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En cas de reprise compliquée: l’importance de savoir s’entourer et surtout… avoir la faculté de s’adapter!

Il y a des personnes qui ne s’imagineraient pas reprendre une ferme, ou du moins pas tout de suite. Élodie Dony en faisait partie. Si elle a toujours aimé l’élevage, elle s’est destinée à une carrière plus conventionnelle. Cette infirmière s’est vue hériter au décès soudain de son papa d’une exploitation en polyculture élevage à Achet (Hamois). L’occasion pour elle de mettre sa carrière en pause, de préserver le patrimoine familial en donnant un nouveau souffle non seulement à la Ferme du Bois Saint Paul mais également à sa carrière et… à sa vie de famille.

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Il y a encore trois ans, Élodie Dony évoluait comme infirmière aux urgences du CHR de Namur. C’est la crise Covid qui va venir chambouler sa vie. En effet, fin 2020, elle apprend que son papa est hospitalisé d’urgence. Positif au covid-19, on lui diagnostique ensuite un cancer dont il ne se relèvera pas. Il décède fin janvier 2021 à 71 ans. Pour Élodie qui l’a accompagné jusqu’au bout, la pilule est difficile à avaler. C’est le début d’un long combat, d’une remise en question et d’une reconversion. Mais pour le comprendre, retour sur son enfance.

Élodie a été élevée par sa mère, « loin » de la ferme paternelle. À la maison, elle est bercée par les animaux, sa mère élevant 20 à 30 bovins allaitants. Elle fera ses secondaires à St Quentin et développera un intérêt pour l’élevage et la zootechnie. « Sans y être née, j’ai toujours eu un attrait pour la ferme ! »

Si elle a toujours su qui était son père, ce dernier ne la reconnaîtra que dans l’année de son 20e anniversaire. « Cette annonce a eu l’effet d’une petite bombe dans le cercle familial. Quand on n’est pas marié et que l’on annonce à ses proches que l’on a une enfant de 20 ans… cela a été compliqué. » Dans la foulée, elle prendra son nom.

« C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à venir à la ferme, pour lui donner un coup de main mais aussi passer du temps avec lui. Je n’étais pas tous les jours dedans mais c’est un domaine que j’apprécie. J’ai toujours aimé la nature, le grand air ! » Voilà donc 18 ans qu’Élodie a un pied dans la Ferme du Bois de St Paul, une exploitation en polyculture élevage. À cette époque un cheptel Blanc-bleu de 120 bêtes sélectionnées occupait alors les bâtiments.

À ses 20 ans, la jeune femme entreprend des études vétérinaires mais cela ne lui convient pas. « J’ai été travaillé dans une grande entreprise pharmaceutique où j’ai rencontré mon mari. Après quelques années, je me suis réorientée vers le métier d’infirmière pour travailler aux urgences du CHR de Namur. » Elle réfléchit. « J’ai un parcours plutôt atypique mais une facilité d’adaptation hors norme », sourit-elle.

Des nuits à ne pas dormir

« Fin 2020, quand l’état de mon papa s’est dégradé, j’ai appris qu’il y avait des nouvelles créances sur la ferme. J’ai consulté mon notaire et la FJA. L’idée était de savoir comment cela pouvait se passer si mon père venait à décéder. Nous avions un peu peur car nous avions déjà mis du capital dans la ferme suite à une série de problèmes financiers en 2013.

Au décès de son papa, Élodie se retrouve du jour au lendemain propulsée à la tête de la ferme avec un cheptel de vaches prêtes à vêler. Elle ne sait pas à quoi s’attendre niveau succession. Elle se tourne donc vers son notaire qui la conseille. Dans le cadre d’une perpétuation d’entreprise, le taux de succession est à 0 %. Pour ce faire, une condition : être installée comme agricultrice, à titre principal ou complémentaire.

Mon père était à peine décédé de 24h que déjà certains agriculteurs se renseignaient pour pouvoir récupérer les parcelles louées. J’ai donc écrit à tous les propriétaires qu’une cession privilégiée avait été établie et que les baux de mon papa me revenaient de plein droit.

La FJA, et en particulier Mme Janssens et M. Dardenne ont été d’excellents conseils. Ils m’ont aidé sur tous les aspects juridiques des cessions privilégiées, la perpétuation d’entreprise, les baux… mais aussi les aides à la reprise, à l’investissement.

Le choix d’Elodie de reprendre la ferme, c’est avant tout pour être plus proche de ses enfants.
Le choix d’Elodie de reprendre la ferme, c’est avant tout pour être plus proche de ses enfants.

S’éloigner des soins de santé

Pour l’infirmière, cette période n’est autre qu’un choc violent. Avoir été en première ligne durant la crise covid, perdre son père dans la foulée et le voir agoniser… Elle prend la décision de s’éloigner des soins de santé. « Je pensais ne plus pouvoir soigner les gens correctement tellement le choc psychologique a été dur durant les mois précédents. » Elle prend alors une pause carrière pour faire le point !

