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À la Pépinière Gailly-Jourdan: des méthodes naturelles pour une production de plants dits «forts»

Voilà près de 40 ans que Marc et Edith Gailly-Jourdan, développent leur pépinière à Paliseul. Essences forestières, feuillus, plants de haies… le couple n’a eu de cesse de diversifier leurs activités. Avec l’arrivée de leurs deux enfants dans l’entreprise, ils se sont tournés vers des techniques plus respectueuses de l’environnement pour la production de plants dits forts, diversifiés et résistants. Rencontre.

Temps de lecture : 8 min

C’est en 1981 que Marc S’installe comme pépiniériste. Sur quelques ares d’abord, sur 1 ha ensuite, puis sur deux, pour s’étendre aujourd’hui sur une centaine d’hectares. « J’ai toujours voulu reprendre une ferme. J’imaginais partir en France pour être à la tête d’une grande exploitation céréalière. Mon père, alors ingénieur des eaux et forêts, me l’a déconseillé. Il m’a aiguillé sur un tout un autre type de cultures… Bénéficiant de ses conseils et après avoir prospecté durant 4 à 5 ans je me suis fait une place dans le monde forestier. »

« À mes débuts, j’ai failli abandonner plusieurs fois ! Je ne pensais pas qu’il y avait tant de mauvaises herbes. J’étais en peine… Je me suis donc mis à la recherche de machines performantes. »

Après le mariage en 1988, Edith Jourdan rejoint Marc sur l’exploitation. Elle se montre rapidement intéressée par la vente de plants d’ornement, les fruitiers et les haies, tout en gérant l’administratif. « Si elle ne s’était pas intéressée à cette diversification, je me serais arrêté au forestier et aux plants de haies », explique Marc. « À deux nous étions plus forts. Pour les travaux agricoles, pour les binages, les semis, elle m’accompagne. Toutes les graines forestières et champêtres, nous les semons ensemble. Moi sur le tracteur, elle sur le semoir ! Voilà 33 ans que nous avons cette habitude », sourit-il.

En juin 1991, un gel sévère a abîmé les cultures tant résineuses que feuillues dans beaucoup de pépinières en Europe. Malgré cela, la demande était tellement forte pour reboiser les forêts détruites par les tempêtes de 1990-91 que la production existante a pu être valorisée.

« Quand on travaille avec le vivant, il faut accepter qu’il y ait de la perte. Avec l’expérience, nous pouvons faire preuve de résilience pour avancer. »

L’entreprise n’a eu de cesse de se développer en poursuivant un double objectif :

– se mécaniser tant pour diminuer la pénibilité du travail que pour assurer son indépendance matérielle pour couvrir le maximum de tâches liées aux activités de l’entreprise : travaux horticoles et agricoles (fenaison et moisson) ;

– étendre la surface disponible pour procéder à des assolements corrects. Toutes ses actions menées font partie d’un plan global de produire un bon plant cultivé dans un milieu le plus sain possible.

Les feuillus pour se différencier

Comme tous les pépiniéristes de la région, Marc a commencé par les deux essences les plus recherchées : l’épicéa et le Douglas. « Ensuite, notre réflexion nous a mené à nous diversifier en semant du feuillu » L’activité est plus compliquée, il est nécessaire de passer à la main avant de passer avec les machines… « L’expérience nous dicte d’intervenir au plus tôt. À la moindre mauvaise herbe, on intervient sinon on peut vite se faire dépasser. Il faut être vigilant ! »

« Et depuis, nous avons continué à produire les feuillus forestiers principaux : différents chênes, hêtres, merisiers, frênes, charmes… Par comparaison, il nous faut un an de plus en Ardenne pour produire le même plant qu’en Flandre. Question de climat, altitude et de période végétative. Une fois qu’on a le roulement, on est en route… On a depuis élargi notre diversification dans les essences : aubépines, prunelliers, noisetiers, viornes, fusains, sorbiers… Nous semons environ 60 variétés de plantes en pépinière. Toutefois, le pépiniériste tient à l’épicéa « Il faut garder notre épicéa ! Si plus personne n’en veut, il reste notre bois de tous les jours. Il faut toujours en semer mais en choisissant judicieusement les stations : à une altitude de 300-350m, sur des terrains légèrement humides. Pas sur des sommets sans terre, ni en fonds de vallée trop humides. On aurait sans doute eu moins de problèmes de scolytes. Mais à l’époque tous les intervenants du bois, même nous en tant que pépiniéristes, conseillaient l’épicéa, de reprise et conduite forestière très facile. »

Le patron inspecte ses semis de chê,es de Hongrie sous la toile.
Le patron inspecte ses semis de chê,es de Hongrie sous la toile. - P-Y L.

Une culture raisonnée

Toute culture demande un assolement, ce qui permet à la terre d’assumer tous les produits, et les besoins en P, K, en oligo-éléments… Les pH doivent être raisonnables. « Il faut régler la terre. On n’envisage pas de faire une pépinière n’importe où, n’importe comment et à n’importe quel moment. »

« Nous sommes dans une culture raisonnable, pas dans de l’intensif. La pépinière a une durée de 2 à 3 ans, elle est suivie d’une culture d’herbe durant une période similaire. C’est le moment idéal pour chauler et fertiliser la terre avec un engrais de fond et combler les manques en nutriments. S’ensuivra une à deux années de céréales, pour avoir une culture nettoyante qui permet d’envisager la pépinière une nouvelle fois. Cette rotation de 5-6 ans permet à la pépinière d’avoir un contrôle plus facile sur les rémanents et également moins de maladies. »

Si l’herbe était vendue sur pied, Marc a trouvé un débouché pour faire du foin. « Nous nous sommes équipés et vendons des ballots de 12 kilos pour les petits élevages.

