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Plusieurs pistes – dont une meilleure rémunération – pour éviter les pénuries de plants de pomme de terre

Pénurie… Le mot est sur toutes les lèvres dans la filière pomme de terre. Et de l’aveu même de tous les maillons, le manque de plants certifiés sera un véritable défi pour cette saison. Alors, que faire pour éviter que cette situation se reproduise ? Producteurs, négociants et transformateurs livrent leurs pistes de solution.

Temps de lecture : 7 min

Depuis plusieurs semaines déjà, l’approvisionnement en plants de pomme de terre s’annonce compliqué. Si cette situation s’explique de diverses manières, elle sera lourde de conséquences, tant pour les agriculteurs que pour les usines de transformation. Toutefois, l’heure n’est plus à l’identification des responsables de cette pénurie mais bien à la recherche de solutions pour éviter qu’elle ne se représente à l’avenir.

Tel a été le message qu’ont souhaité communiquer Édouard Fourrier, directeur général de Desmazières (Agrico France), Christophe Vermeulen, Ceo de Belgapom, Nicolas Van Overberghe, producteur de pommes de terre de consommation à Croix-lez-Rouveroy, Bernard Dardenne, producteur de plants à Meeffe et président de la Fiwap, et Francis Binst, négociant en plants à Grimbergen, réunis autour d’une table ronde organisée par la Fiwap le 11 mars dernier.

De gauche à droite : Édouard Fourrier, directeur général de Desmazières (Agrico France), Christophe Vermeulen, Ceo de Belgapom,  Nicolas Van Overberghe, producteur de pommes de terre de consommation à Croix-lez-Rouveroy, Bernard Dardenne, producteur  de plants à Meeffe et président de la Fiwap, et Francis Binst, négociant en plants à Grimbergen.
De gauche à droite : Édouard Fourrier, directeur général de Desmazières (Agrico France), Christophe Vermeulen, Ceo de Belgapom, Nicolas Van Overberghe, producteur de pommes de terre de consommation à Croix-lez-Rouveroy, Bernard Dardenne, producteur de plants à Meeffe et président de la Fiwap, et Francis Binst, négociant en plants à Grimbergen. - J.V.

La genèse d’une pénurie

Si manque de plants il y a, c’est avant tout suite à une succession de saisons compliquées mais aussi en raison de la disparition d’un certain nombre de producteurs.

Bernard Dardenne le confirme : « Les attaques de pucerons de ces dernières années, conjuguées à la réduction des moyens de lutte disponibles, ont entraîné le déclassement de nombreux lots de plants de pomme de terre… Par ailleurs, la saison dernière ayant été particulièrement difficile, les rendements en plants n’ont pas été à la hauteur des espérances. Enfin, certains agriculteurs abandonnent partiellement ou totalement cette activité au profit des pommes de terre de consommation ». Il faut dire que ces dernières sont généralement plus rémunératrices.

Et ce, d’autant que l’augmentation des coûts de production n’a pas été couverte par la hausse des prix payés aux professionnels du plant. De quoi les décourager un peu plus… « Les prix doivent remonter pour assurer la pérennité de la filière », livre-t-il sans hésitation.

En tant que négociant, Francis Binst estime que l’on s’attendait à cette pénurie depuis deux à trois ans. Il se dit néanmoins « surpris de la rapidité avec laquelle la filière s’est retrouvée dans cette situation ». Rapidité qui se répercute sur la trésorerie des producteurs de pommes de terre de consommation, qui devront mettre la main au portefeuille pour acquérir leur matériel végétal.

S’y ajoute le fait que certains producteurs de plants se tournent vers des variétés plus robustes, dont la production est moins risquée. Avec quelle conséquence ? « Les variétés disponibles sur le marché ne sont pas celles demandées. Ces dernières voient donc leurs prix grimper. »

Un constat que dresse aussi Édouard Fourrier, ajoutant qu’il est, à l’heure actuelle, très difficile de proposer de nouvelles options. Pour preuve, Fontane, « reine » des pommes de terre en Belgique, occupe 55 % des surfaces. Et ce dernier d’appeler les industriels à se montrer ouverts à d’autres pommes de terre afin de permettre un renouvellement variétal, de valoriser les plants produits et d’éviter les problèmes d’approvisionnement des usines.

« Le manque en plants est aussi un grand problème pour l’industrie », embraye Christophe Vermeulen. « La demande en tubercules augmente chaque année, notamment dans l’industrie de la frite. » Ce problème, en amont de la filière, a des répercussions en aval, cette année, mais certainement la saison prochaine aussi.

Les doutes des industriels

Face à cette pénurie, dont on entend qu’elle était attendue, les patatiers s’interrogent : pourquoi une telle inaction ?

