Quand l’assiette devient tribunal

Publié la semaine dernière, le rapport de la commission EAT-Lancet se présente comme une boussole scientifique pour guider l’humanité vers un « régime de santé planétaire ». L’ambition est claire : réduire les protéines animales, privilégier céréales, légumineuses et légumes, afin de sauver à la fois les corps et le climat. Le récit est séduisant. Mais derrière cette promesse globale se cache une vision trop simplifiée de la réalité alimentaire.
Car l’alimentation n’est pas une équation que l’on résout dans un laboratoire. Elle est culture, identité, héritage, plaisir. Elle s’enracine dans des sols, des climats, des pratiques agricoles diverses. Croire qu’un modèle unique pourrait convenir à tous relève d’un universalisme naïf. Le rapport EAT-Lancet, malgré ses précautions méthodologiques, prend le risque d’effacer ces différences au profit d’une norme abstraite. Cette approche soulève deux écueils. Le premier est social : imposer des changements radicaux sans tenir compte des conditions économiques et culturelles, c’est fragiliser des millions de familles dont l’alimentation repose encore sur des produits animaux accessibles et nutritifs. Le second est politique : ériger une assiette idéale en impératif moral, c’est ouvrir la porte à une polarisation stérile entre « bons » et « mauvais » mangeurs. Certes, la transition est nécessaire. Personne ne conteste l’urgence de réduire les excès, de limiter le gaspillage, d’encourager des pratiques agricoles plus sobres. Mais prétendre que la solution réside dans une réduction uniforme et drastique de la viande à l’échelle planétaire, c’est ignorer les contextes, les terroirs, les dynamiques locales. C’est confondre le signal d’alarme avec la feuille de route.
Le rapport vaut d’être lu, débattu, critiqué. Il n’est pas une sentence, mais une contribution au débat. À condition de ne pas céder à la tentation du dogme : car l’avenir de notre alimentation se construira moins dans les injonctions globales que dans les choix collectifs, ancrés dans la diversité des sociétés et des territoires. Reste une évidence : l’assiette est politique. Elle dit notre rapport au vivant, à la planète, mais aussi aux autres. Si le rapport EAT-Lancet 2025 a le mérite de poser l’urgence, il appartient désormais aux sociétés de traduire cette alerte en solutions concrètes, adaptées et justes. À l’uniformité des prescriptions, préférons la richesse des réponses. Car réduire l’avenir de l’alimentation à une équation universelle, c’est prendre le risque de transformer un projet de santé publique en instrument de division. Et rappelons-le, sans les agriculteurs, sans leur capacité d’adaptation et leur savoir-faire, aucune transition alimentaire crédible ne pourra voir le jour.