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Malgré le Covid-19 et ses multiples répercussions, la Commission européenne tarde à intervenir sur les marchés agricoles

La Commission européenne n’entend pas à court terme prendre de réelles mesures pour intervenir sur les marchés agricoles, se contentant d’apporter des simplifications administratives à la pac et de laisser plus de marge de manœuvre aux États membres. Les ministres de l’Agriculture de l’UE et les organisations agricoles demandent davantage.

Temps de lecture : 8 min

Al ors que certains marchés agricoles – fruits et légumes, lait et horticulture en tête – sont déjà fortement perturbés, la Commission européenne continuait, en début de semaine, de faire la sourde oreille aux demandes d’intervention. Dans une lettre adressée le 8 avril à l’ensemble des ministres de l’Agriculture de l’UE, Janusz Wojciechowski les appelle, à ce stade, « à utiliser au maximum toute la flexibilité et les possibilités offertes par le cadre de développement rural de la pac » pour soutenir le secteur agricole face aux conséquences de la pandémie de coronavirus. Le commissaire européen à l’Agriculture liste les mesures auxquelles les États peuvent avoir déjà recours (services de conseil ou de remplacement, investissements, outils de gestion des risques déjà en place comme l’assurance…), mais jamais il n’évoque l’activation de mesures de marché vivement demandées par le secteur.

« Si certains États membres ne disposent malheureusement plus que d’une marge budgétaire limitée, voire inexistante, ceux qui en disposent examinent déjà de manière proactive comment utiliser les fonds encore disponibles dans le cadre de leurs programmes de développement rural pour financer des actions pertinentes visant à faire face à la crise et à en sortir », souligne Janusz Wojciechowski. Quelque 6 milliards € peuvent encore être engagés par les États membres dans ce cadre et cette somme grimpe, selon la Commission, à environ 17 milliards € si l’on tient compte des montants réservés aux appels à candidatures en cours qui n’ont pas encore été finalisés.

Pas encore d’aide concrète au marché

Pourtant, les experts agricoles des États membres, réunis il y a quelques jours pour un comité spécial Agriculture organisé – en visioconférence – ont souligné la nécessité de mesures de soutien du marché pour les secteurs qui seront bientôt confrontés à un effondrement des prix : produits laitiers, viande bovine, fruits et légumes en particulier.

Les représentants des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Allemagne ont fait part de leurs préoccupations concernant le secteur horticole. Tandis que la France, l’Espagne, l’Italie, la Hongrie, la Slovénie et l’Autriche ont soulevé des questions spécifiques liées au secteur vitivinicole (y compris les droits de douane américains sur les importations). Presque toutes les délégations qui ont pris la parole ont demandé une aide au stockage privé pour la poudre de lait écrémé et les fromages.

En réponse, la Commission a assuré qu’elle continuerait à suivre l’évolution de la situation du marché, mais qu’elle ne préparait pas, pour l’instant, d’aide concrète au marché ni d’instruments sectoriels spécifiques. Elle estime que le secteur agroalimentaire n’est pas le plus touché par la pandémie et que les mesures de simplification de la pac prises – ou en passe d’être prises – devraient suffire.

Paris et Berlin mettent la pression

Dans un communiqué commun, les ministres français et allemand de l’Agriculture ont appelé l’institution à adopter rapidement les mesures de gestion des marchés qui s’avèrent nécessaires dans la difficile situation actuelle. Ils demandent notamment l’ouverture du stockage privé dans les secteurs en crise.

Évoquant le secteur laitier, qui redoute une surproduction, Didier Guillaume a notamment fait valoir que « Dans une crise qui n’est pas ordinaire, il faut des réponses qui ne sont pas ordinaires », appelant l’UE à prendre ses responsabilités.

Notre ministre wallon de l’Agriculture Willy Borsus demande un plan temporaire de gestion volontaire de la production pour le secteur laitier, la possibilité de faire du stockage privé (viande, poudre de lait, beurre), ainsi qu’une solution rapide pour le secteur des pommes de terre.

La présidence croate du Conseil envisage d’organiser la prochaine réunion des ministres des Vingt-sept le 27 avril en vidéoconférence pour faire un nouveau point sur la situation et mettre, si nécessaire, la pression sur l’exécutif européen.

Le commissaire à l’Agriculture Janusz Wojciechowski devait être auditionné le 15 avril par les eurodéputés de la commission de l’Agriculture du Parlement européen, qui, eux aussi, plaident pour des mesures d’urgence. Dans une question écrite à la Commission, l’eurodéputé Éric Andrieu notamment estime qu’il « est urgent et indispensable que l’Europe accélère la mise en place de stocks alimentaires prévus par les règlements européens et que la Commission joue pleinement le rôle de régulateur des marchés agricoles en cette période de crise ».

Il y a urgence pour l’élevage

Les organisations et coopératives agricoles de l’UE demandent, dans une série de lettres adressées à la Commission européenne, de prendre des mesures urgentes pour le secteur de l’élevage et de les financer en dehors du budget de la politique agricole commune. Sur la base des données recueillies auprès de ses membres dans les secteurs laitiers, bovins, ovins et caprins, ledit Copa-Cogeca estime que ces filières sont au bord de la crise. Pour l’élevage laitier, les organisations demandent à l’institution d’activer le stockage privé pour tous les produits (poudre, beurre, fromage…).

