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Sur fond de mobilisation de syndicats agricoles à Bruxelles: les Vingt-sept se quittent sans parvenir à s’accorder sur le futur budget européen

Sous la menace d’une coupe de 5 milliards d’euros dans le budget de la politique agricole commune, l’enjeu était considérable pour les agriculteurs, lors du sommet européen réuni jeudi et vendredi derniers à Bruxelles. Ce rendez-vous crucial a pris fin sur un constat d’échec, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède refusant de contribuer davantage au budget global de l’Union.

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Pour avancer sur un compromis entre les États membres sur le futur budget européen pour 2021-2027, le président du Conseil européen Charles Michel avait présenté le 14 février un projet de cadre financier pluriannuel réduisant les crédits de la politique agricole commune de 5 milliards d’euros, avec un rééquilibrage entre le premier pilier qui verrait ses crédits augmentés de 7,5 Mrds € et le deuxième pilier réduit de 2,5 Mrds €.

En prix constants 2018, le budget total de la pac s’élèverait ainsi à 329,3 milliards € dont 256,7 Mrds € pour le premier pilier (paiements directs et mesures de marché), en hausse de 2,5 Mrds € par rapport à la proposition initiale de Bruxelles, et 72,5 Mrds € pour le 2e pilier (développement rural), en baisse de 7,5 Mrds €. Au total le budget de la politique agricole commune à 27 États membres enregistrerait une baisse 53 Mrds € sur la période 2021-2027 soit environ 14 % par rapport à la période actuelle (-10 % pour le 1er pilier et -25 % pour le 2e pilier).

« Il n’y aura pas de réduction des crédits de la pac pour financer le Fonds pour une transition juste dans le cadre du Pacte Vert ou Green deal », avait assuré le commissaire européen à l’Agriculture Janusz Wojciechowski, aux ministres de l’Agriculture des Vingt-sept. Pourtant ce fonds – destiné à soutenir les régions qui devraient souffrir le plus des effets de la transformation vers une économie européenne neutre en carbone – qui relève de la rubrique 3 du cadre financier (la même rubrique que la pac) est doté de 7,5 Mrds €, soit exactement la même somme que celle ponctionnée au budget du développement rural.

Au niveau global, le projet qui a fait l’objet des discussions les 20 et 21 février lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement à Bruxelles proposait que le budget européen passe à 1,074 % du revenu national brut de l’UE (contre 1,114 % dans la proposition de la Commission européenne) mais certains pays contributeurs nets au budget (Pays-Bas, Suède, Danemark, Autriche) avaient déjà annoncé leur refus de dépasser 1 % de leur revenu national brut.

Le message est clair: «les agriculteurs européens ont besoin d’une pac avec un budget solide pour pouvoir exercer les missions qu’on attend d’eux».
Le message est clair: «les agriculteurs européens ont besoin d’une pac avec un budget solide pour pouvoir exercer les missions qu’on attend d’eux». - M. de N.

Des propositions critiquées de toutes parts bien avant le sommet

Remontons quelque peu dans le temps. À l’issue d’une journée de réunions sur ce nouveau budget pluriannuel de l’UE, le président du Parlement européen, David Sassoli, considérait déjà qu’en l’état, la proposition sur la table était « éloignée de 230 Mrds € » par rapport au budget demandé par les eurodéputés. Et pour le président de la commission de l’Agriculture du Parlement européen, le démocrate-chrétien allemand Norbert Lins, les propositions concernant la pac étaient inacceptables.

Au conseil, les ministres des Affaires européennes des Vingt-sept, réunis le 17 février à Bruxelles pour préparer la réunion de leurs chefs d’État et de gouvernement, ont aussi désapprouvé les propositions sur le projet de cadre financier pluriannuel de Charles Michel. Une nouvelle fois l’Autriche, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark ont estimé que le budget total était trop important. Le ministre suédois, Hans Dahlgren, a notamment estimé que ce projet consacrait « encore beaucoup d’argent à l’agriculture et aux aides régionales au détriment de domaines plus modernes tels que la recherche et la compétitivité ». Notre pays, la France et d’autres, comme l’Espagne, ont au contraire dénoncé la baisse de 14 % des dépenses de la pac soulignant qu’il fallait donner aux agriculteurs « au moins les mêmes moyens » que les montants dont ils disposent aujourd’hui.

