Accueil Un savoir-faire à perpétuer

Meunier, de père en fils… ou petite-fille!

À Moulbaix, près d’Ath, Laura Noppe moud le grain dans le moulin de la Marquise. Elle nous parle de son métier, dont le savoir-faire est un héritage familial.

Temps de lecture : 7 min

À 22 ans, Laura perpétue un métier présent dans sa famille depuis quatre générations et, comme elle le dit simplement, « Cela s’est fait naturellement, je ne me suis jamais posée de questions. C’est une fierté de continuer sur les traces de mon grand-père et de faire perdurer ce que mes grands-parents ont construit ».

1 Photo- Collection privée

Un moulin, une vie

Pour être meunière, il faut un moulin. Et celui de Laura a de particulier qu’il ne relève pas des installations modernes automatisées d’aujourd’hui puisqu’il a quelques siècles au compteur. Il aurait été édifié en 1614 à Blicquy, par un habitant de ce village. Ce moulin à vent fut ensuite transféré à Moulbaix, en 1747, et racheté dans la foulée par le marquis Gabriel François du Chasteler. En 1927, il est sauvé de la démolition par la dernière Marquise du Chasteler, ce qui lui valut le nom de « Moulin de la Marquise ».

Néanmoins, à partir de 1936, il tombe à nouveau dans l’oubli. Jusqu’à l’arrivée, en 1942, d’Hector et Jozef Dhaenens, arrière-arrière-grand-père et arrière-grand-père de Laura, qui décidèrent de remettre en ordre et en service l’édifice. C’est ainsi que ce moulin en bois devint la raison de vivre de la famille Dhaenens. « L’apport important fait par mes aïeux au moulin est l’ajout d’un moteur électrique qui leur a donné la possibilité de le faire fonctionner indépendamment du vent. Durant la guerre, le moteur leur a aussi permis de produire de la farine à l’abri du regard des Allemands, sans faire tourner les ailes, afin de venir en aide aux familles affamées », explique Laura.

Jozef Dhaenens exploita le moulin jusqu’en 1982.
Jozef Dhaenens exploita le moulin jusqu’en 1982. - Collection Privée
Le moulin aurait pris ses quartiers à Moulbaix en 1747.
Le moulin aurait pris ses quartiers à Moulbaix en 1747. - Collection privée

Passage de savoir-faire

Jozef Dhaenens exploita le moulin jusqu’en 1982. C’est son fils, Joseph qui en prit alors la suite et devint meunier à son tour. « Tout en gardant son cœur au moulin, mon grand-père, avec l’aide de ma grand-mère, a veillé à moderniser son métier et ils ont développé un négoce de grains et d’intrants agricoles sous le nom du Moulin de Moulbaix. Au fil du temps, la farine produite au moulin est uniquement dédiée à l’humain et mes grands-parents aménagent un petit point de vente au pied du moulin ».

Jozef Dhaenens et son épouse.
Jozef Dhaenens et son épouse. - Collection privée

Plus tard, le négoce se développe et passe aux mains des générations suivantes mais le moulin reste toujours le repère de Joseph Dhaenens. « Mes parents ont repris la relève du négoce et, en 2000, un nouveau magasin a vu le jour pour la vente de farines en l’étendant au hobby avec des produits pour les animaux de compagnies et pour le jardinage. Mon grand-père est quant à lui resté attaché à son moulin. Il faut dire que cette activité a toujours été une histoire « d’hommes ». Ses deux filles ne s’y étaient pas vraiment intéressées et il pensait bien que son petit-fils le ferait. Mais en grandissant, Toine, mon frère s’est davantage investi dans le négoce et le moulin est devenu mon domaine de prédilection. Mon grand-père m’a transmis sa passion et son savoir-faire. Il m’a bien fallu deux ans pour apprendre toutes ses astuces. Depuis la fin de mon bachelier en agronomie, je m’y consacre pleinement et je mouds en moyenne trois fois par semaine. Malheureusement, mon grand-père nous a quittés entre-temps ».