Président du groupe de travail Lait du Copa-Cogeca, Thierry Roquefeuil souligne également l’importance d’évaluer l’impact que la fermeture des écoles a eu sur la livraison de lait et de produits laitiers aux enfants et d’éviter les restrictions inutiles découlant du droit de la concurrence dans cette situation de force majeure.

Pour le secteur du bœuf, il est demandé une gestion plus ciblée des contingents d’importation tarifaires, ainsi qu’une aide au stockage privé pour les découpes de grande valeur et la viande de veau, mais aussi des mesures exceptionnelles autorisées par le règlement OCM.

De même pour la viande ovine et caprine, le Copa-Cogeca estime nécessaires la révision de la gestion des contingents tarifaires, l’activation du stockage privé, et des mesures exceptionnelles pour couvrir les coûts de maintien des animaux dans les exploitations, et de mettre en place un régime de stockage privé pour les fromages, le caillé et la poudre de lait de brebis et de chèvre. Il conviendrait également d’examiner certaines flexibilités de la pac (notamment sur le taux de productivité et la densité du cheptel).

Le secteur horticole subit un effondrement historique de la demande

Dans une autre lettre adressée, début avril, au nouveau directeur général de l’Agriculture de la Commission européenne, Wolfgang Burtscher, les organisations agricoles réclament la mise en place de mesures exceptionnelles pour le secteur des fruits et légumes déjà fortement affecté par les conséquences de la crise du coronavirus.

Le Copa-Cogeca réclame la mise en place de mesures exceptionnelles pour le secteur des fruits et légumes déjà fortement affecté par les conséquences de la crise du coronavirus. C’est le cas, par exemple, dans le secteur des fraises.
Le Copa-Cogeca réclame la mise en place de mesures exceptionnelles pour le secteur des fruits et légumes déjà fortement affecté par les conséquences de la crise du coronavirus. C’est le cas, par exemple, dans le secteur des fraises. - M. de N.

Il y a déjà de graves perturbations pour certains types de production (fraises, légumes, etc.), et en raison des problèmes croissants de disponibilité de la main-d’œuvre, de transport des biens et des intrants, de circulation des personnes et de changements de la demande et de la consommation, les craintes sont de plus en plus fortes, indique l’organisation agricole. Le Copa-Cogeca demande donc, là encore, à la Commission d’allouer un budget spécifique qui ne relève pas du budget de la pac ainsi que des dispositions permettant d’adapter facilement les programmes opérationnels des organisations de producteurs notamment les pourcentages fixés pour les ressources consacrées aux mesures de prévention et de gestion des crises et aux mesures environnementales ainsi que l’augmentation temporaire du taux de cofinancement de 50 à 70 %.

Les organisations estiment que la pandémie aura des effets négatifs plus durables sur le secteur des fruits et légumes. « La Commission devrait donc prendre des mesures supplémentaires dès maintenant, car ces décisions façonneront l’avenir du secteur pour les mois et les années à venir. »

Enfin, elles demandent également à la Commission des aides d’urgence pour le secteur de l’horticulture pour lequel la demande a subi un effondrement historique avec une diminution atteignant jusqu’à 80 % depuis la mi-mars – que ce soit pour les fleurs coupées, les plantes ornementales, les arbres, les bulbes ou les pépinières.

L’organisation agricole veut l’activation de mesures extraordinaires de gestion de crise (compensation des pertes d’au moins 80 % des coûts d’élimination et de production du produit non vendu) et, à plus long terme, un fonds de promotion et un suivi amélioré des données sur les fleurs et le secteur ornemental (par exemple, la production, la consommation, le commerce, comme c’est le cas pour d’autres secteurs agricoles).

Confirmation des mesures de simplification

« Nous allons accorder aux agriculteurs davantage de temps pour présenter leurs demandes de paiements directs et de paiements au titre du développement rural. Et nous allons bientôt augmenter les avances de ces paiements, afin de leur donner plus de liquidités pour payer leurs factures », a confirmé la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dans une vidéo diffusée le 6 avril. Le règlement permettant de prolonger d’un mois la date limite de dépôt des demandes de paiements dans le cadre de la pac a été publié le 7 avril. Les agriculteurs et auront ainsi jusqu’au 15 juin prochain au lieu du 15 mai pour remplir leurs demandes.

« La lutte contre le coronavirus affecte toutes les activités de l’économie européenne. L’un des secteurs où nous ne tolérerons aucune perturbation est celui de l’alimentation », a également prévenu Ursula von der Leyen. Elle a indiqué que les exigences administratives de la politique agricole commune, notamment pour les contrôles sur place, vont être simplifiées pour les agriculteurs et pour les administrations nationales qui ont « des priorités plus urgentes que de remplir des documents ».

Et la présidente de la Commission européenne d’ajouter que « nous sommes aux côtés de nos agriculteurs en ces temps difficiles, et nous prendrons d’autres mesures, en fonction de l’évolution de la situation ».

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