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Déforestation importée : «Il faudra désormais pouvoir lier les produits à leur lieu de production»

Le parlement européen a voté le règlement qui sera le fer de lance de la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité.

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L’importation dans l’UE de produits provenant du bétail, du cacao, du café, de l’huile de palme, du soja, du bois, du caoutchouc, du charbon de bois et du papier imprimé sera désormais interdite si ces produits sont issus de terres déboisées après décembre 2020.

Pour le rapporteur du texte, l’eurodéputé démocrate-chrétien luxembourgeois Christophe Hansen, c’est un soulagement, lui qui était venu alerter la presse européenne, le 12 avril dernier, de l’urgence d’agir.

Les chiffres complètement fous de la déforestation

Il faut dire qu’en mars 2021, le WWF avait estimé dans une étude que l’Europe était le deuxième plus gros responsable de la déforestation tropicale (16 %) au monde, après la Chine (27 %), mais devant l’Inde (9 %), les États-Unis (7 %) et le Japon (5 %).

Un rapport publié dans la revue « Science » en septembre a quant à lui estimé que 6,4 à 8,8 millions d’hectares de forêts tropicales ont été convertis à l’agriculture chaque année entre 2011 et 2015 (soit deux à trois fois la surface de la Belgique par an).

Du bétail aux meubles en passant par le caoutchouc

Les produits concernés par la nouvelle législation sont le bétail, le cacao, le café, l’huile de palme, le soja et le bois, ainsi que les produits qui en contiennent ou qui ont été nourris ou fabriqués à partir de ces marchandises (comme le cuir, le chocolat et les meubles), tel qu’énoncé dans la proposition initiale de la commission.

Au cours des négociations, les députés sont parvenus à ajouter à cette liste le caoutchouc, le charbon, les produits en papier imprimé et un certain nombre de dérivés de l’huile de palme.

Le parlement a également obtenu une définition plus vaste de la dégradation des forêts pour qu’elle inclue la conversion des forêts primaires ou des forêts en cours de régénération naturelle en des forêts de plantation.

Le triste Brésil de « capitaine tronçonneuse »

La commission classera les pays ou certaines parties de pays comme présentant un risque faible ou élevé sur la base d’une évaluation objective et transparente, dans les 18 mois après l’entrée en vigueur de la législation. Les produits provenant de pays à risque faible seront soumis à une procédure simplifiée.

Les fournisseurs seront contrôlés en fonction du niveau de risque du pays : à hauteur de 1 % pour ceux à risque faible, de 3 % pour ceux à risque standard et de 9 % pour les pays à risque élevé.

Sans surprise, et malgré le changement de gouvernement, le Brésil reste englué dans cette troisième catégorie et fera l’objet de contrôles particulièrement pointus puisqu’en mars 2023, la déforestation y a été 14 fois supérieure au même mois de l’année 2022.

Un système de géolocalisation et le contrôle satellitaire actif depuis décembre 2020 permettront d’indiquer précisément l’exploitation d’où provient la viande de bœuf.

La déforestation en Amazonie brésilienne a encore augmenté en mars, faisant des 100 premiers jours du gouvernement Lula l’un des pires premiers trimestres jamais enregistrés, selon des chiffres officiels publiés le 7 avril.

Le dispositif de surveillance par satellite de l’Institut national de recherche spatiale (Inpe) a détecté 356 km² de couverture forestière détruits en un mois dans la partie brésilienne de la plus grande forêt tropicale du monde. Soit une augmentation de 14 % par rapport à mars 2022, dernière année du gouvernement de Jair Bolsonaro (2019-2022) qui s’autoproclamait « Capitaine tronçonneuse ». Sur la période janvier à mars, la destruction de l’Amazonie brésilienne est la deuxième plus importante de l’histoire, avec 844 km² détruits, juste derrière 2022 (941 km²).

Dans les deux ans qui suivront l’entrée en vigueur du règlement, la commission devra évaluer la possibilité d’étendre le champ d’application à d’autres écosystèmes (terres présentant des stocks de carbone élevés et une grande valeur en termes de biodiversité), ainsi qu’à d’autres produits de base (notamment la volaille, le maïs et le biodiesel) ainsi qu’au secteur financier. Le texte enfin, prévoit des sanctions pour les contrevenants et une coopération renforcée avec les pays tiers.

Des amendes proportionnelles aux dommages environnementaux et à la valeur des produits concernés devraient être fixées à au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel réalisé dans l’UE par l’opérateur en infraction, et inclure une exclusion temporaire des marchés publics et de l’accès aux financements publics.

Craintes de lourdeurs administratives

« Il va falloir lier le produit à son lieu de production, et cela constitue un vrai défi » reconnaît M. Hansen, en évoquant les produits qui sont collectés dans une coopérative avant d’être transformés puis exportés. Les traquer constituera, à coup sûr, une tâche délicate.

Les autorités compétentes de l’UE auront accès aux informations pertinentes fournies par les entreprises, telles que les coordonnées de géolocalisation. Elles effectueront des contrôles grâce à des outils de surveillance satellite et des analyses ADN afin de vérifier d’où proviennent les produits.

« Jusqu’à aujourd’hui, nos rayons de supermarchés ont trop souvent été remplis de produits couverts des cendres de forêts brûlées et d’écosystèmes détruits à jamais et qui ont éliminé les moyens de subsistance des populations autochtones. Souvent, les consommateurs ne sont pas au courant de ce qui se passe » a souligné le Luxembourgeois qui s’est montré « soulagé » que les Européens puissent désormais « être assurés qu’ils ne seront plus involontairement complices de la déforestation lorsqu’ils mangent une barre chocolatée ou qu’ils profitent d’un café bien mérité ».

« La nouvelle législation est essentielle dans notre lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Mais elle devrait aussi nous permettre de sortir de l’impasse qui nous empêche d’approfondir les relations avec les pays qui partagent nos valeurs et nos ambitions climatiques »

« Il faut pouvoir retracer le produit jusqu’au champ où il a été produit », a encore détaillé M. Hansen lors de son allocution face à la presse.

Marie-France Vienne

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