Les divergences entre États membres portent également sur d’autres sujets en particulier les rabais forfaitaires accordés à certains États membres.

Les bénéfices de la politique agricole commune

Même flots de critiques du côté des organisations professionnelles agricoles. Dans une lettre adressée le 14 février à tous les chefs d’État et gouvernement de l’UE ainsi qu’au président du Conseil européen, les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca) rappelaient que « le budget de la pac ne constitue qu’un investissement mineur par rapport aux bénéfices substantiels et très divers qu’elle apporte en retour aux citoyens européens, bénéfices parfois considérés comme acquis. Pour sauvegarder ces bénéfices et revoir nos ambitions à la hausse, une politique agricole commune forte, soutenue par un budget fort, est nécessaire ».

Quelques jours après, la « coalition rurale » et la « coalition des régions agricoles européennes » s’inquiétaient, dans un communiqué du 18 février, des coupes importantes des crédits du deuxième pilier : « Les zones rurales et les communautés rurales d’Europe sont confrontées à des menaces dues à l’exode rural et à un clivage croissant entre les villes et les campagnes. La réduction de ces fonds rendrait la situation encore plus grave ».

« Si personne n’est satisfait, cela veut dire qu’il s’agit d’un bon compromis », voulait croire le commissaire au Budget, Johannes Hahn qui pensait qu’il était possible de conclure les négociations.

Les agriculteurs ont manifesté à Bruxelles

La Fédération wallonne de l’agriculture, avec l’Union des agricultrices wallonnes et la Fédération des jeunes agriculteurs, ont manifesté à Bruxelles le jeudi 20 février à l’heure où le Conseil européen se réunissait pour le sommet extraordinaire sur le cadre budgétaire pluriannuel de l’Union européenne.

« Les agriculteurs revendiquent un budget fort pour la pac post 2020. Les propositions en discussion ne sont pas acceptables, en particulier en regard des exigences accrues qui seront imposées par la politique agricole commune post 2020 aux agriculteurs européens, et a fortiori belges et wallons », clame le syndicat.

« Les agriculteurs ont la ferme volonté de s’engager encore davantage dans les défis sociétaux d’aujourd’hui en matière de sécurité alimentaire et de lutte contre les changements climatiques. Ils ne seront toutefois pas en mesure de le faire avec un budget pac en baisse, en particulier dans le contexte économique déjà extrêmement difficile vécu actuellement par le secteur agricole, poursuit la Fwa.

L’organisation agricole rappelle que, dans de nombreuses exploitations wallonnes, les aides de la politique agricole commune constituent l’essentiel si pas l’intégralité du revenu disponible. « En effet, nos productions agricoles, soumises à une forte concurrence et aux effets des marchés dérégulés, sont payées à des prix qui ne couvrent pas toujours les coûts de production. C’est une situation qui met en péril la survie de nos exploitations familiales. »

Avec un budget pac en baisse, on renforce ce risque de voir s’écrouler encore davantage l’économie agricole, avec des conséquences graves pour les filières tant en amont qu’en aval, et au final, la mort de notre agriculture familiale wallonne.

Sans un budget digne de ce nom, comment donner confiance à la jeune génération confrontée à des enjeux d’une ampleur jamais vue. Photo prise dans le cadre de la confrontation européenne des jeunes éleveurs à la foire de Battice.
Sans un budget digne de ce nom, comment donner confiance à la jeune génération confrontée à des enjeux d’une ampleur jamais vue. Photo prise dans le cadre de la confrontation européenne des jeunes éleveurs à la foire de Battice. - M. de N.

