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Un métier du «care»

Les gens râlent, oh ça oui ! Ils se vexent carrément quand on répond trop peu à leurs sollicitations au printemps, en période d’agnelages ou de vêlages. Ils ne comprennent pas à quel point le mois des naissances est important pour les éleveurs. Et fatiguant… « Vous n’avez qu’à leur mettre un bouchon ! ».

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Être à ce point obnubilé par une responsabilité et tout lui sacrifier, dépasse leur entendement. « Les fermiers sont de vrais obsédés de l’agriculture, complètement possédés par leur métier ». À aucun moment, nous ne pouvons nous permettre de ne pas nous préoccuper de nos animaux, de nos cultures. À aucun moment ! Une petite alarme tourne en veille constamment dans notre cerveau, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 365 jours par an, et même 366 en 2024 !

Un ami infirmier à domicile m’a affirmé que le métier de soignant et celui d’agriculteur présentent une similitude troublante : l’un et l’autre ne peuvent se mettre en pause sans nuire à l’équilibre et à la survie des sociétés humaines. Ils font partie tous deux des métiers du « care ». Ce terme anglais est intraduisible en français, car il regroupe un ensemble de notions.

Il signifie « se préoccuper de », « prendre soin de », « faire attention à », « être attentif à », « s’intéresser à », « manifester de la sollicitude », « attacher de l’importance à ». La notion de « care » est apparue comme une évidence lors de la pandémie de Covid-19, quand on s’est rendu compte (enfin !) que certaines professions ne pouvaient tout simplement pas se mettre en confinement, stopper leurs activités : aussi bien les soignants – médecins, infirmiers et infirmières, aides à domicile, mamans ou papas au foyer, garde-malades… – que d’autres métiers indispensables à la vie quotidienne : éboueurs, pompiers, protection civile, employés des magasins d’alimentation, travailleurs dans le secteur de l’électricité… Sans oublier les agriculteurs !

Une vraie malédiction frappe les métiers du « care ». Ils sont invisibles, rarement mis au-devant de la scène, peu considérés, alors qu’ils constituent la base inamovible – mais écrasée – de notre vie en société. Pourquoi sont-ils ignorés, traités avec si peu d’égard par les privilégiés, le monde politique, les élites dirigeantes, sauf en temps de crise ?

Les psychologues affirment qu’ils font peur, en quelque sorte, qu’on veut le moins possible avoir affaire à eux, parce qu’ils nous renvoient à nos propres vulnérabilités, nos fragilités, nos besoins vitaux que le monde moderne se targue d’avoir résolu une fois pour toutes, grâce aux avancées du progrès dans tous les domaines. Or, patatras ! Il suffit d’une pandémie, d’une guerre ou d’une catastrophe climatique pour rappeler à l’humanité combien ces métiers du « care » sont fondamentaux, combien notre « paradis » capitaliste les dénigre et les maltraite, alors qu’il faudrait les choyer et leur apporter une vraie reconnaissance.

L’agriculture ne répond pas exactement à la définition de métier du « care », quoique… Stopper toute activité agricole durant quelques semaines entraînerait aussitôt une baisse de production conséquente, des pertes irréparables, et provoquerait une rupture de l’approvisionnement alimentaire, et, de là, des famines. Hélas, fort étonnamment, notre métier souffre d’un manque criant de reconnaissance, est mal rémunéré et semble être traîné comme un boulet par notre société, nos instances dirigeantes, lesquelles n’assurent que le service minimum pour défendre nos droits, tandis qu’elles nous infligent des devoirs en veux-tu en voilà ! Les métiers du « care » souffrent exactement des mêmes maux !

Des gratifications d’un autre ordre récompensent les professions du « care » : ce sont des métiers de passion, qui procurent des émotions épanouissantes, éveillent chez ses acteurs de puissants sentiments humains comme l’altruisme ou la générosité, la sollicitude et l’empathie. Les agriculteurs ne sont pas en contact direct avec des êtres humains souffrants ou en difficulté, mais leurs activités assurent une fonction essentielle : produire de la nourriture !

Leur esprit de « care » se manifeste à l’égard de leurs animaux, de leurs récoltes, de toutes ces actions à exécuter pour protéger et soigner le bétail et les cultures. C’est idiot, mais perdre un agneau, par exemple, ou un veau, m’affecte bien davantage que perdre une grosse somme d’argent. J’ai vu pleurer un éleveur quand il a vu partir son troupeau brucellique pour l’abattoir, testé positif par des laboratoires d’analyse sans âme. Quand les Ardennais ont raté leurs moissons en 1984, il régnait dans les fermes une ambiance de fin du monde, alors que finalement, le mal n’était pas si grand…

Cette mentalité du « care » se perd peu à peu dans l’agriculture moderne, laquelle s’enferme progressivement dans ses triangles des Bermudes – mécanisation-chimisation-intensification + robotique-numérique-génétique – et perd peu à peu sa sensibilité, sa passion dévorante qui faisait tout son charme… et sa fragilité !

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