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Celle que l’Europe sacrifie en silence

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À l’approche de l’hiver, les sols se figent, les ombres s’allongent, les passages se raréfient. Mais à l’orée de l’hiver, la colère agricole resurgit. Le calendrier n’a rien d’anodin. Tandis que les ministres européens de l’Agriculture s’apprêtent à se prononcer sur un accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur, la présidente de la commission se prépare, elle, à s’envoler pour le Brésil afin d’en sceller la signature. Le contraste frappe les esprits et nourrit le sentiment de cynisme d’un pouvoir qui avance, cérémonial compris, quand le terrain, lui, s’alarme.

La pression pour conclure est désormais explicite. L’Allemagne a averti qu’un accord entre États membres sur le traité avec le Mercosur était « absolument nécessaire cette semaine », malgré les appels de la France à différer les décisions. Ce qui se joue dans cette urgence revendiquée dépasse le contenu même de l’accord. Il s’agit d’afficher la capacité d’action de l’UE, quitte à reléguer au second plan les conséquences concrètes pour certains de ses secteurs les plus exposés. C’est dans ce contexte que s’exprime la voix des syndicats agricoles wallons, au-delà de toute revendication conjoncturelle. Ils décrivent un monde agricole soumis à une pression continue, sommé d’absorber la volatilité des marchés, l’augmentation des coûts de production, les aléas climatiques et sanitaires, tout en s’adaptant à des exigences environnementales et administratives toujours plus complexes. Le tout, sans garantie de revenu stable ni visibilité à moyen terme.

Au cœur de ce malaise, une ligne politique inquiète tout particulièrement : celle d’une simplification réglementaire présentée comme une évidence, mais vécue comme une menace. Sous l’intitulé technique de paquets législatifs dits « Omnibus », la commission entend alléger certaines règles agricoles et environnementales. Sur le principe, nul ne conteste la nécessité de réduire la lourdeur administrative. Cependant, pour les organisations agricoles, la crainte est nette : que cette simplification ne serve de paravent à un détricotage progressif de la conditionnalité environnementale, au bénéfice des acteurs industriels les plus puissants. Car l’enjeu dépasse largement la seule paperasserie. Abaisser les normes aujourd’hui, avertissent-ils, c’est fragiliser les fermes qui ont investi pour répondre à des exigences élevées en matière d’environnement et de santé publique. C’est aussi faciliter, demain, la conclusion d’accords de libre-échange fondés sur l’alignement par le bas des règles de production. Cette inquiétude est indissociable de la question budgétaire. L’agriculture européenne, rappellent les syndicats wallons, ne peut affronter simultanément la transition écologique, la concurrence internationale et les attentes sociétales sans un soutien public solide. Or les signaux envoyés sur l’avenir de la politique agricole commune vont dans le sens opposé. La perspective d’un budget affaibli, insuffisant pour compenser l’inflation et accompagner la transformation des pratiques, alimente la crainte d’un décrochage durable.

Marie-France Vienne

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