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Créer une nouvelle histoire dans un lieu chargé de mémoire

Il y a bientôt 20 ans, Marie-Julie Lemoine et Vincent Vandevelde ont fait le pari de reprendre et transformer la ferme familiale classée monument historique. Une entreprise pour laquelle ils ont dû s’adapter aux infrastructures en place, autant que celles-ci se sont accordées à leurs projets.

Temps de lecture : 8 min

La Ferme du Parc, située à Montignies-Lez-Lens, appartient à la famille Vandevelde depuis plus de quatre générations. Pourtant, les derniers descendants ne semblaient pas se destiner à une carrière agricole. C’était sans compter le changement de cap de Vincent Vandevelde, diplômé en marketing et communication, qui répond finalement à l’appel de la terre et décide de reprendre la ferme familiale en 2007.

« Une reprise à sa sauce »

« La Ferme du Parc appartenait aux grands-parents de Vincent et était exploitée en société agricole, en grandes cultures et élevage de Blanc Bleu Belge. Depuis le décès de son papa, en 2004, aucun enfant ne se montrant intéressé par une reprise, la maman de mon mari avait, dès lors, décidé d’enclencher la liquidation de la société agricole. Et puis, en fin de compte, une idée a germé dans la tête de Vincent et il a proposé à sa famille et à son grand-père de reprendre la ferme mais à sa sauce. Il a amené son projet auprès des banques et repris des cours agricoles A et B afin d’être prêt pour cette nouvelle aventure. Mi-2007, nous nous installions donc à la Ferme du Parc en tant que locataires avec pour objectif de modifier les étables des vaches en boxes dédiés à la pension pour chevaux. Les prairies ont été réorganisées pour l’accueil des chevaux et un espace de travail a été créé. En parallèle, nous maintenions les cultures originelles de céréales, betteraves, maïs, lin...», se souvient Marie-Julie.

«Cette ferme, c’est aussi un hommage à mon mari et aux générations qui l’ont précédées», explique Marie-Julie.
«Cette ferme, c’est aussi un hommage à mon mari et aux générations qui l’ont précédées», explique Marie-Julie. - D.R.

La ferme accueille son premier pensionnaire en 2008 et, afin de lui tenir compagnie, Vincent achète également son premier cheval. Son choix se porte sur la race Pur Sang arabe et égyptien dont il développe assez rapidement l’élevage “Al Manzah Arabians”. « À un moment la ferme hébergeait jusqu’à 60 chevaux dont 25 appartenaient à notre élevage. Vincent s’est réellement passionné pour le domaine et a eu à cœur d’élever des animaux de qualité, reconnus dans le milieu ». En 2012, le couple acquiert les bâtiments de ferme afin d’y faire prospérer la pension et l’élevage d’équidés.

Vincent était un féru des Pur Sang arabes et égyptiens.
Vincent était un féru des Pur Sang arabes et égyptiens. - L.G.

Un nouveau métier et des diversifications

Le temps passe et Marie-Julie ne se sent plus en phase avec son métier dans le secteur bancaire. Elle décide de revenir sur la ferme avec un projet en tête, la création d’un gîte. En 2018, «Le Fournil», pouvant loger 4 à 5 personnes, voit le jour. Très vite, Marie-Julie accueille également des enfants en stage :

« Au printemps et en été, je profitais des boxes vides pour faire de l’accueil pédagogique. Là où les chevaux étaient la passion de Vincent, la ferme pédagogique était vraiment mon bébé. Il ne s’agit pas de monter à cheval, nous ne sommes pas un manège. Les enfants viennent à la rencontre de nos autres animaux : poules, oies, canards, lapins, chèvres, moutons, poney... Cette activité s’est mise en place en 2019. À l’époque, il y avait peu d’accueil de ce type dans la région et nous avons aussi bénéficié du soutien de collègues qui promouvaient gentiment notre ferme.

Malgré la parenthèse Covid et ses désagréments, la diversification se passait bien et nous avons donc envisagé la création d’un local en bonne et due forme pour pouvoir proposer des stages tout au long de l’année, sans être dépendants de l’occupation des boxes par les chevaux. Quitte à effectuer des travaux, nous sommes allés jusqu’au bout des choses et imaginé la salle afin qu’elle puisse également être utilisée pour des réunions. Elle a été pensée pour interagir avec des enfants mais est également appropriée pour recevoir un autre public et possède le charme de se trouver au centre d’une ferme en activité. Nous la finalisions en 2021 et avec elle l’obtention officielle de l’appellation «Ferme pédagogique» puisque nous répondions à tous les critères de la Région wallonne.

Dans la foulée, le gîte de 2 personnes « Les trois petits cochons » voyait aussi le jour tout à côté de la salle. Tout cela allait de pair avec mon projet de carrière puisque j’avais besoin de retrouver un temps plein et idéalement le salaire qui allait avec, ce qui est malheureusement parfois un peu utopique dans nos métiers, il faut quand même le dire », ironise-t-elle.

Les gîtes et les salles de réunions et accueil des enfants sont nichés au cœur de la ferme.
Les gîtes et les salles de réunions et accueil des enfants sont nichés au cœur de la ferme. - D.R.

