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Mais où sont les neiges d’antan?

Quasiment occultée par la coupe du monde de football au Qatar, la COP 15 dédiée à la biodiversité s’est tenue du 7 au 19 décembre 2022 à Montréal. Très peu d’échos ont filtré dans la cacophonie du moment, focalisée sur le ballon rond et ses innombrables avatars. Cette désinvolture des médias m’a écœuré, attristé, consterné. Elle témoigne une fois de plus de cette propension à occulter les sujets les plus cruciaux, ceux qui concernent directement l’avenir de l’espèce humaine, à un moment de son histoire où il conviendrait de surveiller notre environnement comme un poêlon de lait sur le feu. Souffrirais-je de « solastalgie », ce mal-être causé par les changements environnementaux, par le gommage insidieux de nos points de repères naturels et l’apparition d’autres réalités, par la disparition des « neiges d’antan » ?

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Les organisateurs de la COP 15 dédiée à la sauvegarde de la biodiversité ont joué réellement de malchance. Prévue en octobre 2020, les soubresauts de la pandémie de Covid-19 ont forcé plusieurs fois son report dans une intrigue de mauvais roman, émaillé de discussions, de déclarations à l’emporte-pièce, d’atermoiements sur fond de volcanisme géopolitique. Pour les écosystèmes en voie d’anéantissement, le compte-à-rebours fatal a continué de tourner : l’espoir fait vivre, mais l’attente fait mourir ! C’est particulièrement vrai pour le million d’espèces menacées d’extinction et les 75 % de la surface terrestre altérés de manière significative. Le 19 décembre, au lendemain de la finale France-Argentine gagnée par qui vous savez, un accord a été signé -Alléluia ! –, catalogue de bonnes intentions qui accouchera peut-être d’une souris, si tout va bien…

Ce fut bien beau, mais un peu vain et inutile dans l’esprit des gens, d’avoir disserté ainsi à Montréal sur un sujet qui concerne tout le monde en général, et personne en particulier ! Car hélas, nos agitations quotidiennes occupent déjà les plus grandes plages de nos pensées, dans un contexte général de crises multiples : économique, énergétique, climatique, sociale, géopolitique, existentielle… Alors, vous comprenez bien, on n’a pas que cela à songer, diront la plupart ! À quoi bon se tracasser pour la disparition d’une espèce de papillon rare, alors même qu’un zigoto peut à tout moment vous balancer une ogive nucléaire sur la cafetière, tandis qu’un de vos proches souffre d’un cancer et que la fonte à vue d’œil de votre trésorerie vous donne des sueurs froides ?

Et pourtant, oui, au-delà des misères « habituelles » de notre monde, de plus en plus d’inquiets se tracassent réellement pour la dégradation de nos écosystèmes. Pourquoi ? Des changements de plus en plus marqués nous privent de notre monde d’avant, de nos points de repère imprimés profondément dans notre conscience. Les neiges d’antan, par exemple… Où se cachent-elles ? Les avons-nous perdues à jamais, comme le suggéra François Villon en 1461 dans sa Ballade des Dames du temps Jadis ? Où sont Hélène de Troie, Héloïse, Jeanne d’Arc et Flora la belle Romaine ? Le poète maudit usait de métaphores pour donner corps à ces sentiments de nostalgie qui nous assaillent sans crier gare, pour un passé perdu qui ne reviendra plus…

Disparus, les paysages enneigés en Ardenne qui illuminaient les jours sombres de décembre et janvier, les gels sévères qui figeaient les campagnes début février, suivis de pluies intenses qui lessivaient l’hiver, les bises de mars qui séchaient les labours…

Inondés en hiver, embroussaillés puis changés en savanes inflammables en été, nos fonds de pré humides confisqués et reconvertis en « réserves (sur)naturelles »…

Malades d’avoir trop vite grandi et tout envahi, rongés par les scolytes et changés en squelettes décharnés, nos épicéas qui faisaient la fierté et marquaient l’identité de notre verte province…

Apparus comme par magie, venus de je ne sais où et amenés par je ne sais qui, ces loups, ces castors et ces bouquetins, en attendant -tant qu’à faire !- des ours ou des bisons…

Disparue à moitié des vertes prairies, notre race blanc-bleu-belge, fleuron fantôme de l’agriculture wallonne…

En pleine colonisation, cultivés aujourd’hui comme en Hesbaye et Condroz sur de grandes parcelles remembrées, ce maïs, ces cultures sarclées et ces céréales, lesquels, avant 2010, n’auraient jamais pu monter à l’assaut des hauts plateaux ardennais trop froids pour eux…

Notre environnement change à toute vitesse, et chaque année apporte ses surprises. Ces modifications affectent notre représentation mentale du milieu qui nous entoure, lequel nous rassurait par ses couleurs, ses odeurs et ses bruits, aujourd’hui très différents. Les psychologues ont identifié ce phénomène par un néologisme, la « solastalgie », ce sentiment d’avoir été dépossédé d’un cadre de vie immuable et épanouissant. Le défi climatique constitue une fabrique étonnante de nouveaux mots ! On parle aussi « d’éco-anxiété » chez les jeunes. Ceux-ci appréhendent l’avenir sombrement ; leurs certitudes vacillent et ils hésitent même à avoir des enfants, pour ne pas les précipiter dans le monde de cauchemar qui se profile à leurs yeux.

La solastalgie et l’éco-anxiété pourraient paraître bien négatives, côté face. Côté pile, ces deux phénomènes démontrent l’attachement de l’humanité à son cadre de vie naturel et humain. Dans le meilleur des scénarios, ils pourraient déboucher sur une véritable prise de conscience et un changement de société inéluctable. Le processus est en route, bien trop lentement selon les spécialistes du climat et de la biodiversité, mais en route tout de même…

Il suffirait d’une accélération, d’un bon coup de pouce qui se fait attendre. Les COP « climat et biodiversité » posent cette question essentielle : retrouverons-nous un jour notre cadre de vie d’antan ? Allégories de notre environnement naturel et humain, les Dames du Temps Jadis ont déserté nos paysages, nos horizons. Comme l’écrivit François Villon : « Prince, gardez-vous de demander, cette semaine, ou cette année, où elles sont, de crainte qu’on ne vous rappelle ce refrain : « Mais où sont les neiges d’antan ? » ».

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