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Les progrès de la technologie,un troisième œil sur les animaux

La rentabilité de l’élevage est sous pression depuis des années. Il importe donc de profiter au maximum du potentiel de chaque animal, notamment en utilisant les fourrages de manière toujours efficace. Les progrès de la technologie peuvent-ils nous apporter une plus-value ?

Temps de lecture : 8 min

L’agriculture de précision n’est pas inconnue des lecteurs du Sillon Belge. Mais cette fois, nous nous intéressons à ce qui se passe dans les étables. Ce que les anglophones appellent « précision livestock farming » et que nous pouvons facilement traduire par « élevage de précision ». Celui-ci englobe toutes les techniques innovantes qui permettent l’enregistrement automatique, en temps réel, et le contrôle des données collectées auprès des animaux.

Les recherches dans ces divers domaines remontent à plus de 20 ans, mais les applications restent encore assez restreintes dans la pratique quotidienne. C’est dans l’élevage laitier que l’élevage de précision est le plus évolué, notamment en ce qui concerne la technologie des capteurs. Il y a également déjà quelques applications dans la pratique des élevages de porcs et de volailles.

Pourquoi l’élevage de précision ?

Le nombre des exploitations agricoles a fortement diminué en Belgique au cours de cette dernière décennie mais, en général, le niveau de la production a été maintenu, en raison de l’agrandissement des exploitations restantes. Un exemple ? En 10 ans, le nombre moyen de poulets a augmenté de 46 % dans les poulaillers d’engraissement. Cette tendance à l’agrandissement se manifeste partout en Europe, et pas que dans ce secteur.

Le contrôle individuel des animaux ou de groupes d’animaux demande beaucoup de temps. Un temps de plus en plus grappillé par l’intensification des tâches. En porcherie, on a constaté qu’on ne passe pas plus de 6 secondes à l’observation d’un porc à l’engrais, ce qui est trop peu pour dépister un problème, un début de maladie ou une déficience. Les capteurs peuvent être définis comme un prolongement de l’observation de l’éleveur, afin que celui-ci cible spécifiquement l’animal, ou le groupe d’animaux, qui mérite le plus son attention.

Outre l’allégement du travail, les capteurs peuvent être inclus dans l’optimisation de la production animale. Cette solution apporte des avantages économiques tout en ayant un impact positif sur l’environnement. Pensons ici à l’alimentation de précision où la ration est adaptée au mieux aux besoins de l’animal, parfois de façon individuelle. Il en résulte moins de pertes alimentaires et des émissions de gaz à effet de serre limitées. C’est une situation gagnant-gagnant.

L’Internet des objets

Il n’y a pas que les humains qui peuvent communiquer par internet, les animaux le peuvent aussi, mais évidemment pas de la même façon… Lorsque des objets entrent en contact et interagissent sans intervention humaine, on parle de « l’internet des objets » (IdO) ou en anglais de « internet of Things » (IoT). Le modèle le plus souvent cité est le frigo « intelligent » qui signale, par exemple, que la réserve de lait s’épuise et qui prévoit une nouvelle commande.

Pour arriver à cela, il faut des capteurs, une connexion internet, mais également un système intelligent (ordinateur…) pour récupérer un grand nombre de données et les utiliser à bon escient.

Tout cela semble futuriste. Mais le concept est en cours dans le secteur de l’élevage. À l’Université d’Utrecht, on étudie à présent la mise au point d’un capteur peu énergivore pour les vaches, dans l’objectif de transmettre des données à très longue distance, sans infrastructure complémentaire dans l’étable ou dans la prairie.

Depuis le 1er janvier 2017, un projet européen à grande échelle a démarré sous la dénomination « IOF2020 » pour « Internet of Food and Farm 2020 » ou « internet de l’alimentation et de l’agriculture ». Il est doté d’un budget de 30 millions d’euros, rassemble plus de 70 partenaires, en provenance de 16 pays et est sous la coordination de l’Université agronomique de Wageningen aux Pays-Bas. Son financement par la Commission européenne est destiné à accélérer le déploiement des objets connectés dans les secteurs agricole et agro-alimentaire.

D’une durée de 4 ans, ce projet porte sur 19 cas d’études de différentes filières agricoles (grandes cultures, fruits et légumes, production laitière, production de viande). À titre d’exemple, l’institut français des végétaux Arvalis coordonne l’étude sur le développement de réseaux de capteurs pour un pilotage de précision de l’irrigation et de la fertilisation azotée.

Il y a, évidemment, des partenaires belges, en Flandre notamment, qui étudient les vaches en prairie. L’Institut flamand de recherche agronomique (Ilvo) et divers partenaires vont se pencher sur l’optimisation de la production porcine via des capteurs IoT. Les données de l’ensemble de la filière, de l’élevage à l’abattage, seront récoltées et mises à la disposition de l’éleveur qui pourra les utiliser pour la gestion quotidienne de son exploitation.

