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Le «woke» cuisiné au wok?

Dans la grande farandole des nouveaux mots serinés à tous propos, un terme revient sans cesse dans la bouche des politiciens conservateurs, ceux-là même qui s’affichent « réformateurs » et « progressistes ». Ils parlent de « wokistes » pour fustiger et dénigrer les lanceurs d’alerte, les défenseurs des causes sociales, raciales, écologiques et féministes. Défendre trop haut et trop clair la cause paysanne, par exemple, relèverait également du « wokisme », m’a-t-on signifié… Mu v’la wokiste, cré vin djou !

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Revenons à ce mot rigolo, qui me fait immanquablement songer à la cuisine au wok, cette sorte de grande poêle profonde où l’on fricasse et cuit des légumes mélangés à des morceaux de viande. Ici, le « woke » dont nous parlons est une contraction de « woken » (réveillé). Le mouvement « woke » – littéralement « être éveillé »- est apparu dès le 19e siècle aux États-Unis, où il rassemblait quelques intellectuels de bonne volonté qui portaient un regard conscient sur les inégalités sociales et raciales, le sexisme, les enjeux environnementaux. Il a essaimé en Europe sous diverses formes mais n’y est resté pendant longtemps qu’un gentil concept désincarné « de salon bourgeois » – rien de comparable au « méchant » marxisme –, détaché des dures réalités de ce siècle d’industrialisation marqué par les scandaleuses injustices sociales et les premières luttes ouvrières. De son côté, le monde paysan, démographiquement dominant, courba l’échine sous la tutelle de l’Église Catholique jusque tard après-guerre 40-45 dans nos régions. L’Église, omniprésente et prégnante dans nos campagnes, nous a inculqué depuis la nuit des temps sa vision de l’existence, l’obéissance et le respect des supérieurs ; elle a géré les rapports de force entre les minorités possédantes et des masses laborieuses. Au lieu de réveiller les consciences, elle les anesthésiait plutôt : « ora et labora », travaille et prie -et tais-toi-…

Depuis ses débuts, le mouvement « woke » a fait sourire la bourgeoisie libérale, mais également fait réfléchir. Le système capitaliste -ce sont des malins !- tend volontiers l’oreille aux pensées dissidentes et contestataires, afin de les reformuler et les exploiter à son avantage, leur voler des idées. Le capitalisme exploite toutes les failles, se nourrit des critiques à son égard, et se réinvente au fur et à mesure des bouleversements. Capitalisme rime avec opportunisme et consumérisme, tout simplement ! Fait-on la guerre ? On va produire et vendre des armes, puis on s’enrichira en reconstruisant les villes détruites ! Les ouvriers et les paysans revendiquent-ils de meilleurs revenus, le droit de ne pas crever de faim ? On va leur donner des sous, mais en faire des consommateurs, créer des désirs superflus, inventer des loisirs « obligatoires ». La planète se réchauffe-t-elle ? Après avoir causé les dérèglements climatiques, les pollutions et la perte de biodiversité, les coupables capitalistes s’érigent en sauveurs du peuple, produisent et commercialisent des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, des voitures électriques, etc. Ils vendent des poisons puis des médicaments, des maladies puis des vaccins, des armes puis des sparadraps, des cauchemars puis du rêve…

De même, après avoir tué le modèle paysan qui avait fait ses preuves et s’était adapté à toutes les misères durant des millénaires, le système capitaliste néo-libéral récupère aujourd’hui à son avantage les divers maux occasionnés par l’intensification à outrance de l’agriculture. La PAC européenne se refait une virginité ! Elle invente un Green Deal, canonise l’agriculture biologique, s’approprie le concept d’agro-écologie -en l’adaptant à sa logique ultra-libérale ! –, impose des BCAE et propose des éco-régimes et des MAEC. Elle veut laver plus blanc que blanc, plus vert que vert, et nous embête beaucoup en se donnant des airs vertueux (verts tueurs). Elle fait du « green washing », version faussement écologique du « woke washing », comme quand des grandes marques maltraitent leur personnel tout en prônant des slogans éthiques. Ne soyons pas dupes !

C’est triste à pleurer, quand on y songe ! « Woke » est devenu un terme fourre-tout et péjoratif qui alimente l’intolérance. Quelqu’un dénonce-t-il les aberrations d’un système économique ou politique ? Un autre met-il en garde contre les effets désastreux du réchauffement climatique ? Un autre encore s’indigne-t-il des comportements sexistes, des incivismes ordinaires, des injustices ? Ces gens lucides, « réveillés », sont aussitôt taxés de ’’wokistes’ par les personnes mises en cause : politiciens, décideurs ou profiteurs du système. Les médias et les réseaux sociaux diffusent des discours simples et binaires, où on oppose woke et anti-woke, progressisme et populisme. « Wokiste » est devenu aujourd’hui une injure lancée aux donneurs de bonne leçon.

« Le premier qui dit, se trouve toujours sacrifié. D’abord on le tue, puis on s’habitue. On lui coupe la langue, on le dit fou à lier. Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté. Après sans problème, parle le deuxième. » (Guy Béart). Tout ce qui est « woke » passe au wok, afin d’y être recuisiné à la sauce capitaliste, lu et révisé, adapté et récupéré, souvent dévoyé et toujours moqué, toujours « woké'»…

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