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Climat : ca va chauffer pour les rendements!

Les projections mondiales de rendement de céréales sont pires que prévu pour la fin du siècle. Sous l’effet du changement climatique qui sera particulièrement fort dans les régions tropicales et subtropicales, la productivité du maïs pourrait par exemple baisser de 24 % – et non stagner.

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Le soja et le riz essuieront aussi des dégâts, tandis que le blé s’en sort bien avec un rendement mondial qui pourrait augmenter de 18 %.

Derrière ces grandes tendances peuvent se cacher de mauvaises surprises car l’évolution des rendements ne sera pas linéaire. Par exemple, 18 % de la production actuelle de soja sont situés dans des zones particulièrement à risque de « mal-adaptation ».

Un scénario annoncé par le Giec

C’est aussi le cas du maïs dans le nord du Midwest américain ou au nord-est de l’Europe. Concernant les prairies, les données sont plus parcellaires mais le nord de l’Europe est donné gagnant, du moins à échéance 2050. Mais l’évolution des surfaces dépendra d’autres facteurs et d’enjeux à approfondir.

Six ans de sécheresse au Maroc, trois dans le nord-est de l’Espagne, inondations historiques dans le sud du Brésil, chaleur extrême en Inde, au Pakistan, en Thaïlande ou encore au Cambodge. Les aléas climatiques extrêmes semblent n’avoir jamais autant fait l’actualité que ces dernières semaines, et c’est sans compter les tempêtes et inondations en France en fin d’année, ainsi que la sécheresse grave depuis deux dans les Pyrénées-Orientales.

Ces aléas préfigurent ce qu’a annoncé le deuxième groupe de travail du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) dans son rapport publié en février 2022 sur les impacts du changement climatique : 10 % des terres cultivées et d’élevage dans le monde deviendront climatiquement inadaptées d’ici 2050.

Ce chiffre pourrait dépasser 30 % en 2100 dans le scénario de très hautes émissions de gaz à effet de serre (GES) du Giec (SSP-8.5) ou pourrait descendre sous les 8 % dans le scénario de faibles émissions (SSP 1-2.6).

Le maïs dans le dur

Derrière ces projections, des modèles mathématiques, qui ont été récemment révisés. En la matière, une étude est incontournable. Publiée en 2021 dans la revue « Nature food », elle établit des estimations de rendement pour les quatre cultures mondiales principales (maïs, blé, soja, riz) dans les scénarios de très hautes et faibles émissions du Giec (SSP 5-8.5 et SSP 1-2.6). L’intérêt d’examiner ces deux scénarios étant que le niveau de réchauffement futur sera certainement un entre-deux.

Cette étude à système constant (mêmes cultivars, dates de semis, quantités employées, utilisation des terres…) est en réalité la mise à jour d’un ensemble de modélisations climatiques et culturales réalisé en 2013 grâce au réseau scientifique international AgMIP (Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project).

Durant ce travail, l’auteur de l’étude fait une découverte inédite : les projections de rendements mondiaux moyens pour la fin de siècle sont pires que prévu pour le maïs, mais meilleures que prévu pour le blé, les résultats étant particulièrement « robustes » pour ces deux céréales.

Les projections de rendements sont aussi moins bonnes que prévu pour le soja et le riz. «  Les effets négatifs du climat sur l’agriculture seront les plus graves dans les pays du Sud, dans les régions tropicales et subtropicales chaudes où la capacité d’adaptation pour amortir certains effets du climat est faible. C’est le cas pour toutes les cultures que nous avons étudiées  », précise le chercheur.

Bonne nouvelle pour le blé

Concernant le maïs, culture la plus importante en volumes et d’un point de vue sécurité alimentaire dans de nombreuses régions du monde, l’évolution du rendement mondial moyen sur la période 2069-2099 passe à -24 % (par rapport à la période de référence 1983-2013), contre une prédiction initiale de +1 % en 2013, dans le SSP5-8.5. Il passe de +5 % à -6 % dans le SSP1-2.6. Les projections de pertes sont « spatialement homogènes », notamment dans les principaux bassins de production en Amérique du Nord, au Mexique, en Afrique de l’Ouest, en Asie centrale et en Chine.

Pour le blé, deuxième culture mondiale en volumes, les projections sont plus optimistes. Les rendements passent de +10 à +18 % dans le SSP5-8.5, et de +5 à +9 % dans le SSP1-2.6. Des pertes en blé de printemps sont prévues au Mexique, au sud des Etats-Unis, en Amérique du Sud et en Asie du Sud. À l’inverse, des gains importants apparaissent pour les plaines du nord de la Chine, en Australie, en Asie centrale, au Moyen Orient, et dans les régions de blé d’hiver du nord des Etats-Unis et du Canada.

Signaux précoces avant 2040

La plupart des travaux de modélisation sur les rendements regardent l’échéance 2100 car historiquement, c’est entre 2050 et 2100 que les effets du réchauffement climatique sur les rendements s’accélèrent.

Mais ces récents travaux modèrent ce constat. De nombreux signaux avant-coureurs clignotent dans un futur proche. Pour les identifier, Jonas Jägermeyr calcule la « période d’émergence de l’impact climatique » (time of climate impact emergence, ou TCIE). C’est l’année où les rendements moyens sortent de la fourchette historique (1983-2013) pour s’orienter à la baisse (TCIE négatif) ou à la hausse (TCIE positif). Autrement dit, ce signal d’émergence indique un changement de réalité où des rendements exceptionnellement faibles ou élevés deviennent « la nouvelle norme ».

Le changement arrive plus ou moins vite selon les régions. Concernant le maïs, céréale qui s’apprête à vivre la situation la plus critique, le signal d’émergence surviendra dès avant 2040 dans certaines zones d’Asie centrale, au Moyen-Orient, au sud de l’Europe, dans l’ouest des Etats-Unis et en Amérique du Sud tropicale, dénotant ainsi une baisse des rendements. A la fin du siècle, 10 à 74 % des surfaces cultivées en maïs seront concernées, selon le scénario d’émissions.

Les limites des modèles culturaux

Dans les études présentées dans cette enquête, les rendements sont évalués grâce à des modèles culturaux, qui ont leurs limites. Côté pile, ils prennent en compte les principaux facteurs du changement climatique : changements de température, de précipitations, de rayonnement solaire, d’humidité, de vent, rétention d’eau dans les zones actuellement cultivées, amélioration de la croissance des plantes grâce CO2, et dans une certaine mesure les chaleurs extrêmes.

Mais côté face, « il y a beaucoup d’autres facteurs qu’ils ne gèrent pas aussi bien », explique Alex Ruane, chercheur à la Nasa. « Par exemple, les modèles de culture utilisés par AgMIP ne tiennent pas compte des dégâts causés par les incendies. Ils ne tiennent pas compte de l’élévation du niveau de la mer, qui pourrait inonder les cultures sur certaines terres côtières. Certains aspects de la chaleur extrême ne sont pas traités aussi bien que nous le souhaiterions.

Par exemple, on sait qu’une vague de chaleur très forte pendant la floraison du maïs peut rendre le pollen stérile. Cet effet n’est pas pris en compte dans ces modèles. Il n’inclue pas non plus les dommages causés par les ravageurs et les maladies qui, selon d’autres études, pourraient augmenter avec le changement climatique. »

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