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Trouver mieux

« Aide-toi et le Ciel t’aidera ! » Le grand défi, pour une exploitation agricole, est de mettre en place une structure viable, capable d’équilibrer les dépenses et les recettes, susceptible de dégager un revenu, une juste récompense pour les nombreux efforts consentis. C’est loin d’être gagné d’avance, et c’est peu de le dire !

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Certains courent durant toute leur carrière derrière ce rêve inaccessible ; d’autres y parviennent après plusieurs années de labeur et de privations ; d’autres trouvent très vite leurs marques, avec détermination et clairvoyance ; d’autres encore jouent avec leur bonheur et ne cessent de se remettre en question. Ceux-ci touchent à tout pour trouver mieux, toujours mieux…

S’installer en agriculture n’est pas une sinécure, loin s’en faut ! Le plus souvent, un jeune fermier reprend la ferme familiale et, en théorie, il lui suffit de se saisir du flambeau, de continuer sur la lancée impulsée par ses parents. En théorie… Le nouveau repreneur a d’autres besoins financiers que Maman et Papa, de lourds emprunts à rembourser ; il a surtout d’autres projets, d’autres atouts à faire valoir, sans oublier ses propres démons à tenir en laisse ! Il veut que la ferme devienne sienne ; il est bien décidé à la marquer de son empreinte. C’est tout à fait logique !

Le grand risque est de jeter trop vite aux orties ce qui a fait la force de l’exploitation agricole de ses parents. Une ferme laitière ne devient pas du jour au lendemain un atelier d’engraissement de bovins viandeux ; un élevage de Blanc-Bleu-Belge ne se convertit pas en Limousin bio en un claquement de doigt, mais quelquefois avec pertes et fracas… Sauf pour les marchands.

Le mieux est souvent l’ennemi du bien, dirait-on. C’est en tout cas ce que l’on constate en agriculture. Notre métier a horreur de la précipitation, de l’improvisation, de la naïveté. Les changements trop fréquents nuisent à la cohésion d’une entreprise, en agriculture ou ailleurs. Avant de changer son système d’exploitation, de se diversifier, il faut bien réfléchir, investiguer, écouter les sages plutôt que les beaux parleurs ou les conseilleurs « intéressés », qui profiteront de votre crédulité. Mais j’en suis sûr, les jeunes et moins jeunes agriculteurs d’aujourd’hui sont intelligents, instruits, méfiants, et ne tombent pas facilement dans le panneau.

Que me chantez-vous là ? Pourtant oui ? Ils se font encore avoir trop souvent, comme leurs parents quand ils étaient jeunes et ont écouté les chants des sirènes de la politique agricole commune comme paroles d’évangile ? Leur imagination leur joue de vilains tours, dites-vous ? Les miroirs aux alouettes les fascinent irrésistiblement, et ils foncent bille en tête ? Ah bon, je croyais que les jeunes fermiers de 2024 sont de vraies machines de guerre agricoles, qui n’hésitent pas à défier leurs aînés, à jeter aux orties les vieux principes pour trouver mieux, toujours mieux…

À vrai dire, jeunes et vieux agriculteurs – ces derniers sont infiniment les plus nombreux ! – se grattent plus souvent l’occiput qu’à leur tour pour trouver des solutions à leurs problèmes de revenus, mais pas que… Gagner des sous n’est pas tout ! Il faut trouver du plaisir dans son travail, s’épanouir dans ses projets. Nos instances dirigeantes ne forcent guère leur imagination quand ils plaident et soutiennent la Diversification avec un grand « D », remède, selon eux, à tous nos maux. « Votre business ne marche pas, changer de business, adaptez-le aux réalités », ont décrété ces cerveaux brillants ! Quelle chance on a de les avoir, ne trouvez-vous pas ?

En fait de diversification, quelles sont les tendances, pour trouver mieux ? La vente à la ferme constitue le créneau le plus actif. Le circuit court a tout pour séduire ! On supprime ainsi – façon de parler… – tous ces intermédiaires qui ponctionnent chacun leur part du gâteau.

Seulement voilà, n’est pas commerçant qui veut. Il faut prendre du temps pour accueillir ses clients, assurer un service impeccable, aménager un point de vente agréable à visiter. Il faut investir de l’argent, s’investir humainement et émotionnellement. Il faut se mettre en ordre avec la tva, s’inscrire à la Banque Carrefour des Entreprises, respecter les règles de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire… Il faut, il faut, il faut… !

On n’a rien sans rien, mais trouver mieux via le circuit court passe par une phase très intense de travail et de remise en question. Bravo aux agricultrices et agriculteurs qui se lancent dans l’aventure. Elles et ils m’épatent vraiment !

Pour ma part, quand j’ai débuté l’agriculture, la tête farcie de projets que je trouvais « géniaux », je me suis très vite heurté au mur des réalités, comme tout le monde sans doute. Le plus raisonnable est de commencer par faire au mieux ce que l’on sait faire. J’aimais bien les animaux et avais un bon feeling pour les soigner ; j’ai donc trait des vaches pour m’assurer un revenu mensuel stable, quitte à passer pour une andouille. J’étais nul dans d’autres domaines, comme la conduite de véhicules : j’ai donc investi très peu dans du matériel agricole, quitte à passer pour un plouc.

D’autres avaient des atouts différents et s’en sont servi. N’est-ce pas là la meilleure « diversification » : cette recherche de stabilité dans une routine -certes ennuyeuse aux yeux de certains- plutôt que cette quête permanente d’un paradis rêvé, qu’il faudra assumer au risque de se perdre dans ses chemins tortueux, présentés par d’aucuns comme des autoroutes du bonheur ?

Tourisme à la ferme, gîtes, ferme pédagogique ou sociale, travaux pour tiers, emploi à mi-temps hors de l’exploitation… Les pistes de diversification ne manquent pas ! Trouver mieux, oui, mais pour s’épanouir, et pas à n’importe quel prix.

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