« Si les capteurs sont une aide pour l’éleveur, ils ne remplacent pas l’expérience du professionnel.»

Des capteurs pour les bovins…

Les capteurs sont déjà, dans une certaine mesure, dans la pratique quotidienne de l’élevage laitier, comme les podomètres qui mesurent l’activité des animaux, mais il y a aussi le décrochage automatique, les capteurs de rumination, de températures, les avertisseurs de vêlage, etc.

Le robot de traite a constitué une véritable révolution pour l’élevage laitier dès le début des années ‘90. Le rôle des robots de traite reste minoritaire mais l’automatisation de la traite ne fait que s’accroître. Dans notre pays, les robots de traite représentent à présent plus de 30 % des nouvelles installations de traite.

La réduction de la charge de travail est mise en avant comme l’un des principaux avantages de l’automatisation de la traite. En premier lieu, l’éleveur n’est plus lié à des temps de prestation fixes. Une étude finlandaise signale que les producteurs laitiers disposant d’un robot de traite souffrent moins sur le plan physique, notamment au niveau des épaules et des genoux.

En revanche, le passage à un système de traite automatique est souvent lié à du stress sur le plan mental. Les alarmes nocturnes et le fait d’être présent lorsqu’il y a un incident constituent une source d’angoisse pour beaucoup de producteurs. Cependant, l’étude finlandaise a pu constater que ce stress se réduit chez ceux qui disposent d’un robot de traite depuis un certain temps. Traire sans stress avec un robot de traite, c’est, dans une certaine mesure, une question d’habitude et d’expérience.

La traite automatique délivre en outre une série d’informations, comme la production, le débit, la coloration du lait, la température, la conductivité, la consommation de concentrés, etc. Des algorithmes peuvent ensuite traduire les données brutes en des informations pratiques et utiles.

...mais aussi pour les porcs et volailles

La technologie de précision pour suivre la production et la santé des porcs et volailles est encore limitée dans la pratique. L’exemple le plus frappant est le système de caméras qui enregistre et analyse en permanence le comportement des poulets à l’engrais. L’éleveur reçoit un avertissement dès que des anomalies comportementales se présentent chez les animaux, ou alors lorsque la densité d’occupation du bâtiment n’est pas normale.

En porcherie, on trouve un produit commercial qui détecte que des animaux toussent. L’appareillage comporte un micro et un ordinateur. Celui-ci distingue les bruits liés à de la toux par rapport aux autres bruits de la porcherie. L’éleveur est averti dès qu’un seuil de toux est atteint, dès que trop d’animaux commencent à tousser. On peut ainsi repérer, à un stade précoce, des problèmes aux voies respiratoires, et intervenir éventuellement de manière ciblée, recourir à un traitement antibiotique spécifique, par exemple.

De nouvelles technologies sont à l’étude. Une chercheuse, Jarissa Maselyne (Ilvo & KUL) a développé durant son doctorat un système de capteurs qui analysent le comportement des porcs à l’engraissement sur le plan de l’alimentation et de l’abreuvement. Une puce (transponder) a été implantée dans l’oreille des animaux ; les auges et les sucettes sont équipées d’une antenne réceptrice. Ce système de surveillance permet de dépister toute anomalie ou problème sérieux après 1,1 jour.

La recherche doit évidemment se poursuivre pour déterminer si ce nouvel outil permet à l’éleveur de dégager une réelle valeur ajoutée.

Après la collecte des infos, on passe à l’action !

« Mesurez, vous savez ; devinez, vous perdez ». C’est certain, pour autant que la mesure soit comprise… En effet, l’enregistrement des données ne peut conduire à des améliorations que si les mesures sont traduites en informations pratiques, et par conséquent, à un traitement correct. Et souvent, c’est là que le bât blesse.

C’est pourquoi un réseau européen a été mis sur peid pour combler le fossé entre les producteurs de technologies et les producteurs laitiers utilisateurs de celles-ci. Ce réseau s’appelle « Data Driven Dairy Décision For Farmers », en abrégé 4D4F.

Il s’agit d’une plateforme de discussions pour les éleveurs laitiers, les vulgarisateurs, les vétérinaires, ingénieurs et scientifiques. Ils peuvent y discuter au sujet des capteurs, l’objectif étant de parvenir à un guide pratique. Le site internet www.4D4F.eu regroupe des vidéos, des articles, des protocoles de standardisation… qui peuvent aider les éleveurs dans l’utilisation des données.

Il est nécessaire d’avoir une meilleure intégration des données disponibles dans la gestion de tous les jours. Mais il faut bien se mettre en tête que si les capteurs sont une aide pour l’éleveur, ils ne remplacent pas l’expérience du professionnel,

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