Falsications des renseignements sur la date de congélation de la viande et non-conformité de plus de 50 % des produits contrôlés… Ces deux infractions, constatées par un juge d’instruction les 28 février et 1er mars dans un atelier de découpe et un surgélateur industriel de Veviba, n’ont pas été sans conséquence pour l’entreprise. En effet, le 7 mars, le ministre fédéral de l’Agriculture, Denis Ducarme, et l’Agence fédérale de la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) ont procédé au retrait d’une partie des agréments de l’entreprise bastognarde ; l’abattoir continuant de fonctionner.
Immédiatement, l’Afsca a été chargée de prendre les mesures qui s’avèrent nécessaires à la protection de la santé publique, compte tenu des éléments du dossier et en vertu du principe de précaution. Cela a entraîné le retrait des rayons de plusieurs produits ne satisfaisant pas aux normes sanitaires en vigueur. Étaient visées : de la viande hachée et des queues de vache. Les morceaux nobles n’étaient, eux, pas concernés par ces retraits.
« Verbist a commis une faute grave en n’hésitant pas à faire courir un risque au consommateur », Denis Ducarme
En outre, l’Agence a intensifié et concentré ses contrôles sur l’entièreté des entreprises liées au groupe Verbist, propriétaire de Veviba. Et le ministre de préciser que « l’entreprise ne récupérera pas ses agréments si le doute persiste ».
Éleveurs en danger
Face à cette nouvelle affaire, les réactions des syndicats agricoles ne se sont pas fait attendre. Ainsi, la Fédération wallonne de l’agriculture (Fwa) s’est dite « totalement scandalisée par les fraudes pratiquées ». Et d’ajouter que « si les éleveurs travaillent tous les jours de l’année dans le respect strict de normes sévères, leurs efforts sont salis par un maillon de la filière qui n’exerce pas sa mission de façon scrupuleuse ».
La Fwa redoute que l’image et la réputation de l’ensemble de la filière bovine soient touchée par cette fraude, entraînant une perte de confiance du consommateur final dans la qualité des productions alimentaires wallonnes. « Les éleveurs craignent d’être ceux qui, in fine, paieront une fois de plus le prix de cette fraude, alors qu’ils n’en sont pas responsables », ajoute le syndicat.
De son côté, la Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs (Fugea) déplore elle aussi que « le secteur de la viande bovine soit mis à mal suite aux malversations des dirigeants de Veviba ». Elle plaide pour que soient trouvées des solutions pour soutenir et aider le secteur de la viande bovine.
La Fédération belge de la viande (Febev) rappelle quant à elle que « la transparence et le respect des législations doivent rester une exigence fondamentale ». Face au « cas » Veviba, elle souhaite que soit appliquée la tolérance zéro.
Dans la foulée, Denis Ducarme a rassemblé les syndicats agricoles et le secteur de la distribution, le 8 mars, afin d’évoquer les conséquences que pourrait avoir sur eux ce scandale. Son objectif : éviter qu’ils ne souffrent d’une « fraude isolée », pour reprendre ses propres termes. Étaient également présents autour de la table, les ministres wallons de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet, et de l’Agriculture, René Collin. Ce dernier s’est manifesté en faveur d’une sauvegarde de l’outil et d’une reprise rapide de ses activités, tout en garantissant le respect des normes sanitaires.
Poursuites juridiques
Pour le groupe Verbist, les conséquences de la fraude ne se limitent pas aux retraits sanitaires et à la perte des agréments sur le site de Bastogne. Le 9 mars, Delhaize a annoncé mettre un terme définitif, avec effet immédiat, à sa coopération avec toutes les filiales du groupe. L’enseigne a été suivie par Colruyt. Ce dernier évalue par ailleurs si des poursuites judiciaires doivent être engagées. Compte tenu de l’enquête en cours, Carrefour a annoncé suspendre provisoirement sa collaboration avec l’abattoir Adriaens malgré des contrôles négatifs. L’enseigne ne collaborait pas avec Veviba.
L’entreprise s’est également vu contraindre d’accepter la présence de deux managers de crise désignés par le gouvernement wallon. Deux missions leur ont été assignées. Premièrement, Quality Partner établira une photographie complète de la situation sanitaire de l’entreprise. Christian Kerkhofs, un ingénieur agronome originaire d’une famille d’éleveurs, aura pour seconde mission d’analyser la situation générale de l’entreprise au regard des réseaux commerciaux et de la situation du personnel.
