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Un dix-septième de %

Difficile d’y croire, et pourtant c’est vrai ! La vigne est aujourd’hui cultivée en Belgique… Qu’importe la région, pourvu qu’on ait l’ivresse ! En 2022, selon le Service Public Fédéral, la Belgique comptait 259 vignerons et la bagatelle de 802 hectares de vignobles ! Et ces chiffres ne cessent de croître, tandis que la superficie agricole vivrière rétrécit comme peau de chagrin, grignotée par les énergies renouvelables, les élevages de loisirs, l’urbanisation, les réseaux routiers et ferroviaires, les aéroports, les zonings économiques et industriels, les zones naturelles protégées ou consacrées à des MAEC, etc, etc. Étrange pays confetti, où la terre nourricière est galvaudée…

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802 hectares, ce n’est pas grand-chose en regard des 1.368.315 ha de surface agricole utile, recensés par le SPF en 2022 : à peine un dix-septième de % de la SAU belge actuelle ! Une goutte d’eau dans un tonneau de vin ! Mais 802 ha, cela représente tout de même quatorze équivalents-fermes wallonnes ; 802 ha de froment panifiable permettent d’obtenir près de treize millions/an de pains de 600 grammes ; 802 hectares de prairies peuvent nourrir 1.600 vaches laitières à 7.000 litres/an, et assurer la production d’environ onze millions deux cent mille litres/an de lait, ou un « petit » million de kilos de fromage. À la place de toute cette nourriture, les 802 hectares de vignes ont produit en 2022 trois millions de litres de vin, quatre millions/an de dives bouteilles !

Quatre millions de boutanches, contre onze millions deux cent mille berlingots de lait ou treize millions de pains… Je préfère le lait au vin, mais ce n’est pas l’avis de tout le monde. Il n’est point de sot métier, ni de sotte culture apparemment, puisque les plantes récréatives sont cultivées sur tous les continents : coca en Colombie, pavot en Afghanistan, cannabis en Inde, peyotl au Mexique, vignobles sur le pourtour de la Méditerranée, etc. Pourquoi pas chez nous ? Nous avions l’orge de brasserie et le houblon, et maintenant le raisin…

On ne va tout de même pas chicaner pour un dix-septième de % retiré à l’agriculture nourricière ! La Mesure Agri-Environnementale et Climatique MB12 a fait bien pire en 2023, en proposant 2.400 €/ha pour laisser des céréales sur pied. 1.500 hectares non récoltés, quasi le double de la surface des vignes ! C’est ahurissant, aberrant, décoiffant ! Ces « innocents » fragments de % ne font que s’ajouter aux terres perdues au fil des décennies.

En 1895, la Belgique recensait une SAU de 1 916 690 ha ; en 1929,1 824 352 ha  ; en 1965, 1 601 707 ha ; en 1985, 1 389 858 ha ; en 2006, 1 369 041 ha ; en 2023, 1 368 315 ha. La superficie agricole se réduit comme « peau de chat gris, dirait ma petite-fille de sept ans ; la SAU belge a perdu 548.375 ha en l’intervalle de 128 années, soit 28,6 %. Plus d’un hectare sur quatre ! 170.000 ha ont été reconvertis en forêt, sans doute des terres médiocres qui n’avaient d’« agricoles » que le nom. L’urbanisation et la construction de routes, de voies ferrées, d’aéroports, d’infrastructures sportives, se sont taillées généreusement une bonne part du gâteau ; les zones économiques et industrielles ont achevé le travail de sape, et n’ont pas fini leur œuvre de grignotage.

De surcroît et dans l’absolu, si l’on considère les utilisations non nourricières de la SAU actuelle, combien d’hectares utiles restent-ils ? Dans quelle proportion l’agriculture de 2023 produit-elle encore des denrées alimentaires en Belgique ? Il faut retirer les prairies où broutent les chevaux et d’autres animaux de loisir. Les terres où l’on cultive du blé pour produire du bio-éthanol, où l’on plante du maïs pour la bio-méthanisation. Les champs « hybrides » où sont (seront) déployés des panneaux photovoltaïques. Les parcelles à l’abandon, en déshérence ou en indivision. Les zones Natura 2000 ultra-protégées, interdites de culture et très extensives ; les MAEC et Zones Non Productives…

Il faudrait un jour recenser la SAU mésusée pour mesurer avec quelle désinvolture nos surfaces agricoles sont employées à des fins pas vraiment indispensables. Ne soyons pas d’esprit (chat gris) chagrin ! Mais tout de même… Certains fermiers se disputent entre eux le moindre « courtil de vî femm » -comme on dit en Ardenne –, le moindre lopin de terre, à coups de surenchères et de petites trahisons. D’autres laboureraient les chemins, si personne ne les calmait. Les 4 % de zones non productives ont fait hurler un grand nombre d’agriculteurs, et incendié l’ire paysanne lors des manifestations de février. Et pendant ce temps, tranquille, on célèbre à la télé le merveilleux esprit des viticulteurs belges, lesquels sans doute ne se contenteront pas à l’avenir du dix-septième de % qu’ils occupent pour l’instant.

La perte sournoise de terres agricoles, pour un tas de bonnes et moins bonnes raisons, entraîne un manque à produire, lequel engendre une intensification croissante des parcelles « sauvées » et l’importation de denrées alimentaires pour remplir les estomacs des cochons et volailles qui remplissent ceux des Belges. Et si demain l’Europe et la Belgique sont bloqués, pour cause de missiles russes par exemple, quels hectares nourriront-ils donc la population ? Le blé ne pousse pas sur les surfaces asphaltées des villes et villages, sur les autoroutes et les aéroports, sur les toits et les aires bétonnées… Les gens seront peut-être contents de récupérer le dix-septième de % des SAU, les 13 millions/an de bons pains, les 11 millions 200 mille litres de lait pour donner à manger à leurs enfants. Qui sait ?

À moins que le vin ne soit absolument nécessaire à la vie, psychotrope légal pour le régal des foules ? Dites-moi ?

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