Par ces temps incertains, où se situe l’avenir de nos productions de fruits et légumes?

Le marché intérieur de l’Union européenne est et reste un marché sûr  et stable pour les produits agricoles et horticoles, tant  en volumes qu’en valeurs.
Le marché intérieur de l’Union européenne est et reste un marché sûr et stable pour les produits agricoles et horticoles, tant en volumes qu’en valeurs.

Il est clair que la politique commerciale, au niveau mondial, est plus complexe que jamais. Le Brexit, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis… ont notablement changé le climat dans le domaine commercial, certainement pour nous, les Européens. Une bonne raison pour la fédération belge des coopératives horticoles qui a fait le point en invitant des spécialistes dans le secteur des fruits et légumes.

Selon Rita Demaré, la prolongation de l’embargo russe rend obligatoire le renforcement des marchés existants et la recherche de nouveaux marchés, même hors Europe. C’est une obligation absolue pour le secteur belge des fruits et légumes, car il est caractérisé par une nette autosuffisance.

Sans exportation, le secteur horticole belge ne serait plus que l’ombre de lui-même. En effet, l’exportation représenterait, en moyenne, 50 % de la production. Pour les poires, l’exportation représente même 90 % de la production. Le secteur a un effet positif sur notre balance des paiements, et il procure donc des rentrées financières et un certain bien-être pour notre pays. Il est donc nécessaire de découvrir de nouveaux débouchés.

Le marché européen

Philippe Binard, délégué général de Freshfel Europe, la filière européenne des fruits et légumes commercialisés en frais, a analysé l’évolution des productions et exportations des fruits et légumes belges et de l’Union européenne. La production européenne de fruits et légumes, destinés au marché du frais, tourne autour de 75 millions de tonnes. La Belgique cultive 1,5 % de la production européenne. L’exportation européenne atteint 6 millions de tonnes, pour une valeur de 5 milliards d’euros.

Les exportations sont contrebalancées par des importations atteignant 14 millions de tonnes, pour une valeur de 15 milliards d’euros. Les chiffres des importations sont à la hausse, et la raison en est simple, dit Philippe Binard. La consommation de fruits exotiques comme la banane, les ananas et les avocats est en hausse.

Pour les exportations, l’embargo russe a été un cataclysme. On exporta, en 2014, environ 1,4 million de tonnes vers la Russie. Une chute énorme puisque l’exportation est retombée à 70.000 tonnes en 2016. Les Européens exportent à présent, majoritairement, vers la Biélorussie, la Suisse et la Norvège.

Le marché intérieur reste, c’est évident, un débouché stable et sûr, tant en volume qu’en valeur. Au cours de la décennie écoulée, le commerce intérieur de l’Union européenne a augmenté de 23 %, soit un total de 31 millions de tonnes, tandis que la valeur a crû de 56 %, soit 32,5 milliards d’euros.

La France, un marché important pour nous

Les données d’exportation sont connues pour les fruits et légumes belges. En fruits, la France est la destination la plus importante, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne sont également des débouchés à ne pas négliger. Quinze pourcents des exportations de fruits ont pris la direction de la Russie en 2014. Ce n’était plus que 0,2 % en 2016.

En légumes, l’exportation, à 80 %, a trois destinations principales : la France, 33 % ; les Pays-Bas, 32 % ; l’Allemagne, 25 %.

Rita Demaré: «Trouver de nouveaux débouchés est une obligation!»
Rita Demaré: «Trouver de nouveaux débouchés est une obligation!»

Marchés internationaux incertains

Jonathan Holslag, conseiller spécial du Commissaire européen Timmermans, souligne que l’embargo russe n’est pas la seule raison de la grande incertitude des marchés au niveau international. Le président des Etats-Unis Donald Trump a, parmi ses premières décisions politiques, revu notablement la politique américaine de libre-échange, cette décision a des conséquences immédiates pour les partenaires commerciaux des USA, et notamment pour les Européens. En outre, on constate une recrudescence de conflits armés, comme en Ukraine et au Moyen-Orient. Le monde est à la croisée des chemins. Nous avons pu surmonter la crise de 2008, mais les problèmes sous-jacents ne sont pas résolus.

J. Holslag note quatre tendances influençant l’incertitude internationale actuelle. Une des explications, très importante, c’est la position du monde occidental qui s’affaiblit rapidement par rapport à des pays émergents comme la Chine et l’Inde, avec la conséquence que le pouvoir d’achat s’y est à peine accru depuis 2008. Un autre constat : le poids politique de l’Europe s’amoindrit au niveau mondial. Ce fait a des conséquences non négligeables dans les négociations commerciales, mais aussi dans la lutte contre la distorsion de concurrence. Cet affaiblissement économique se répercute également au niveau militaire. Tout cela peut aussi influencer les marchés.

