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Des dédommagements pour les dégâts de gibier sur les terrains non-agricoles

Dans l’Arrêt nº 127/2017 du 9 novembre 2017, la Cour constitutionnelle a tranché une question préjudicielle relative aux articles 1er et 3, alinéa 2, de la loi du 14 juillet 1961 « en vue d’assurer la réparation des dégâts causés par le gros gibier », posée par le tribunal de première instance de Namur.

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On peut déduire deux choses importantes de ce nouvel arrêt. Premièrement, la présomption juris et de jure de responsabilité, dérogatoire au droit commun, dans le chef du titulaire d’un droit de chasse ou du propriétaire d’une parcelle boisée, survit à ce contrôle de la Cour constitutionnelle. Deuxièmement, la jurisprudence de la Cour de cassation dit que les règles de réparation des dégâts causés par le gros gibier valent également pour les terrains non-agricoles.

La loi du 14 juillet 1961

En 1961, le parlement fédéral a ajouté une loi spécifique, en parallèle de la loi sur la chasse, pour donner aux victimes un meilleur moyen de réparer des dégâts causés par le gros gibier. Dans la loi du 14 juillet 1961 en vue d’assurer la réparation des dégâts causés par le gros gibier, il est inscrit que les titulaires du droit de chasse doivent en tout cas dédommager les dégâts causés aux champs, fruits et récoltes par le gros gibier provenant des parcelles boisées sur lesquelles ils possèdent le droit de chasse.

S’il n’y a pas de titulaire du droit de chasse, la responsabilité incombe au propriétaire de la parcelle boisée. La loi a explicitement prévu que les titulaires du droit de chasse et les propriétaires des parcelles boisées ne puissent invoquer le cas fortuit, ni la force majeure.

La responsabilité des titulaires du droit de chasse est engagée si la personne lésée démontre que le gibier provient des parcelles boisées sur lesquelles ils possèdent le droit de chasse. Il s’agit d’un fait juridique dont l’existence peut être prouvée par toutes voies de droit.

Définition de gros gibier

Le premier article de la loi du 14 juillet 1961 explique ce que l’on entend par « gros gibier ». Il s’agit des cervidés, chevreuils, daims, mouflons ou sangliers provenant des parcelles boisées.

Le but essentiel et premier de la proposition de loi était de permettre l’indemnisation des agriculteurs appartenant à des régions déshéritées ou plus pauvres de la province du Luxembourg, dans lesquelles les dégâts sont limités à un territoire assez restreint, et également à permettre l’indemnisation des dégâts causés par le gros gibier. Entre-temps tout le pays a rencontré la problématique du gros gibier, comme l’augmentation du nombre de sangliers dans les différentes régions belges le prouve.

Délai court pour lancer une procédure

Dans la loi du 14 juillet, le pouvoir législatif a prévu un délai vraiment court pour lancer une procédure judiciaire, si l’agriculteur veut demander une indemnité. L’article 3 stipule que l’action doit être intentée dans les six mois du dommage et, en ce qui concerne les cultures, avant l’enlèvement de la récolte. La loi prévoit donc un régime de prescription particulièrement strict.

Qui citer devant la justice ?

Pour les victimes de dégâts du gros gibier, il n’est pas toujours évident de savoir qui a le droit de chasse sur les bois qui sont autour de leurs parcelles. C’est pourquoi l’action en justice peut être intentée contre le propriétaire des biens, sauf au dit propriétaire à appeler le titulaire du droit de chasse en intervention et garantie.

Rappelons sur ce sujet que la loi du 14 juillet 1961 n’exige pas que la parcelle boisée, d’où il est établi que provient le gros gibier qui a causé les dégâts, jouxte celle qui les a subis.

La présomption irréfutable

Dans la loi du 14 juillet 1961, la présomption de responsabilité est dite juris et de jure, dans le chef du titulaire d’un droit de chasse ou du propriétaire d’une parcelle boisée. Cela signifie qu’il s’agit d’une présomption irréfutable. Le principe est que les titulaires des droits de chasse dans les bois d’où proviennent les gros gibiers sont présumés juris et de jure responsables des dégâts causés aux cultures riveraines. Le titulaire de droit de chasse ou le propriétaire des parcelles boisées ne peut donc pas se libérer de ses responsabilités.

Il ressort des travaux préparatoires de la loi en cause que le pouvoir législatif entendait assurer la réparation des dégâts causés par le gros gibier à l’égard de personnes lésées qui étaient souvent dans l’impossibilité d’obtenir cette réparation dès lors qu’elles étaient tenues de prouver une faute dans le chef de l’auteur présumé du dommage, preuve qui était le plus souvent impossible à rapporter.

Dans son arrêt de 9 novembre 2017, la Cour Constitutionnelle décide qu’il est logique de traiter de manière identique les titulaires d’un droit de chasse ou les propriétaires de parcelles boisées sur lesquelles un droit de chasse est exercé, que les dommages soient causés par le gros gibier à des champs, fruits et récoltes ou à des pelouses d’agrément.

En effet, la circonstance que les dommages soient causés à des pelouses d’agrément ne permet pas de justifier que les victimes ne puissent être indemnisées des dommages ainsi causés à leur propriété par le gros gibier, tout comme le sont les personnes lésées qui sont propriétaires de terrains d’exploitations agricoles alors qu’elles sont placées dans des situations identiques. À court terme, la Cour constitutionnelle trouve que ladite loi n’est pas contraire aux principes d’égalité et non-discrimination.

Pour les non-agricoles

En 2013, la Cour de cassation a décidé que l’action en réparation du dommage causé par le gros gibier aux champs, fruits et récoltes, dont répond le titulaire du droit de chasse sur des parcelles boisées dont provient ce gibier, intentée contre le propriétaire de ces parcelles, vise le dommage causé à toute végétation cultivée, en dehors de ces parcelles, aussi aux pelouses et parterres destinés à l’agrément. Avant cet arrêt de la Cour de cassation, une partie de la jurisprudence prétendait que seuls les dégâts aux cultures agricoles peuvent être indemnisés sur base de la loi du 14 juillet 1961.

Grâce à la question préjudicielle posée à la Cour constitutionnelle, au départ de l’arrêt de la Cour de cassation, il n’y a plus de discussion sur le fait que le propriétaire, locataire ou occupant d’une pelouse, terrain de football, parterre, terrain de golf, etc. peut se baser sur la loi du 14 juillet 1961 pour faire indemniser les dégâts causés par le gros gibier.

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