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Dix ans après, toujours un parfum de crise dans le lait

L’image avait marqué les esprits: trois millions de litres de lait déversés dans un champ. Le 16 septembre 2009, des centaines de tracteurs et des milliers de producteurs laitiers excédés s’étaient donné rendez-vous à Ciney pour réclamer une régulation de la production et des prix du lait couvrant leurs frais. Ils avaient même lancé une «grève du lait» qui avait fait tache d’huile dans plusieurs pays européens.

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Dix ans plus tard, les prix se sont certes redressés, le prix du beurre (une composante du prix du lait avec celui de la poudre de lait) a même flambé fin 2017, mais tout n’est pas rose pour autant. Loin de là. «Le prix du lait est actuellement en train de rebaisser, il est entre 30 et 32-33 cents le litre. Mais les coûts de production, en incluant un salaire à l’éleveur, sont de 43-45 cents. Sans salaire, c’est entre 30 et 33 cents, en fonction de la ferme. Aujourd’hui, on arrive juste à payer les factures mais si on veut une rémunération, on n’y est pas», résume Erwin Schöpges, président de l’European Milk Board (EMB), un syndicat regroupant 100.000 producteurs laitiers en Europe.

Pour le président de l’EMB, qui est lui aussi producteur laitier, à part l’une ou l’autre année correcte, c’est presque 10 années de crise qui se sont succédé. Et comme les trésoreries des éleveurs ont été mises à rude épreuve, «ce n’est pas une bonne année qui permet de rattraper tout cela».

Selon les calculs de la Confédération belge de l’industrie laitière (CBL), le prix du lait conventionnel (non bio) s’est élevé en 2018 en moyenne à 34,27 euros les 100 litres, ce qui représente une baisse de 7% par rapport au prix moyen de 2017. Ces 10 derniers années, la volatilité du prix du lait a été très grande.

Toujours selon la CBL, le nombre de producteurs laitiers, tant en Flandre qu’en Wallonie, suit une tendance à la baisse depuis plusieurs années. Fin 2018, la Belgique comptait 6.995 fournisseurs laitiers, soit 220 ou 3% de moins en un an. Il en restait 2.814 en Wallonie (-2,5%) et 4.181 en Flandre (-3,4%). Nonobstant ces baisses, les livraisons de lait ont encore augmenté en 2018, de 3,9%, pour atteindre près de 4 milliards de litres de lait. Ces 10 dernières années, les livraisons de lait ont augmenté de 28% dans notre pays: une tendance attribuable surtout à la Flandre car depuis 2014 la Wallonie a vu sa production reculer de 4%. Cette hausse continue de la production pourrait faire pression sur les prix, en l’absence de nouveaux marchés à l’exportation.

Et puis, les agriculteurs ont le moral dans les chaussettes, constate Erwin Schöpges. «Je n’ai jamais vu cela. Ils travaillent sans arrêt, ils n’ont pas de temps pour réfléchir. Les gens ne sortent plus, ne vont plus aux réunions... Tout le monde essaie de s’en sortir dans son coin mais c’est très mauvais car dans ce cas tu ne vois pas le problème dans sa globalité. Tout le monde cherche un peu sa voie».

De plus, dans l’attente d’une nouvelle Commission européenne, d’une nouvelle politique agricole commune (Pac) pour l’après 2020 et de nouveaux gouvernements fédéral et wallon, les agriculteurs naviguent un peu à vue alors qu’ «il faut gérer les volumes (de production) et mettre des plans de crise en place», estime Erwin Schöpges. Alors quand la Commission européenne annonce la signature d’un accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay), après le Ceta conclu avec le Canada, le sang de beaucoup d’éleveurs ne fait qu’un tour. La possibilité offerte aux pays sud-américains d’exporter vers le Vieux-Continent 99.000 tonnes de viande bœuf à des tarifs douaniers fortement réduits (7,5%) est surtout pointée du doigt. «Nous, les laitiers, nous sommes aussi des viandeux, avec les vaches de réforme qui ne sont plus aptes à produire du lait et sont dès lors vendues pour la viande. Avec le Mercosur, c’est 100 millions de kg qui vont rentrer chaque année en plus en Europe. Je pense que cela va faire une pression énorme sur les prix de la viande», juge encore le président de l’EMB.

«Cette viande va entrer en concurrence avec la nôtre car ce sont surtout des morceaux nobles», confirme pour sa part Isabelle Jaumotte, directrice du service d’études de la Fédération wallonne de l’agriculture (Fwa). Et ce, dans un contexte de recul continu de la consommation de viande rouge en Belgique. Isabelle Jaumotte craint également des conséquences négatives de l’accord avec le Mercosur dans la viande de volaille, dans le sucre -alors que les planteurs de betteraves subissent des baisses de prix depuis la fin des quotas sucriers- et dans l’éthanol.

Et ce n’est pas la possibilité gagnée par l’UE d’exporter sans droit de douane vers le Mercosur 30.000 tonnes de fromage et 10.000 tonnes de poudre de lait par an qui rassure la Fwa. «La poudre de lait? Ils la produisent trois moins cher», rétorque Isabelle Jaumotte pour qui l’agriculture a «clairement été la variable d’ajustement» dans les négociations commerciales entre l’UE et les pays du Mercosur.

Au-delà de l’élevage, la situation dans les grandes cultures n’est pas vraiment idyllique non plus, avec des aléas climatiques de plus en plus contraignants, souvenons-nous de la sécheresse de 2018 ou du printemps pourri de 2016, et des prix soumis aux marchés internationaux et à une forte volatilité. «Dans la viande bovine, c’est la catastrophe, toutes races confondues. Dans le secteur du porc, l’apparition de la peste porcine africaine pèse sur les marchés. Dans les betteraves, les prix ont diminué avec la fin des quotas sucriers. Il n’y a guère que la volaille et les œufs qui s’en sortent un petit peu mieux car ce sont des produits recherchés par les consommateurs», résume Isabelle Jaumotte. Une bonne nouvelle toutefois, la météo n’a finalement pas été trop mauvaise jusqu’à présent, la pluie ayant permis de faire «de bonnes coupes de printemps».

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