Enfin, Veviba devra répondre de ses actes devant la justice, le ministre Ducarme ayant par ailleurs décidé de se constituer partie civile. Une demande formulée par la Fugea mais à laquelle il songeait déjà, lui qui avait déjà agi de la sorte lors de la crise du fipronil. L’Agrofront (Fwa, Boerenbond et Abs) et le gouvernement wallon ont annoncé qu’ils se joindraient au ministre dans son action.
Transparence et respect
Suite à ce scandale, l’Agrofront demande que des actions soient menées pour venir en aide aux éleveurs bovins mais aussi pour rétablir la relation de confiance entre éleveurs et transformateurs. Ainsi, les syndicats revendiquent notamment que des mesures soient prises pour une pesée correcte des carcasses dans les abattoirs et, en outre, que les systèmes de pesée soient davantage contrôlés inopinément. Des modifications devraient intervenir dans le mode de présentation des carcasses, pour un maximum de transparence et de traçabilité. Ils souhaitent aussi que soit soutenue la création d’une organisation de producteurs pouvant négocier les prix directement avec les clients.
Sur le plan économique, les partenaires désirent, entre autres, que la pression fiscale à laquelle font face les exploitations bovines soit allégée dans les mois à venir. Ils sollicitent que ces mêmes exploitations puissent bénéficier de facilités dans l’octroi de crédit. Concernant la répartition des marges au sein des maillons de la chaîne, la transparence devrait être de mise afin que chacun bénéficie de sa juste part. À cet effet, le secteur appelle le Spf Économie à finaliser l’étude sur les marges au sein de la chaîne viande bovine.
Sur le volet promotionnel, l’Agrofront souhaite que la viande bovine belge soit mise en évidence dans les grandes surfaces, sans pour autant être bradée. Ils demandent que des moyens de promotions supplémentaires soient mis en place vis-à-vis des consommateurs et de l’Horeca.
De son côté, la Concertation chaîne (regroupant notamment l’Agrofront, la fédération du commerce Comeos et la fédération de l’industrie alimentaire belge) demande que l’appareil judiciaire face rapidement le point sur l’affaire « Veviba ». En outre, les différents acteurs prescrivent que « les mécanismes de contrôle et d’informations existants (tant au niveau des autorités de contrôle, qu’au niveau des mécanismes privés de contrôle et d’autocontrôle) soient vérifiés afin de mettre en place des contrôles mieux coordonnés, plus intelligents et plus rigoureux visant à éviter tout risque de fraude ».
Enfin, la Fugea défend l’idée d’introduire davantage de solidarité et de respect entre les acteurs de la filière. Le syndicat lance un appel à la coopération entre éleveurs « afin d’augmenter leur contrôle sur la qualité des produits finis et leur prix ». Il propose également de créer un système d’« agro-chèque » permettant de soutenir les productions locales.
(avec Belga)
Créée en 1995, l’entreprise Veviba (Verbist viande de Bastogne) est spécialisée dans les abattages, la découpe et le portionnage de viande, de BBB principalement, et, dans une moindre mesure, d’agneau et de gibier. Elle appartient au groupe Verbist, présent dans le secteur depuis une cinquantaine d’années et propriétaire d’une dizaine d’autres sociétés, dont Gibier d’Ardenne, E.E.G. Slachthuis Verbist Izegem (l’abattoir d’Izegem) ou encore Abattoir et marché de Bastogne.
Selon les chiffres publiés en mars 2017 par la Chambre de commerce et d’industrie du Luxembourg belge, le groupe Veviba réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 200 millions d’euros, dont 30 % à l’export. Près de 30.000 bêtes sont abattues chaque année à Bastogne (où travaillent 300 personnes). Chaque semaine, Veviba Bastogne taille en pièces techniques 170 t de viande de bœuf et prépare 70 t de portions individuelles (carpaccio, steak, entrecôte…) sur 14.000 m².
L'ensemble des abattoirs du groupe Verbist représente 26 % des bovins abattus en Belgique.