« La filière s’est rarement posé la question de la disponibilité en plants, car il y en a toujours eu suffisamment sur le marché. Lorsque nous avons eu écho d’une possible pénurie, nous avons tiré la sonnette d’alarme mais n’avons pas été suffisamment écoutés », déplore M. Fourrier. Il estime encore que les transformateurs n’ont pas cru à une baisse des surfaces de pommes de terre, en raison de la moindre disponibilité en plants, alors qu’elles ont toujours été en croissance. Ce qui les a fait changer d’avis ? Les statistiques, confirmant ce qui était pressenti.

Et Nicolas Van Overberghe d’ajouter : « On ne peut pas se dire ou se montrer surpris par la situation… L’année passée, on évoquait déjà une possible pénurie. Il faut apprendre à se montrer plus réactif ». Il pointe également la responsabilité de l’industrie de transformation, qui rémunère bien mieux les pommes de terre de consommation que ne le sont les plants, alors qu’il s’agit d’un intrant essentiel.

Dans la foulée, M. Vermeulen l’admet : « Nous n’avons pas cru que la situation serait si grave… ».

De meilleurs prix pour les producteurs de plants

Le représentant de l’industrie livre une piste de solution : mieux rémunérer les professionnels du plant, dont le travail est crucial pour l’ensemble de la filière tant en termes de quantité que de qualité des tubercules. Le négoce abonde dans le même sens et estime que les prix doivent être adaptés afin de respecter les risques que prennent les producteurs de plants (refus, rendements non satisfaisants, déclassement des lots…) pour l’ensemble de la chaîne.

La situation actuelle inquiète les patatiers, mais n’est pas  sans répercussion sur l’industrie de transformation.
La situation actuelle inquiète les patatiers, mais n’est pas sans répercussion sur l’industrie de transformation. - J.V.

Mais une hausse des prix telle qu’évoquée ne risque-t-elle pas de réduire la marge des producteurs de pommes de terre de consommation ? La question mérite d’être posée, afin que le travail de tout un chacun soit rémunéré à sa juste valeur.

Nicolas Van Overberghe, pour sa part, préfère la reformuler sous un autre angle : « N’y a-t-il pas, dans la filière, des intervenants qui s’octroient une marge financière pour un travail qu’ils n’effectuent pas ? »

« Indéniablement, les producteurs de plants reçoivent bien moins que ce que payent les patatiers à l’industrie pour leur matériel végétal. Les usines semblent, d’une part, avoir compris que cette situation ne peut durer plus longtemps et, d’autre part, être prêtes à mieux répartir la plus-value entre les différents acteurs. »

Et Christophe Vermeulen de nuancer : « Effectivement, les transformateurs prennent probablement des marges plus importantes sur les calibres classiques. Mais ils réalisent des pertes sur les autres calibres. C’est donc une manière d’équilibrer, ou presque, la situation. »

D’autres pistes ?

Francis Binst ouvre une autre voie, complémentaire selon lui à la hausse des prix. « Le recours aux nouvelles variétés, moins contraignantes pour les producteurs de plants, doit être envisagé. Toutefois, les usines préfèrent travailler avec les variétés qu’elles connaissent déjà… ». Il semble donc évident que les différents maillons de la filière devraient discuter des besoins et contraintes des uns et des autres afin d’aborder les futures saisons avec davantage de sérénité.

M. Van Overberghe évoque une possible collaboration entre producteurs de plants et de pommes de terre de consommation. « Nous pourrions, par exemple, envisager des contrats pluriannuels entre les deux parties. Les professionnels du plant auraient ainsi une meilleure vision des saisons à venir et pourraient les anticiper, tout en limitant leurs invendus. »

Enfin, Bernard Dardenne en appelle au maintien de certaines matières actives. En effet, les producteurs doivent disposer d’un minimum d’insecticides pour garantir la qualité des plants (absence de virose, notamment) et permettre aux producteurs de pommes de terre de consommation de réduire le recours aux produits phytosanitaires. Compliquer leur travail, c’est prendre le risque de les décourager.

Se concerter, la clé

À la lumière de cette table ronde organisée par la Fiwap, il est indéniable que la concertation entre les différents acteurs de la pomme de terre, telle qu’elle est établie au sein de l’organisation interprofessionnelle Belpotato.be, est cruciale pour identifier des solutions aux problèmes rencontrés. De l’aveu même des invités, celui-ci est inédit et impacte tout un chacun, de l’amont à l’aval de la filière. Cette prise de conscience, ainsi que les pistes évoquées, devraient garantir la disponibilité future de plants de qualité et réduire les risques de nouvelle pénurie.

Jérémy Vandegoor

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