sillon Belge du 15 février) quant à la traçabilité et l’étiquetage tout au long de la chaîne alimentaire.

On notera par ailleurs que les eurodéputés ont demandé l’interdiction totale des brevets déposés pour l’ensemble des végétaux NBT. Il a par ailleurs été demandé à L’Exécutif d’élaborer un rapport, d’ici à juin 2025, sur cette question et présenter une proposition législative visant à actualiser en conséquence les règles de l’UE en matière de droits de propriété intellectuelle.

Le parlement a toutefois repoussé les amendements plaidant pour rendre obligatoire la publication des procédés permettant de détecter et d’identifier NBT.

L’Efsa et l’Anses entrent dans la danse

Le débat aurait pu s’arrêter là. Mais c’était sans compter sur la ténacité du social-démocrate français Christophe Clergeau, qui a poussé le parlement à demander à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) d’analyser le rapport, publié le 6 mars, de l’Autorité française de sécurité sanitaire (Anses) sur les méthodes d’évaluation des risques des NBT, et les enjeux socio-économiques qui leur sont liés.

L’agence française estime notamment que le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes.

Aussi, elle recommande d’adapter l’évaluation de ces plantes au cas par cas, à l’aide d’un arbre décisionnel adapté à une approche graduée des risques. Estimant en outre que certains risques identifiés pour les NBT ne sont pas radicalement différents de ceux découlant des techniques de transgénèse, l’organisme français recommande également la mise en place d’un mécanisme de suivi global.

Par ailleurs, l’Anses a identifié plusieurs enjeux majeurs à prendre en compte dans la réglementation, comme la propriété intellectuelle liée aux brevets autour de la création variétale et la concentration du secteur.

Rendez-vous le 24 avril

Pendant ce temps, les discussions patinent encore au niveau des États membres qui ne parviendront pas à finaliser leur position avant la fin de la législature. Le parlement devrait quant à lui une nouvelle fois se prononcer sur le projet de règlement en plénière le 24 avril afin de clore l’examen du texte en première lecture.

Marie-France Vienne

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