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Rencontre avec Marianne Streel, Présidente UAW:«Je vis à fond l’instant présent!»

Tout le monde la connaît en tant que Présidente de l’Union des Agricultrices Wallonnes (UAW) mais, Marianne Streel, c’est aussi une chef d’exploitation, une épouse, une mère de famille… avec ses valeurs, ses passions, ses bonheurs, ses blessures, une histoire !

Temps de lecture : 11 min

F ranche, dynamique, investie et attachante… quelques adjectifs qui viennent rapidement à l’esprit lorsqu’on croise la route de la Présidente de l’UAW. Passionnée d’agriculture et par son travail syndical, Marianne n’en reste pas moins une épouse et mère de famille accomplie. Au quotidien, elle virevolte entre toutes ses casquettes avec une aisance déconcertante. Et quand on lui demande comment elle fait, elle répond simplement : « Je vis l’instant présent ! ». Elle nous dit tout sans tabous…

Le Sillon : Tu es fille d’agriculteurs mais tu ne te destinais pas vraiment à une carrière agricole… ?

Je descends de plusieurs générations d’agriculteurs du côté maternel et paternel. J’ai la grande chance d’avoir été élevée dans une famille agricole. Mes parents possédaient une exploitation en grandes cultures dans la région de Liège et, dès que le travail au champ se calmait, ils nous emmenaient passer le week-end, mes deux sœurs et moi, chez nos grands-parents maternels qui possédaient une exploitation de cultures et de Blanc-bleu en Thudinie. Je baignais dans l’agriculture mais je ne me voyais pas agricultrice. J’ai par contre toujours voulu faire du droit. J’ai donc entrepris un graduat en sciences juridiques et un stage de deux ans d’huissier de justice. À la fin de ce stage, je me suis mariée avec Michel. Il provenait de la Bruyère, dans la région de Namur, et souhaitait par-dessus tout devenir agriculteur. Pour y arriver, après ses études, il a fait des formations et des stages dans diverses exploitations de grandes cultures et d’élevage, notamment à Clavier, chez Léo et Bernadette Cassart. Quand il a été prêt, il a choisi de cultiver lui-même les parcelles appartenant à sa famille et nous avons créé notre exploitation.

À l’époque, tu ne travaillais pas sur l’exploitation ?

Non, j’étais clerc de notaire. Nous trouvions pertinent que l’un de nous conserve une activité à l’extérieur, de plus, c’était également une nécessité pécuniaire. Malheureusement, En 1994, mon mari est décédé dans un accident de voiture alors que j’attendais notre second enfant. J’ai alors dû faire un choix : soit laisser tomber l’agriculture, soit arrêter mon travail au notariat. J’ai choisi la seconde option. C’était assez logique finalement, j’étais issue de la terre et je voulais continuer ce que nous avions construit avec Michel.

Après un tel événement, se retrouver seule à la tête d’une ferme, cela n’a pas dû être simple ?

J’étais évidemment pleine de douleur, de tristesse et de doutes. Je me disais que je n’aurais plus jamais une vie normale. Je m’interrogeais sur l’avenir et l’éducation de mes enfants, Pierre et Philippine… Mais, quand tu te retrouves dans une situation comme celle-là, soit tu croules, soit tu prends les difficultés en main et tu avances. Il faut être capable de trouver de la force dans des petites choses et, c’est ce que j’ai fait. Michel m’a toujours dit qu’il voulait que nous ayons une vie de famille de qualité, que nous évoluions dans une ambiance sereine et renvoyions une image positive à nos enfants. Je savais qu’il était fier de tout ce qu’on avait construit. Tout cela m’a porté. Le fait d’avoir eu une jeunesse heureuse m’a aussi très certainement aidé à m’en sortir.

Pour la gestion de l’exploitation, cela a également été un peu dur au début car mon mari gérait beaucoup de choses. Heureusement, il était très organisé. Et comme pour le reste, j’ai aussi eu la chance d’avoir ma famille et ma belle-famille autour de moi. Les premiers mois, j’ai également pu compter sur l’entraide des personnes avec lesquelles nous travaillions.

Mon cousin germain, Gauthier, m’a rejoint sur l’exploitation et, soutenu par mon papa, il a pris en charge l’aspect pratique. Tout ce qui n’était pas travaux aux champs ; la gestion, l’administration et les décisions ; c’était moi et, il n’était pas question que l’on me prenne un cm² de cela. Durant trois ans, on a formé une superbe équipe mais il a eu la chance de rejoindre la ferme familiale et j’ai dû revoir mon organisation.

C’est à ce moment que tu as pris la décision de travailler avec un entrepreneur ?

Pas tout de suite mais, à moyen terme, plusieurs éléments m’ont poussé à prendre cette décision.

Après le départ de Gauthier, je n’ai pu retrouver la complicité et l’entente que j’avais avec lui dans le travail.