Les jeunes agriculteurs réclament des moyens pour nourrir le futur

En compagnie de ses homologues flamands du Groene Kring et du Conseil européen des jeunes agriculteurs, la Fja appelle à un budget digne de ce nom « assurer les ambitions de la nouvelle Commission ainsi que le renouvellement des générations en agriculture ». Les fonds du 2e pilier, indispensables pour garantir aux jeunes un accès au secteur agricole, vont subir des coupes drastiques, et cela n’est pas acceptable. Et de rappeler « qu’aujourd’hui, moins de 6 % des agriculteurs wallons sont âgés de moins de 35 ans, ce qui met en péril le modèle d’agriculture familiale que nous défendons ».

« Sans un vrai budget, le renouvellement des générations en agriculture est en péril ! Et sans renouvellement des générations, l’agriculture est en péril ! Or, l’agriculture européenne, c’est la garantie d’une nourriture de qualité, mais aussi l’alliée indispensable pour la lutte contre le réchauffement climatique et le ciment de la construction européenne. Elle garantit une économie prospère et une société stable », exprimait Pierre André, président de la Fja.

Un appel des producteurs laitiers des pays baltes en faveur de l’équité

Le 20 février dernier, soutenues par l’Emb, des délégations de producteurs laitiers des pays baltes et de représentants d'autres organisations agricoles de Lituanie, Lettonie et Estonie sont venues manifester près du bâtiment du Conseil de l’UE pour demander notamment des conditions égales en matière de paiements directs.

Des producteurs laitiers de Lituanie, de Lettonie et d’Estonie ainsi que l’European Milk Board ont également rejoint le quartier européen, jeudi dernier, à Bruxelles. Objectif: revendiquer l’égalité de traitement des agriculteurs et une politique agricole commune équitable, et exhorter les chefs d’État et de gouvernement de l’UE à défendre des conditions égales pour les paiements directs dans tous les pays membres.

L’Emb appelle également toutes les institutions de l’Union européenne à s’engager en faveur de l’intégration dans la pac d’un instrument efficace de gestion de crise pour le secteur laitier baptisé le Programme de responsabilisation face au marché (PRM). «Il existe actuellement des propositions et des initiatives émanant du monde politique en faveur d’un tel outil. Il est important que ces propositions, comme par exemple une réduction volontaire des volumes avec plafonnement en période de crise et – pour les crises très graves – une réduction obligatoire temporaire fassent désormais leur entrée dans la pac.

Le 20 février dernier, soutenues par l’Emb, des délégations de producteurs laitiers des pays baltes et de représentants d'autres organisations agricoles de Lituanie, Lettonie et Estonie sont venues manifester près du bâtiment du Conseil de l’UE pour demander notamment des conditions égales en matière de paiements directs.
Le 20 février dernier, soutenues par l’Emb, des délégations de producteurs laitiers des pays baltes et de représentants d'autres organisations agricoles de Lituanie, Lettonie et Estonie sont venues manifester près du bâtiment du Conseil de l’UE pour demander notamment des conditions égales en matière de paiements directs. - M. de N.

Pour l’association lituanienne des producteurs de lait LPGA et pour de nombreuses autres organisations de Lituanie, Lettonie et Estonie, il est grand temps de procéder à un alignement des paiements directs au sein de la politique agricole commune.

L’Emb observe d’ailleurs que les agriculteurs de toute l’UE se trouvent socialement et économiquement marginalisés, en raison des crises récurrentes qui secouent leur secteur.

La pac: moins de 30 cents par jour par habitant!

La politique agricole commune coûte aujourd’hui approximativement 100 euros par an et par habitant, un prix permettant à l’UE de conserver son autonomie alimentaire. Alors que dans les années 1970, la pac représentait le premier poste de dépenses de l’Union européenne avec 70 % du budget total, 2007-2013 42%, en 2016, elle ne représentait déjà plus que 38 % du budget de l’UE. La dernière proposition formulée, basée sur une précédente proposition de la Commission européenne, la fixe à 30% pour la période 2021-2027.

Propos recueillis par M. de N et al

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