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Mitscherlich et le prix des engrais

Une question revient souvent dans les conversations: «Comment raisonner les engrais vu leur coût actuel?» Sans doute pouvons-nous répondre: «Comme en 2009, quand les engrais avaient augmenté dans la foulée du prix des céréales mais sans redescendre aussi rapidement.»

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On peut aussi répondre par la loi de Mitscherlich, dite «des rendements moins que proportionnels». Je me souviens qu’on l’enseignait déjà, il y a 50 ans, dans les écoles d’agriculture. Il faut imaginer un graphique, avec des doses croissantes d’engrais en abscisse (la flèche horizontale) et la réponse en termes de productivité en ordonnée (la flèche verticale).

La génération de l’après-guerre était dans la situation de la première partie du graphique. Disposant d’assez peu de réserves, les sols et les cultures répondaient parfaitement aux apports de fertilisants.

La génération suivante a continué sur la lancée, qui correspond à la seconde partie du tableau. Selon les cas, les excédents sont passés en consommation de luxe ou sont restés au sol, constituant des stocks de guerre pour les années difficiles. Les analyses de terre donnent une bonne idée de l’état des lieux par parcelle pour la plupart des éléments nutritifs. Ce n’est pas pour rien qu’on parle d’engrais de fond quand il s’agit de phosphore et de potassium. On n’est pas lié à l’année.

Pour l’azote, c’est différent. On remet les compteurs à zéro après chaque hiver. Selon le stock d’humus et les matières organiques fraîches, avec éventuellement une analyse des reliquats azotés, on a de repères pour le calcul des besoins mais il faut spéculer sur ce que sera la minéralisation.

On parle bien de spéculation car c’est la météo qui aura le dernier mot. D’une année sur l’autre, elle peut, soit encourager l’activité biologique du sol à faire tout le boulot, soit mettre des bâtons dans les roues de nos chers micro-organismes. Ceux-ci peuvent alors bouder au mauvais moment, comme ce fut le cas en 2012 où mai, juin, juillet furent trop humides puis août septembre très sec.

Moralité, dans des sols en ordre, pas de panique à bord. L’offre du sol est généralement plus élevée aujourd’hui qu’il y a 30 ans. L’idée que nos sols seraient morts est réellement un fake-news. On fait beaucoup plus attention qu’avant au stock organique des sols, aux doses et à l’écotoxicité des produits phytos, à la fréquence des engrais verts et, dernier paramètre mais sans doute le plus déterminant pour la biofertilité: la structure du sol.

Il suffit de reprendre les Livres Blancs et de remonter le temps en regardant ce que donnent les témoins sans azote en céréales: c’est impressionnant. Sans azote, le facteur «offre du sol» joue davantage que le «facteur variétal». Il est en constante augmentation. Et les doses recommandées, à plus forte raison en visant l’optimum économique, n’augmentent pas. On a l’impression que l’offre du sol progresse autant que le potentiel des variétés.

Ce qui a changé, en 40 ans, c’est la réduction des pluies acides. Le soufre dans l’atmosphère a baissé de 80% (carburant plus propre, fermeture d’usines polluantes ou installation de filtres pour celles qui restent). Par contre, il est pertinent de penser engrais soufré en sortie d’hiver. Mais d’un autre côté, avec moins de pluies acides, il est moins nécessaire de chauler. Cela tombe bien: dans le bilan carbone de l’agriculture, on diminue ainsi les retours de CO2 dans l’atmosphère. C’est encore un bon point en faveur du métier, vu du côté «réchauffement climatique».

Enfin, petite réflexion personnelle à partager avec les gens de mon âge: si on remplace les engrais par les années dans le tableau de Mitscherlich, on a une belle image de la vie: jusqu’à 25 ans, on gagne en productivité. On plafonne ensuite jusque 65 ans puis, il faut accepter de décliner petit à petit.

Cette loi pourrait aussi s’appeler la «loi de la baignoire renversée».C’est assez visuel. En tous cas, dans des sols en ordre d’un point vue minéral et organique, on ne part pas du côté gauche du tableau. Et si on est sur le plateau, pas de soucis. On complète l’offre du sol, de plus en plus «durable » quoiqu’on en dise. Avec une probable tension sur les cours des produits agricoles, et pour peu que la météo aille dans le bon sens, ne soyons pas défaitistes.

JMP

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