Ensuite, quelques années plus tard, les bâtiments de ferme ont été mis en vente. J’aurais pu reconstruire une maison et un hangar mais, tout aurait été fait dans la précipitation. J’ai préféré me reposer sur l’entreprise agricole Tasiaux, avec laquelle je travaillais déjà.

Depuis 2001, je travaille en trio avec elle et Dominique Bouvier, un ami qui conseillait déjà Michel. Dominique me guide dans mes choix, m’explique les conséquences, les coûts… Mais, au final, c’est moi qui prends les décisions. On se voit chaque semaine pour discuter des décisions à prendre. C’est l’entrepreneur qui s’occupe ensuite de l’exécution au champ.

Tout cela s’est donc fait dans une certaine continuité ?

Je cultive des betteraves, des chicorées, du colza, du lin textile, des pommes de terre, de l’escourgeon, du froment, des petits pois sur 161 ha. Outre l’entrepreneur, la majorité des personnes avec lesquelles je travaille sont des contacts déjà établis par Michel. À son décès, beaucoup d’entre elles se sont montrées extrêmement présentes et j’ai décidé de rester fidèle. De manière générale, je vois mon exploitation dans une certaine continuité, si ça me convient, je ne vois pas l’intérêt de commencer à comparer un service à d’autres. Le respect et la confiance, pour moi, ça n’a pas de prix. Maintenant ça ne veut pas dire que je ne me tiens pas au courant de ce qui se passe ailleurs et des prix des marchés.

Est-ce qu’on te reproche parfois ta manière de travailler ?

Disons que ce n’est pas la manière la plus conventionnelle de procéder. La délégation du travail, ce n’est pas dans l’air du temps et certains pourraient considérer que je ne suis pas agricultrice. Pourtant, je suis persuadée qu’en tant que chef d’exploitation, on doit faire ce qui nous convient. On doit travailler de manière à essayer de se dégager un revenu correct et à se sentir bien dans ce que l’on fait. À partir de là, chacun est libre de choisir son modèle, sa spéculation, sa philosophie, sa diversification… En fonction de l’âge, de l’état de santé, de la famille… tous ces choix peuvent évoluer.

Il est aussi important de respecter le modèle des autres. Il n’y a pas une solution unique sinon tout le monde l’appliquerait. Nous sommes tous interdépendants, pas d’élevage sans grandes cultures, pas de grandes cultures sans élevage. Le plus grand danger, ça serait un seul modèle. Il faut donc préserver la diversité de l’agriculture wallonne et sa durabilité.

Il y a ce qui rend heureux l’agriculteur mais, il y a aussi ce que souhaite le consommateur ?

Évidemment, on doit rester attentif aux demandes du consommateur mais dans le respect et non dans l’exagération. La dérive est parfois de se dire « le consommateur veut cela, alors vous, agriculteurs, vous n’avez qu’à le faire ». Mais dans les actes, il faut que le consommateur suive et, ce n’est pas toujours le cas. Il faut aussi qu’il comprenne qu’on se trouve dans un secteur avec de lourds investissements et qu’on ne peut pas tout changer du jour au lendemain pour satisfaire une envie.

Et puis, il y a aussi ce marketing de la peur au sujet des produits alimentaires et des phytos… La communication part dans tous les sens et les gens développent des phobies alimentaires. Le citoyen idéalise le passé, « c’était mieux avant », mais il oublie que ça ne fait pas si longtemps qu’on analyse les produits alimentaires. La moisson à l’ancienne, ça a l’air sympa mais, pour ces moissonneurs, le travail était physiquement épuisant et destructeur et on vivait moins vieux. On veut une société zéro risque, mais ça n’existe pas, ni pour l’humain, ni pour l’animal ! Je ne dis pas que tout va bien mais on ne peut pas constamment affirmer que tout ce qui existe aujourd’hui est mauvais. On doit continuer à s’améliorer et faire évoluer nos pratiques.

Face à ces problématiques, en tant qu’agriculteur, on doit essayer de recréer un contact avec le citoyen et expliquer nos pratiques mais, encore faut-il avoir devant nous des gens qui acceptent d’écouter et de comprendre à charge et à décharge.

« Je ne dis pas que tout va bien mais on ne peut pas constamment affirmer que tout ce qui existe aujourd’hui est mauvais. »

La vie syndicale occupe également une grande place dans ta vie…

C’est vrai qu’aujourd’hui on me trouve plus souvent à l’UAW que chez moi. Pourtant, au début, je m’y suis surtout investie pour le contact humain, pour pouvoir faire de nouvelles rencontres et échanger des trucs et astuces avec d’autres agricultrices. J’ai reçu un véritable soutien du réseau.

Et puis, grâce à mon amour des textes et de la législation, je me suis vite rendu compte que je pouvais retrouver ce style de travail dans le combat syndical. L’UAW m’a en quelque sorte permis de me rattacher à ma formation de base. J’ai été vice-présidente pendant 5 ans, et cela fera 6 ans en janvier 2019 que je suis présidente. Je devrai alors prendre la décision de me représenter ou non pour un dernier mandat de 3 ans. Je me pose encore la question : « Est-ce que je continue ou alors je laisse la place à une personne qui apporte une nouvelle énergie et de l’innovation ? ».

