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N’élargissons pas la colère

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Le 8 novembre 2023, la commission européenne donnait à l’Ukraine le feu vert de l’UE pour entamer les négociations d’adhésion. Une nouvelle qui avait suscité l’enthousiasme et obtenu à l’unanimité un avis favorable des dirigeants européens toujours sous le choc de l’agression de Moscou contre Kiev.

En revanche, rien ne dit que cette euphorie perdure à moyen terme. Au niveau des actuels États membres, la Hongrie de Viktor Orban, ou encore les Pays-Bas où le leader d’extrême droite Geert Wilders a récemment remporté les législatives, pourraient bien opposer, à un moment donné, leur veto. Mais la gronde pourrait aussi venir du secteur agricole européen actuellement en pleine ébullition un peu partout. Chez nos voisins allemands, la suppression d’allégements fiscaux et de subventions a jeté les agriculteurs sur les routes tandis que leurs collègues français dénoncent des normes environnementales jugées trop sévères ou encore la fin programmée de l’exonération du GNR (gazole non routier).

La perspective de l’arrivée d’une puissance agricole telle que l’Ukraine, qui pour certains entraînerait la disparition de l’agriculture familiale en Europe, pourrait avoir l’effet d’un nouveau chiffon rouge agité devant des agriculteurs déjà chauffés à blanc. Sans aller aussi loin, l’adhésion de l’Ukraine signifierait en tout cas l’intégration dans l’UE d’un secteur agricole aux structures complètement différentes de celle des États membres actuels, avec des exploitations et « agro-holdings » de l’ordre de plusieurs milliers d’hectares. Pourrait-on envisager une Pac incluant l’Ukraine sans qu’elle ne se fasse au détriment des exploitations agricoles des autres États membres ? Non, d’autant que la Pac actuelle, avec son système d’aide à l’hectare, est déjà à bout de souffle et ne pourrait y résister. À peine arrivée, l’Ukraine deviendrait d’entrée de jeu le premier bénéficiaire de la Pac et pourrait, au cours de ses sept premières années d’adhésion, bénéficier d’une manne de 96 milliards d’euros.

En (très) bref, l’Exécutif devra procéder à une réforme en profondeur du cadre budgétaire et plancher sur les changements dans les flux financiers entre l’UE et les États membres, qu’il s’agisse de l’agriculture ou de la cohésion. Rappelons au passage qu’une réforme de la Pac avait d’ailleurs précédé, en 2003, les élargissements de 2004 et 2007.

Ces éléments de projection restent encore purement théoriques. Il appartient pour le moment à la commission de trouver une solution pour calmer le jeu dans les pays frontaliers de l’Ukraine. En Roumanie et en Pologne, les agriculteurs ont récemment bloqué les points de passage à leurs frontières pour exprimer leur mécontentement devant l’afflux massif de marchandises sensibles. Initialement prévue pour le 16 janvier, la proposition de la commission concernant la prolongation des mesures commerciales autonomes pour l’Ukraine jusqu’en juin 2025 se fait toujours attendre au moment où nous bouclons la présente édition. L’urgence n’est donc pas aux grandes manœuvres. Elle est aux petits pas.

Marie-France Vienne

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