En termes de céréales, nous produisons principalement de l’épeautre, du triticale et de l’escourgeon que nous revendons aux firmes qui nous vendent les semences. J’en garde une petite partie pour mes chevaux « Haflingers » avec lesquels nous proposons des activités de tourisme l’été : balades en calèches, mariages…

Et l’ornement dans tout ça ?

Avant, nous faisions de la production d’ornements. Mais nous l’avons arrêtée tout en gardant sa commercialisation pour nous concentrer davantage sur le forestier.

Nos clients peuvent donc passer commande pour des plants d’ornements, et la marchandise nous est livrée une semaine plus tard.

Un tournant vers une production respectueuse de l’environnement

En 2012, Gauthier, l’aîné de la famille rejoint l’entreprise et crée la section élagage et abattage. Tandis que Florent, le second, se lance dans une activité maraîchère bio sur près de 30 ha après avoir réalisé un stage en Alsace. C’est un tournant pour la pépinière qui décide d’aller vers davantage de pratiques naturelles, plus respectueuses de l’environnement.

Edith : « Nous sommes dans le non-comestible, il n’existe pas de demande spécifique pour produire plus naturel en pépinière. C’est plutôt un choix personnel, pour notre santé et celui des sols. »

« Une étude anglaise a relevé qu’un plant qui a été traité ne capte que 80 % de ses besoins en oxygène. Par contre, si un plant est soumis à un stress hydrique ou autre, il sera plus vite impacté par les attaques d’insecte et autres parasites. Un tel plant ne capte plus que 50 % de ses besoins en O2. »

La pépinière se positionne sur la production de plants dits « forts » pour résister aux différents stress auxquels ils peuvent être soumis. « Et l’un des moyens de production : la diminution des intrants… Et de travailler autrement ! D’où l’investissement pour des machines pour travailler mécaniquement le sol. On essaye d’augmenter le cheptel mécanique dans ce sens. »

Ce choix fort fait aussi écho à un problème de phytotoxicité en culture de Douglas que la famille Gailly a rencontré quelques années plus tôt. « Je me suis rendu compte que la phytopharmacie n’avait pas réponse à tout. Nous avons dû entreprendre la démarche de chercher ce qui pouvait être appliqué en pépinière pour produire autrement. Et depuis 8 ans, nous sommes dans cette démarche. Nous essayons aussi de transmuter certaines techniques maraîchères à la pépinière », Explique Edith.

« Cela nous aide dans la réflexion, les méthodes, comme le travail du sol. Nous en faisons beaucoup plus qu’avant : binage, faux semis… À notre stade, nous limitons autant que possible les produits fongiques, chimiques et avec les méthodes culturales adaptées, nous avons une mycorhization naturelle de 80 % de notre production. Et l’assolement joue beaucoup. Les plants s’en sortent fortifiés. Seuls les bétulacées ne se mycorhizent pas. »

Des planches de semis printemps 2022.
Des planches de semis printemps 2022. - P-Y L.

Le club des 5

Pour ces producteurs de plants de haies, le projet « Yes we plant : 4.000Km de haies ou un million d’arbres plantés » leur a donné une impulsion. « On a clairement ressenti un fort stimuli. Le projet a permis de promouvoir une production wallonne. Et nous ne sommes que 5 pépiniéristes à être producteurs et récolteurs de plants de haies en Wallonie. Cela nous a permis de créer une dynamique d’échanges entre nous », poursuit Edith.

La pépiniériste s’est aussi lancée dans la plantation de haies fourragères. « Nous avons déjà installé deux projets pour les équins et un autre consiste en un bosquet d’aulnes taillés « têtard » à hauteur de gueules des bovins. « Pour nous, les haies fourragères en plus d’apporter de l’ombre aux animaux sont un complément alimentaire, voire médicinal, intéressant pour tous les oligo-éléments qu’elles peuvent apporter. Nous avons fait un petit tableau en interne en se basant sur plusieurs études, pour reprendre les caractères médicinaux pour la plupart des espèces arbustives et arborescentes et aussi au niveau de l’apport en protéines, magnésium… Ce qui est dommage? Que toutes les essences utilisées ne puissent figurer parmi les espèces éligibles pour les plants de haies. »

Préparation des graines avant stockage au frais.
Préparation des graines avant stockage au frais.

Une impulsion positive aux producteurs

Quant à savoir quelles sont les projections pour l’avenir, cela reste très difficile à dire. « Il suffit d’un événement comme les scolytes pour les épicéas pour mettre une spéculation à terre. Dans ce milieu, il faut être fort mobile et ouvert pour s’orienter vers autre chose. Même si à un moment l’engouement pour le projet « Yes We plant » venait à baisser, nous aurons acquis les connaissances, une certaine expertise sur la plantation de feuillus. Nous pourrions rebondir en cas de problème. Ne fût-ce que pour cet aspect, le projet est bénéfique. Il aura permis de donner une impulsion aux producteurs pour avancer vers autre chose. Sans ce projet, il n’y aurait pas eu d’engagement aussi radical pour les producteurs pour atteindre les objectifs. Nous l’aurions sans doute fait, car nous le faisons avant, mais pas aussi rapidement », conclut Edith.

P-Y L.

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