Des chevaux Pur Sang arabe aux Hereford

En 2021, entre la pension, les cultures, les gîtes et la ferme pédagogique, le couple est bien occupé. L’élevage produit plusieurs poulains par an. Néanmoins, le milieu du cheval arabe sature et Vincent décide d’arrêter la reproduction et de se séparer peu à peu de ses animaux. « Mon mari m’a alors fait remarquer que ce qui nous manquait désormais, c’étaient des vaches et il s’est lancé dans la Hereford miniature. Cela venait compléter le panel de la ferme pédagogique et lui permettait de retrouver du dynamisme dans un nouveau type d’élevage alors que celui du pur sang s’éteignait peu à peu. À peu près à la même époque, nous avons également aménagé une salle de conférence au dessus de la salle de réunion ».

Du soutien dans la douleur

Les activités de la Ferme du Parc se développent et les rénovations s’enchaînent. Malheureusement, le 3 juillet 2024, Vincent décède d’un infarctus laissant sa famille dans la stupeur et la tristesse. «On croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres mais ce n’est pas vrai. Nous n’étions pas prêts, ni à perdre un mari, un père, un fils…, ni à perdre «monsieur le fermier» comme les visiteurs aimaient l’appeler ».

Dans un premier temps, Marie-Julie bénéficie de l’élan de solidarité des collègues agriculteurs, des amis et de la famille. « Nous avons reçu un soutien énorme du monde agricole et des copains qui nous ont permis de passer l’été et le premier hiver. La moisson a pu se faire correctement grâce à eux. Notre équipe d’animateurs a également assuré le maintien des stages. Nous accueillons parfois plus de 40 enfants par jour et leur annulation aurait mis les familles dans l’embarras. Le service de remplacement a également été d’une aide précieuse dans cette période cauchemardesque ».

S’entourer de personnes compétentes

Ensuite, la vie reprend peu à peu son cours pour tout le monde et Marie-Julie, qui début 2024 avait également repris un mi-temps commercial à l’extérieur par besoin d’ouverture et d’une stabilité financière extérieure, se retrouve à tout gérer. «Dans ce contexte, il était nécessaire que je trouve des solutions durables sur la ferme. La situation était délicate car même si j’ai appris énormément aux côtés de Vincent durant toutes ces années et qu’on communiquait beaucoup au sujet de la ferme, je ne suis pas issue du monde agricole. Mon mari a emporté certaines informations et connaissances avec lui. J’ai donc fait le choix de m’entourer de personnes compétentes et également pour la partie équestre».

« Pour les grandes cultures, en attendant que je me familiarise avec tous les aspects à gérer, j’ai proposé un partenariat en tant que responsable de cultures à un ami de Vincent. J’ai également engagé un soigneur animalier en formation Ifapme qui s’occupe des animaux 30 heures par semaine tout en suivant deux soirées de cours. C’était un challenge car il n’avait aucune connaissance du milieu mais ça m’allait car j’ai envie de croire que la motivation est parfois plus importante que la formation de base. Pour l’instant, cela se passe très bien ».

La ferme pédagogique fonctionnant en asbl, Marie-Julie prend aussi la décision de céder le mi-temps qu’elle y occupe à sa première animatrice: « Pratiquement, je devais faire ce choix pour ne pas me laisser submerger par la ferme et garder une vie à l’extérieur ».

Autre décision difficile, celle de se séparer de l’élevage d’Hereford : « Le vivant coûte cher à manipuler si on ne s’en occupe pas soi-même. J’ai donc proposé le troupeau de Vincent à un éleveur qui avait les mêmes valeurs et amour du métier. Il a repris les femelles et j’ai conservé les deux veaux nés en 2024 pour la ferme pédagogique».

Dans tout ce parcours, Marie-Julie a bénéficié de l’aide de plusieurs institutions agricoles professionnelles : « On dénonce souvent la paperasse mais cela me fait moins peur et il est important de prendre le temps de s’adresser aux bonnes personnes et d’entendre ce qu’elles nous proposent. Dans notre parcours d’installation comme après la disparition de Vincent, notre comptable, Accueil Champêtre Wallonie, Agricall… ont été très éclairants ».

Lapins, chèvres, volailles, poneys… constituent la famille de la ferme pédagogique.
Lapins, chèvres, volailles, poneys… constituent la famille de la ferme pédagogique. - D.R.

Garder le cap

Moyennant ces adaptations, l’ensemble des activités de la Ferme du Parc ont été maintenues. « Cela étonne parfois mais après avoir perdu un papa, il n’était pas envisageable que mes enfants perdent également leur maison et leurs repères. La question de stopper les activités ne s’est même pas posée. Chacune d’entre elles permet à la ferme de tourner et sa continuité est de toute façon essentielle aux vues des crédits engrangés et de la succession. Aujourd’hui, je vois l’avenir et j’investis dans la ferme à 6 ans, en espérant que cela soit pour plus longtemps mais, je ne veux rien imposer à mes enfants. L’année écoulée a été parsemée de défis et toutes les premières fois sans Vincent ont été difficiles mais chaque petite chose ou personne qui se sont mises sur notre route ont permis que cela fonctionne. Désormais, nous essayons de prendre la bonne direction ».

Elle complète: « Je suis fière de mettre en lumière le projet et la ferme de mon mari ainsi que de montrer que même si on est une femme et qu’on n’est pas du domaine, il est possible de perpétuer ses projets en s’exprimant et en n’ayant pas peur de prendre certaines décisions ».

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