Les agricultrices de l’UAW semblent particulièrement soudées…

Les dames de l’UAW sont très solidaires et liées par une amitié forte. Pourtant, elles sont aussi diversifiées que les exploitations wallonnes. Elles proviennent de zones géographiques différentes, ont des formations et des activités très variées au sein de leur ferme… mais cela ne nous empêche pas de travailler ensemble et de trouver des compromis dans l’intérêt du plus grand nombre. L’UAW, c’est l’une de mes familles, on est toujours heureuses de se retrouver et de travailler ensemble. On a une véritable identité de groupe.

L’UAW, une affaire de « bobonnes » ?

Certains caricaturent parfois un peu les choses et considèrent l’UAW comme une affaire de « bobonnes ou de bonnes femmes » mais les retours que nous avons des structures que nous rencontrons au quotidien sont très positifs. Ils ont tous une image sérieuse et respectueuse de notre travail.

Ce genre de remarques, ça fait aussi partie du jeu. Il faut aussi reconnaître que, même si elles sont impliquées dans des dossiers épineux, les femmes de l’UAW ont plus de temps à consacrer au développement de thèmes innovants et avant-gardistes, contrairement aux structures de la FWA chez qui la masse de travail syndical est telle qu’il est difficile de s’arrêter pour se consacrer à un fil rouge tout au long de l’année. C’est pour cela qu’il est important que nos deux mouvements collaborent. Comme dans une exploitation familiale, chacun à sa place et son identité, on se complète.

Tu ne te revendiques donc pas féministe ?

Je suis pour l’égalité décisionnelle. Je prêche pour le respect et la complémentarité. En fait, j’estime qu’entre homme et femme, on devrait plus parler d’équité que d’égalité. On a chacun nos aptitudes. Un homme est en général physiquement plus fort qu’une femme, c’est comme ça. Par contre, au niveau intellectuel, il n’y pas de différence. Chacun a le pouvoir de faire les choses, même s’il les fait différemment. Je déteste « les boîtes ou les étiquettes ». Je ne suis pas pour le fait de réclamer des programmes PAC ou des crédits bancaires « spécial femme » par exemple. Si je rentre un dossier dans une banque, je veux qu’il soit traité de la même manière quel que soit mon genre. Il y a certaines spécificités à régler, bien sûr, car en agriculture la vie professionnelle et familiale n’est pas scindée. La situation peut s’avérer complexe, en cas de séparation par exemple. Il faut trouver des solutions à tout cela mais dans une démarche de traitement équitable.

« J’ai beaucoup de chance que Gilles considère comme essentiel le bonheur de sa femme et de ses enfants. »

Cette implication, cette énergie… ça ne serait pas possible sans Gilles ?

En effet ! J’ai rencontré Gilles via l’école de mes enfants. Mes enfants s’y sont très vite attachés et nous nous sommes mariés en 2001. Nous avons également eu deux enfants, Augustin et Léopold. Augustin nous a malheureusement quittés.

Gilles est instituteur. Il a toujours tout fait pour me donner la possibilité de me réaliser. Je n’aurais jamais pu entreprendre tout cela sans quelqu’un comme lui à mes côtés. Pour notre famille et pour l’exploitation, si je ne suis pas disponible, c’est lui qui assure. Sans un mari conciliant et soutenant, qui rentre dans le système, tu n’es pas présidente de l’UAW. J’ai vraiment beaucoup chance de l’avoir à mes côtés. Comme ça l’était pour Michel, le bonheur de sa femme et de ses enfants est primordial pour Gilles.

Malgré les drames que tu as vécus, tu restes toujours positive… Le secret ?

Je vis dans le présent, pas dans le passé, et pas trop dans le futur non plus. Au quotidien, si je ne faisais pas ça, je serais dépassée. Une chose à la fois et on profite de l’instant présent. C’est ce qui m’a sauvée.

Je pense aussi que, dans la vie, il faut voir « le verre à moitié plein et pas à moitié vide ». On rencontre des difficultés, on vit des drames… mais il faut continuer son chemin. Les pertes de Michel et d’Augustin nous ont anéantis mes enfants, Gilles et moi… Mais ce n’est la faute de personne. On a construit autre chose. Mieux ou moins bien que s’ils étaient toujours à nos côtés ? Personne ne le sait. Il faut simplement rester solidaire, avancer et saisir les cadeaux de la vie. Léopold en est un. On était déjà une famille mais il a encore renforcé le lien qui existait entre nous tous. J’ai la chance d’avoir trois enfants extrêmement soudés, un mari toujours présent et une activité professionnelle épanouissante que demander de plus ?

Propos recueillis par DJ

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