Monsieur et Madame Dhaenens et leurs trois petits-enfants.
Monsieur et Madame Dhaenens et leurs trois petits-enfants. - Collection privée
Un doigté transmis de génération en génération.
Un doigté transmis de génération en génération. - Collection privée

Travail d’équipe

Aujourd’hui, au Moulin de Moulbaix, chacun a trouvé sa place et s’y sent bien. « C’est une bonne chose car on s’entraide l’un l’autre. De plus, mon activité relève de l’artisanat mais la partie négoce me permet d’avoir la matière première de qualité dont j’ai besoin. L’apport est local puisqu’il provient des agriculteurs du coin et je connais ce que je mouds », explique Laura.

La jeune meunière moud de la farine de froment, de blé dur et d’épeautre en conventionnel. La farine biologique est proposée sous le label « Nature plus » et est faite à base de froment, épeautre, petit épeautre, seigle, sarrasin ou encore blé paysan. Tous ces produits sont vendus au magasin du Moulin de Moulbaix mais aussi à des boulangers ou aux agriculteurs clients de l’entreprise pour la vente à la ferme ou leur consommation personnelle.

L’activité au moulin dépend de la saison et des demandes : « En été, la quantité est un peu moindre puisque les gens pâtissent peu et mangent moins de pain. Ce n’est pas forcément un problème pour nous car la météo a également un impact sur la production. Quand il fait chaud, les meules chauffent plus rapidement et cela abîme la farine. Nous travaillons donc uniquement tôt dans la journée. De plus, c’est généralement les périodes de moissons et réception des grains et cela nous occupe pas mal aussi ».

Orienté face au vent, le moulin bénéficie d’une vue changeante exceptionnelle.
Orienté face au vent, le moulin bénéficie d’une vue changeante exceptionnelle. - D.J.

Au commencement, on trie…

L’élaboration de la farine à partir des céréales récoltées suit un processus bien huilé.

Après un premier triage effectué par Toine, le frère de Laura, et Quentin au cœur de l’entreprise familiale, les sacs de grain sont hissés sur le palier du moulin. Ils sont ensuite déversés dans une trémie d’alimentation. Grâce à une courroie à godets, le grain est acheminé au niveau supérieur du moulin jusqu’au nettoyeur. « Le grain y est alors à nouveau brossé pour éliminer les poussières restantes. Sa propreté est un des critères principaux afin d’obtenir une farine de qualité, d’éviter la présence de corps étrangers et de toutes autres impuretés ».

Les grainssont déversés dans une trémie d’alimentation.
Les grainssont déversés dans une trémie d’alimentation. - D.J.

« Quand on est dans le moulin, on ressent tout son vécu. »

Les secrets d’une mouture réussie

Une fois passées au nettoyeur, les céréales arrivent dans une trémie d’attente, grâce à une autre courroie à godets. La capacité de celle-ci varie selon le type de moulin. « Les grains passent ensuite par l’auget – un petit toboggan comme je l’explique aux enfants –, celui-ci les laisse progressivement tomber entre deux meules en pierre naturelle ».

Une fois passées au nettoyeur, les céréales arrivent dans une trémie d’attente, grâce à une autre courroie à godets.
Une fois passées au nettoyeur, les céréales arrivent dans une trémie d’attente, grâce à une autre courroie à godets. - D.J.
« Les grains passent ensuite par l’auget - un petit toboggan comme je l’explique aux enfants -, celui-ci les laisse progressivement tomber entre deux meules en pierre naturelle ».
« Les grains passent ensuite par l’auget - un petit toboggan comme je l’explique aux enfants -, celui-ci les laisse progressivement tomber entre deux meules en pierre naturelle ». - D.J.