Une autre évolution se remarque par une modification dans la nature de la demande. On affirme qu’il y a une croissance économique, mais la population ne le ressent pas dans un accroissement du bien-être et de la consommation.

Une troisième évolution concerne la raréfaction des matières premières telles que l’énergie et l’eau, ce qui occasionne également des conflits dans plusieurs pays et régions du monde.

La dernière évolution citée par J. Holslag est la façon dont les personnes traversent les crises. Dans les pays à très haut niveau de vie, on déplore de plus en plus de dépressions et burn-outs chez les jeunes. Le bien-vivre régresse et certains jeunes se radicalisent. Tout cela assombrit le paysage politique, mais aussi le marché.

Si nous ne parvenons pas à trouver la parade à ces tendances, il est à craindre que les turbulences actuelles vont se poursuivre, voire s’accentuer, de même que le protectionnisme et l’animosité entre les pays. Quelques signes précurseurs sont assez évidents. Aux États-Unis, par exemple, la confiance vis-à-vis des autorités politiques atteint un creux absolu, et la demande de protectionnisme est, au contraire, très forte : 65 % des Américains sont en faveur de mesures protectionnistes…

Toujours selon Jonathan Holslag, nous n’évoluons donc pas vers un monde où les frontières s’affadissent, mais plutôt vers un monde fragmenté. L’Europe pensait qu’il est bon d’avoir un monde avec beaucoup d’acteurs, mais ce n’est, à l’évidence, plus le cas.

L’agriculture, pensée comme un marché…

Il y a une évolution dans la conception de la politique économique, et cela se voit bien en agriculture. En Europe, nous considérons l’agriculture comme un marché, où le meilleur doit gagner, et on enrobe le tout avec les concepts de qualité, avec un bon marketing, de la logistique et la production durable.

Philippe Binard: «Même si la Belgique exporte la moitié de sa production de fruits et légumes, elle est un petit acteur dans le concert européen.»
Philippe Binard: «Même si la Belgique exporte la moitié de sa production de fruits et légumes, elle est un petit acteur dans le concert européen.»

… comme un secteur essentiel

Les autres pays considèrent leur agriculture d’une toute autre façon : pour les pays émergents comme la Chine, la sécurité économique est importante. On constate une avancée du nationalisme économique dans le monde : des moyens publics sont utilisés pour casser les marchés extérieurs. C’est ainsi que les commerçants reçoivent une aide pour se placer à l’international. Un exemple : l’Etat chinois prévoit chaque année un budget de 42 milliards de dollars à ses champions nationaux pour qu’ils puissent favoriser leurs marques. Et c’est bien là, la différence avec l’Europe : nous pensons en termes de marché, les Chinois pensent en termes d’Etat.

Un autre aspect très important, c’est l’aide à l’emploi agricole. En Europe, l’agriculture n’est pas considérée comme une priorité. Il en est tout autrement dans des pays comme la Chine, l’Inde ou les États-Unis, où les secteurs agricole et horticole sont considérés de façon plus stratégique.

Un troisième point, c’est la création de champions agricoles. Ces derniers sont des acteurs financés et soutenus par l’Etat dans l’objectif de prendre une part de marché importante dans le marché intérieur, afin de grandir et de repousser les acteurs étrangers. Ces champions agricoles sont soutenus pour atteindre le sommet en matière de qualité et de sécurité. Les Chinois ne veulent pas dépendre de fournisseurs étrangers et veulent bloquer leurs bénéfices.

Un autre aspect a trait à la classe moyenne qui, dans les pays en développement, est considérée comme une opportunité pour les entreprises intérieures. La classe moyenne doit favoriser la croissance des entreprises chinoises. Il y a donc un « clash » entre différentes civilisations. Contrairement à la Chine, à l’Inde et aux Etats-Unis, nous mettons bien moins en avant les intérêts nationaux en matière de politique agricole, et cela peut devenir une menace.

Retour vers un « monde normal »

Il y a évidemment d’autres problèmes. J. Holslag cite les déséquilibres dans l’Eurozone, les tensions avec les puissances régionales comme la Russie, l’instabilité des régimes politiques et diverses régions d’Asie, et une possibilité de conflit entre la Chine et les Etats-Unis. Pendant des dizaines d’années, on a eu la paix, des progrès et des visions d’avenir… et c’est anormal, selon Jonathan Holslag. C’est dû au fait que les Etats-Unis étaient, et de loin, la plus grande puissance militaire, et personne n’osait broncher. Cette période fut également possible parce que notre économie avait atteint une productivité que personne, parmi nos concurrents, ne pouvait approcher.