Se pose la question de l’héritage. Si elle est fille unique, et donc héritière de plein droit, elle devra se battre pour préserver son patrimoine.

« J’ai listé toutes les créances et les ai déposées chez le notaire. Je ne saivais pas vers quoi j’allais. J’ai évidemment eu des moments de doutes mais ce dont j’étais sûre, c’est qu’il était hors de question de vendre des terres pour payer des créances. »

Des gens m’ont dit de vendre tout le cheptel en l’état. J’avais peur de me faire rouler. Je voulais avoir les choses bien en main avant de prendre une décision. Et je me suis laissé le temps. J’avais 5 mois pour régler le problème de la succession.

Les comptes d’exploitation au niveau du cheptel étant dans le rouge, j’ai assuré la saison des vêlages, augmenté le capital Blanc-bleu pour ensuite décapitaliser et ainsi payer une partie des dettes de mon père. Le reste, je l’ai payé sur fond propre. Toutes les créances ont ainsi été apurées. Il était important pour moi de partir d’une page blanche. »

« Quand les bêtes ont quitté la ferme, j’en ai pleuré, car d’une certaine façon, je trahissais mon père. L’élevage Blanc-bleu, c’était toute sa vie. Je m’en suis voulu mais ma décision était la bonne. »

Une fois le cheptel vendu, Élodie et son mari décident de revendre leur maison à Temploux pour rénover le corps de logis de l’exploitation.

Des fraises et des asperges en circuit court

N’ayant plus d’animaux, certaines prairies ont été retravaillées pour installer des cultures mais aussi des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). Nous avons replanté des haies, des vergers… Nous avons passé une terre en bio pour y faire du méteil. Pour Élodie qui a un rucher, il fallait faire place à la biodiversité.

Voulant continuer la ferme avec les cultures, elle se tourne vers le groupement des fraises de Wallonie. « J’ai pu avoir des données qui m’ont permis de chiffrer l’activité. Les fraises se sont avérées être une activité accessible pour moi seule », analyse-t-elle.

Dans la région, d’autres personnes étaient déjà bien implémentées dans la culture de fraises. Pour faire sa place, elle se rend dans la boucherie du village pour y présenter ses produits. « C’est par là que j’ai commencé à me faire connaître.

La fraise étant un produit d’appel, je me suis demandé avec quoi je pouvais l’accompagner. Le centre interprofessionnel maraîcher à Gembloux lui conseille d’y associer l’asperge, qui a l’avantage d’être cultivée au même moment. Elle opte alors pour l’asperge verte qui est trop peu produite chez nous et pourtant fort demandée.

Les surfaces travaillées ne sont pas grandes. « J’y vais doucement car je préfère travailler sur des petites surfaces et bien écouler que de me retrouver avec des stocks que je ne vends pas. Ces surfaces me permettent également de travailler avec ma maman et de ne pas avoir besoin d’engager du personnel. »

Pour le moment, les clients viennent chercher leurs commandes sur le champ après la cueillette. « Je commercialise également mes produits via la boucherie du Condroz ainsi que par le biais de la coopérative Relais à Rochefort. Je fais de la vente directe à Emptinne. Je compte parmi ma clientèle quelques restaurants dont La grange d’Hamois, restaurant fraîchement étoilé, qui met à sa carte mes asperges. »

« Ce qui m’a aussi aidé : la personnalisation de mes raviers. J’y ai mis une photo de mes enfants et mon numéro de téléphone. Les gens peuvent donc m’appeler et depuis cette année la croissance est folle. Ma production n’est pas suffisante pour contenter tous mes clients. »

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Un magasin à la ferme et des collaborations en devenir

Élodie n’est pas en manque d’idées. « L’année prochaine, une fois les travaux de rénovation de la maison terminés, j’ai pour projet de faire un magasin à le ferme et de m’associer à d’autres producteurs. Car on ne peut pas tout faire soi-même ! »

Élodie sur le bilan de sa reprise : « Se retrouver plongée dans un milieu avec lequel on a un peu flirté plus jeune, sans y avoir jamais vraiment été plongée, n’est pas évident ! Autant les bêtes j’y marquais un intérêt, autant les grandes cultures, la gestion des engrais, des produits phytos, je n’y connaissais rien… Des membres de ma famille m’ont aidée. J’ai eu beaucoup de chance car j’ai eu les personnes autour de moi qu’il fallait. Les agriculteurs voisins ont également fait preuve d’une bienveillance et m’ont renseignée quand j’en avais besoin. Seule, je ne sais pas ce que j’aurais fait… »

« Trois ans après m’être installée, je me rends compte des améliorations à apporter à mon travail, et ce, même dans les fraises et les asperges. Je ne cesse d’apprendre. J’ai encore plein d’opportunités. Nous avons par exemple développé un alcool avec nos fraises que l’on va commercialiser, je fais du jus de pomme-fraise avec les fruits abîmés. »

Et de conclure : « Mon choix de vie, celui de rester auprès de mes enfants, d’être au contact de la nature, de travailler chez moi en tant qu’indépendante, je ne le regrette pas, bien au contraire… »

P-Y L.

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