L’Afsca à nouveau ébranlée
L’affaire Veviba prend aussi un tournant politique. Denis Ducarme, dont dépend l’Afsca, a été entendu en commission de la Santé de la Chambre des représentants le 12 mars. Cette réunion a permis de retracer l’historique de l’affaire, depuis la plainte déposée en septembre 2016 au Kosovo, où exportait Veviba, jusqu’à la perquisition menée fin février 2018 et la prise de mesures sanitaires qui a suivi.
Les discussions n’ont toutefois pas permis de définir pourquoi un tel délai s’est écoulé entre le dépôt de plainte et la perquisition. « Des dispositions auraient dû être prises pour que les contrôles soient plus offensifs, compte tenu des informations dont on disposait depuis octobre 2016 », a affirmé M. Ducarme.
Herman Diricks, administrateur délégué de l’Afsca, tempère et soutient que l’Agence ne pouvait plus investiguer, dès lors qu’une enquête judiciaire était ouverte. Veviba a néanmoins continué à être contrôlée – de manière inopinée – comme toutes les autres entreprises du secteur. En 2016, elle a subi 12 contrôles. Huit autres ont suivi en 2017. Les rapports relatifs à ces contrôles seront remis au ministre en vue de comprendre comment le dossier a été géré.
Le ministre Ducarme a d’ores et déjà annoncé que des réformes seront menées au sein de l’Agence, « en vue de mettre fin à certains déficits en matière de contrôle et de transmission de l’information ». Un audit sera mené à cet effet.
À la suite de ces auditions, certains députés souhaitent que l’Afsca passe sous la tutelle de la ministre fédérale de la Santé, Maggie De Block. D’autres ont demandé la tête d’Herman Diricks. À l’heure d’écrire ses lignes, son sort n’était pas encore connu.
Collin plaide la réforme
Estimant que le mode de fonctionnement actuel de l’Afsca a montré ses limites, René Collin s’est lui aussi positionné en faveur d’une réforme.
Il plaide pour l’instauration de contrôles dont l’importance dépend du niveau de risque que présente la structure inspectée. Ainsi, les contrôles seraient plus sévères dans les grands établissements, employant un nombre important de travailleurs sur une grande surface, que dans les PME ou chez les artisans. Il souhaite également que les schémas suivis par les contrôleurs prennent davantage en compte les réalités du terrain wallon. « Les Régions doivent être mieux représentées au sein de l’Agence », dit-il.
Rassurer le consommateur et promouvoir les éleveurs!
Afin de faire le point sur l’ensemble de l’affaire Veviba et de ses répercussions sur la filière bovine, René Collin a rencontré, le 13 mars, les représentants des organisations professionnelles wallonnes, les structures d’encadrement et de transformation (Collège des producteurs, Fevia…) et des représentants du Service public de Wallonie.
Impliquer les éleveurs
Au cours de la réunion, le ministre Collin a relevé trois niveaux de préoccupation. Il vise en premier lieu les consommateurs, qu’il convient de rassurer et d’informer en toute transparence suite à la fraude constatée à Bastogne.
Les éleveurs sont eux aussi concernés. M. Collin souhaite rappeler aux consommateurs qu’ils ne sont en rien responsables du scandale « Veviba ». « Leurs animaux sont élevés en toute transparence, dans le respect du bien-être animal », insiste-t-il. Des campagnes seront menées dans les semaines à venir afin de promouvoir la qualité du travail des éleveurs wallons.
Le troisième point concerne l’outil bastognard en tant que tel. Utilisé par Veviba, celui-ci n’appartient pas à l’entreprise, mais bien à l’intercommunale Idelux. Sous réserve d’une reprise de l’outil, le ministre désire que les éleveurs soient intégrés à sa gestion, via une coopérative. Ainsi, ils auraient un droit de regard sur l’abattage et la transformation de leurs animaux.
Récupérer les deniers wallons
Ce même jour, le ministre wallon de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet, a révélé que Veviba a reçu, depuis 2013, 5,5 millions d’euros de prêts de la Sogepa, un des bras financiers de la Région wallonne. 3,7 millions doivent encore être remboursés. À ce montant, s’ajoutent 2,88 millions de primes wallonnes à l’investissement versées depuis 2001 aux entités du groupe Verbist, essentiellement pour le site de Bastogne.
Au regard des importants montants octroyés, le ministre Jeholet s’est fixé un objectif clair : tout mettre en œuvre pour récupérer les sommes investies.