« Nous sommes à présent dans un ordre mondial de politique de puissance, d’intérêts nationaux, de volatilité et d’insécurité. Celui qui est le plus souple, le plus flexible gagne. C’est pourquoi il est important de réfléchir à la façon de rendre plus souples nos secteurs agricole et horticole.

M. V. et J.F.

Comment renforcer les secteurs agricole et horticole dans le monde?

Il est bon d’avoir une consommation élevée. Il est essentiel d’investir pour y parvenir. Il faut certainement investir au niveau des enfants, par la promotion des fruits et légumes dans les écoles. Les enfants sont les adultes de demain. Le secteur des fruits et légumes doit également investir dans ce qui est sensation. Le consommateur doit se sentir davantage impliqué. Le fruit ou le légume doit être relié avec une sensation, une histoire.

Sécurité, qualité, authenticité

Trois choses sont essentielles dans l’exportation.

La sécurité sanitaire est un premier point important pour la vente (selling point). Le logo « Made in Europe » est à considérer comme une marque de qualité et de sécurité pour nombre de pays, car il donne une assurance d’absence de produits dangereux pour la santé.

Un deuxième aspect est la qualité et le goût. Beaucoup de pays asiatiques ont une culture du goût et d’une large consommation. Ce doit être aussi le cas pour les fruits et légumes.

Une remarque spéciale à propos de l’authenticité. Les Asiatiques et les Américains sont fous des contes, des histoires sur les rois et les princes (les Asiatiques aiment en général notre maison royale), des châteaux, cloîtres et monastères… On peut en profiter pour la vente des fruits et légumes. Une photo du roi avec une poire Conférence, cela peut marcher pour la promotion de nos poires. Dans les bars asiatiques, les bières sont associées avec l’abbaye où elles ont été brassées. On peut connecter la classe moyenne asiatique avec les agriculteurs belges. Un pays peut également servir comme référence (selling point), et dans ce cas, c’est aux autorités à jouer leur rôle. Les images de qualité et de sécurité sanitaire doivent à tout prix être conservées.

Jonathan Holslag : «Nous n’évoluons pas dans un monde où les frontières s’évanouissent, mais au contraire dans un monde de plus en plus fragmenté.»

Du réalisme à l’exportation

Il faut rester réaliste lorsqu’on exporte. Les autorités doivent investir en matière de risque (risk assessment). Le marché devient volatil et il importe d’anticiper sur ce qui peut arriver. Il faut également découvrir très rapidement les concurrents.

À terme, la Chine peut cultiver la Conférence, parce que certaines provinces chinoises ont des climats comparables à celui de la Belgique. Il est au moins nécessaire d’envisager cette option. Les marchés d’exportation actuels peuvent devenir, demain, des concurrents. La flexibilité et la résilience sont aussi essentielles pour notre pays, car nous ne pouvons pas concurrencer au niveau de l’échelle. Nous devons être capables de nous adapter à une demande qui change et évolue. La filière logistique doit également pouvoir réagir rapidement. Enfin, un soutien diplomatique est nécessaire et il faut également investit à ce niveau.

Aide aux producteurs

Depuis le 1er juin, les producteurs européens de fruits et légumes peuvent profiter de mesures plus simples, d’une administration réduite et d’un soutien financier accru. Un de ces changements concerne une aide plus importante lorsque les produits doivent être retirés du marché. Les prix de retrait vont de 30 à 40 % du prix européen moyen pour la distribution gratuite (via les banques alimentaires, etc.) et de 20 à 30 % pour les retraits destinés à d’autres objectifs (compost, alimentation animale, distillation…).

Les organisations de producteurs dans lesdits secteurs doivent rendre les nouvelles mesures plus attrayantes pour les producteurs non-membres, en rendant plus visibles les actions que les organisations de producteurs peuvent enclencher pour activer les aides au financement européen (comme les investissements en technologie).

De nombreux membres d’une organisation de producteurs font, traditionnellement, de la vente directe, notamment via les marchés locaux. La Commission européenne y est sensible : les nouvelles mesures fixent le pourcentage maximum d’un produit qui peut ainsi être commercialisé à 25 %. Cette règle remplace le système précédent d’un seuil minimum au niveau européen et d’un certain nombre de seuils maximum au niveau national.

Enfin, les règles sont simplifiées et plus claires pour les organisations transnationales de producteurs et leurs associations, dans l’objectif de rendre possible un marketing transfrontalier.

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