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380.000tonnes de poudre de lait pèsent sur le dos des éleveurs européens (vidéo)

Si la Wallonie est connue pour ses verts pâturages et ses exploitations laitières familiales, les sept entrepôts de poudre de lait dispersés sur son territoire sont, eux, nettement plus secrets. C’est pourtant dans l’un d’entre eux que les responsables de l’EMB ont fait part de leurs inquiétudes à une poignée de députés européens. « Ces stocks sont une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes », ont-ils clamé devant un véritable mur de poudre de lait.

Temps de lecture : 6 min

C’est à une visite peu ordinaire qu’ont pris part plusieurs députés européens le 24 janvier dernier. À l’initiative de l’European Milk Bord (EMB), ceux-ci ont visité un des sept entrepôts de poudre de lait que compte la Wallonie. L’objectif pour le syndicat : mettre en évidence les conséquences de la surproduction qui sévit en Europe depuis l’abolition des quotas laitiers.

Dans l’attente d’une reprise du marché

En effet, les stocks européens de poudre de lait n’ont cessé de croître depuis 2015, atteignant aujourd’hui 380.000 t, dont 66.235 t rien qu’en Belgique. À elle seule, la Wallonie a acquis, au nom et pour compte de l’Europe, 38.000 t de poudre, soit 58 % des stocks belges. Quant à l’entrepôt visité, il abrite 12.577 t de poudre de lait écrémé, soit 8.385 palettes de 1.500 kg, ou encore 503.084 sacs de 25 kg.

Mais comment en est-on arrivé-là ? « Ces énormes stocks sont une conséquence de la politique d’intervention menée par l’Europe », explique Bernard Hennuy, inspecteur général du Département de l’Agriculture rattaché à la DGO3 (Direction générale opérationnelle Agriculture, Ressources naturelles et Environnement).

En pratique, cette politique consiste à autoriser les États membres à acheter le lait sous forme de poudre lorsque son prix descend sous le seuil d’intervention et ainsi éviter toute crise laitière. La poudre est alors stockée avant d’être revendue, uniquement sur décision de la Commission européenne, une fois le marché redressé. C’est ainsi que depuis 2015, l’Europe achète automatiquement 109.000 t de poudre par an au prix de 1.698 €/t, et ce théoriquement entre le 1er  mars et le 30 septembre.

« À l’origine cette période avait été privilégiée afin de contrer la fluctuation saisonnière de la production », précise-t-il. Toutefois, selon les besoins, l’Europe se réserve le droit de l’étendre mais aussi de dépasser la limite d’achat initialement fixée. Ainsi, tant en 2015 qu’en 2016, la fenêtre d’achat a été prolongée. La quantité maximale achetable a également été relevée en 2016.

Belge… et coûteuse !

Dans l’entrepôt d’Herstal, qui abrite environ 3 % du stock européen, la poudre de lait conservée provient uniquement de laiteries belges, et plus précisément de Solarec (Recogne) et de la laiterie de Walhorn (dépendant du géant français Lactalis). Sa durée de vie est estimée à 3 ans. De première qualité, elle est destinée à l’alimentation humaine mais les premiers stocks, datant de début 2016, se dégradent lentement. Un détournement vers l’alimentation animale n’est donc pas à exclure.

L’entrepôt, tout comme les six autres, est loué par la Région. Coût total : 120.000 € HTVA par mois. « Trois quarts de cette somme sont remboursés par l’Europe ; le reste – 360.000 €/an – incombe à la Wallonie », détaille Jean-Luc Cuvellier, directeur de la Direction de la gestion de l’organisation commune des Marchés. En outre, chaque palette stockée est contrôlée afin de vérifier la conformité et la qualité de la marchandise. Une fois encore, les coûts engendrés sont pris en charge par la Région.

Quant à la poudre de lait en elle-même, les 38.000 t « wallonnes » ont demandé un investissement de 65 millions d’euros. Lorsque l’Europe écoulera ce stock, par adjudications (vente aux enchères), elle remboursera entièrement la Région. Si les éventuels bénéfices reviennent à l’Europe, c’est également elle qui assume les pertes en cas de vente à un prix inférieur au prix d’achat.

En vue d’écouler ses stocks, l’Europe a d’ailleurs organisé 16 ventes par adjudication depuis décembre 2016. Bilan : 2.084 t vendues, dont seulement 220 t en 2017. Le solde, à savoir 1.864 t dont 588 t entreposées en Flandre, a été vendu durant ce mois de janvier au prix de 1.190 €/t, soit une perte de 508 €/t !

« La poudre de lait, c’est essentiellement de la protéine. Or, le marché exige de la matière grasse… » Jean-Luc Cuvellier

La décision de vendre, ou non, la poudre dépend quant à elle de divers paramètres : prix sur le marché mondial, pressions syndicales et politiques, stocks entreposés ou encore âge de la poudre.

Agir et conscientiser

De son côté, l’EMB s’interroge : « Que faire d’une telle quantité de poudre alors que le prix du lait vient de diminuer et qu’une nouvelle dépréciation est attendue ? ». Et Erwin Schöpges, administrateur belge du syndicat, de donner une réponse tranchée : « Les stocks ne doivent pas être bradés, que ce soit en Europe ou dans des pays tiers, au risque de voir le marché s’écrouler ».

Romuald Schaber, son président, lui emboîte le pas : « Seule une régulation de la production, imposée par l’Europe, permettra d’éviter les crises ». On se souviendra d’ailleurs que le programme de réduction volontaire de la production mis en place par la Commission européenne en 2016 avait connu un véritable succès tout en permettant au marché de retrouver quelques couleurs. Ce qui conforte fortement l’EMB dans sa position.

« On le voit, pour aider les éleveurs, nous avons besoin d’un nouvel outil tel que notre programme de responsabilisation face au marché », poursuit-il. Développé par l’EMB, le programme en question permettrait, grâce à des instruments de surveillance du marché et d’intervention réactive, d’identifier les crises mais aussi de les résoudre efficacement et rapidement.

« Ces stocks sont une honte pour la politique agricole européenne. » Erwin Schöpges

En pratique, le programme repose sur un indice de marché retraçant l’évolution des cours des produits, des prix du lait et des coûts de production. Lorsque l’indice chute, signal que les coûts de production ne sont plus couverts, le programme est mis en place. Les mesures préconisées, dépendant de l’importance de la chute, sont variées : stockage privé, incitation à une autre utilisation du lait (engraissement, par exemple) ou encore réduction de la production (volontaire ou obligatoire, selon l’importance de la crise).

L’EMB revendique en outre un relèvement du prix d’intervention à 0,30 €/kg en lieu et place de 0,20 €/kg actuellement. Le syndicat, favorable au mécanisme d’intervention en cas d’excédents saisonniers, plaide également pour que le stockage n’excède jamais 109.000 t de poudre par an. « Ce volume ne pourrait être dépassé qu’en cas de chute inopinée de la demande en produits laitiers », ajoute son président.

Erwin Schöpges souhaite également conscientiser les citoyens qui, par leurs impôts, financent les achats et le stockage de poudre de lait. « Et ce, sans que nous voyions le bout du tunnel. J’invite donc les consommateurs européens à privilégier les produits assurant une juste rémunération des agriculteurs. »

J.V.

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