Le moulin de la Marquise compte deux paires de meules. La première est commandée par le vent et la seconde par un moteur électrique. « Auparavant, la première paire de meules était utilisée pour la fabrication de farines animales. Nous avons cessé d’en produire car les quantités n’étaient pas assez importantes pour satisfaire les fermes modernes. De plus, la mouture au vent est moins régulière qu’au moteur électrique, cela a un impact sur la finesse et la qualité de la farine ».

Dans chaque paire de meules, on distingue la meule fixe, dite dormante ou gisante, au-dessus de laquelle repose la meule dite tournante ou courante, qui est actionnée par un mécanisme de roues à engrenages. Grâce aux rayons et aux rainures de la meule, la farine est expulsée à l’extérieur et retombe au niveau inférieur du moulin.

« Au rez-de-chaussée, je contrôle la finesse de ma farine et je peux régler l’écartement des meules ou le débit à l’aide d’un régulateur et de petits poids. Lorsque ma trémie se vide le débit augmente, je dois donc prêter attention à effectuer les bons réglages pour le réduire et conserver une mouture régulière. Le type de céréales va également influencer ses réglages. C’est tout un doigté que j’ai appris de mon grand-père et qu’on ne retrouve pas dans les installations sur pierre modernes automatisées. Il me disait souvent d’écouter les bruits. Un bon meunier a tellement l’habitude d’entendre tourner son moulin qu’il repère instinctivement un dysfonctionnement ».

Le débit et l’écartement des meules peuvent être réglés au rez-de-chaussée de moulin afin de conserver une mouture régulière.
Le débit et l’écartement des meules peuvent être réglés au rez-de-chaussée de moulin afin de conserver une mouture régulière. - Collection privée
6 Photo-D.J.
D.J.

Une fois par an, la meule est soulevée et subit un petit entretien : « Elle est retaillée. Cela permet d’obtenir une mouture douce tout en préservant le son (enveloppe du grain). Une farine bien moulue doit être douce et fine, à la sortie des meules, et contenir un son intact ».

Blanche ou complète

En fonction du type de farine souhaitée, le résultat de la mouture est envoyé dans un conduit de sortie différent. « Pour une farine 100 % (T110), on conserve toutes les parties des grains moulus. Par rapport aux kilos bruts de céréales de départ, on ne compte qu’une perte de 3 % lors du passage au nettoyeur à brosse. Par contre, pour les farines demi-grises ou plus blanches, les différents produits de la mouture sont séparés avant la sortie en sac. On dit qu’elles sont blutées c’est-à-dire qu’elles sont tamisées à travers les soies d’un long tambour légèrement incliné, tournant très lentement sur lui-même. Les différents tamis ont des mailles rectangulaires de 150 à 800 microns de diamètre. La farine peut être blutée à 70 %, appelée aussi T65, ce qui signifie que sur 100 kilos, le meunier recueille 70 kilos de farine la plus blanche et la plus fine possible, les 30 % restant représentent l’enveloppe du grain. Une farine blutée à 80 % est quant à elle considérée comme demi-grise. Le son récupéré part en alimentation animale ».

7 Photo- Collection privée
Collection privée

La farine élaborée par Laura est le résultat d’une expertise ancestrale et ça fait un bien fou de la voir aux mains de la jeunesse. « J’aime mon métier, ma vie au moulin est plutôt solitaire mais c’est agréable d’évoluer entre ses murs chargés d’histoire. On sent que notre moulin à du vécu », conclut Laura.

Delphine Jaunard

A lire aussi en Un savoir-faire à perpétuer

Barwal: «C’est le mariage du travail du tonnelier et du vigneron qui donne son caractère au vin»

Un savoir-faire à perpétuer La Belgique compte de plus en plus de vignerons faisant vieillir leurs vins en fûts de chêne… belge. En effet, depuis 2020, Barwal leur propose une alternative aux contenants traditionnellement français, produite en circuit court et « à la carte ». Cette particularité permet d’ailleurs à la jeune société d’accompagner et de conseiller les professionnels de la vigne dans leurs choix pour que chaque vin élaboré soit unique.
Voir plus d'articles