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Passion et chemin de choix

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Chacun trace sa route comme il veut, et souvent comme il peut. En agriculture, quand les affres d'une offre trop abondante vident nos coffres de tout bénéfice en essorant les prix de vente, il est peut-être temps de réfléchir à la motivation qui guide nos pas, de quitter l'autoroute où tout le monde se bouscule, de chercher une sortie, changer de direction, changer de spéculation. Cela s'appelle «diversification»: quitter son chemin de croix parcouru par tradition, chercher un chemin de choix voulu par passion.

Je ne parle pas ici de la Passion de Jésus-Christ au Golgotha, celle que beaucoup de fermiers connaissent hélas actuellement, portant leur lourde croix sans se plaindre, conspués par le bon peuple massé au borde du chemin qui nous crie: «empoisonneurs, pollueurs, profiteurs de l'argent public, tricheurs, bourreaux d'animaux, ...». Je vous parle ici de la passion, ce sentiment de puissant attachement envers un être, un objet ou un concept, une émotion intense qui se traduit par un enthousiasme inoxydable et une énergie «à transporter les montagnes».

Pourquoi sommes-nous devenus un jour agriculteurs? Était-ce par passion? En ce qui me concerne, certainement, je le revendique en toute franchise, par amour de la fermière, de la terre et des animaux. Et vous, amis lecteurs? Par choix personnel et passion, également? Parce que ce chemin avait été tracé et balisé pour vous, par vos parents et votre entourage, et que vous ne vouliez décevoir personne? Un choix par défaut, parce qu'aucun autre métier ne vous tentait? Par obligation? Par tradition? Tous les cas de figure se rencontrent chez les agriculteurs, mais j'ose espérer que la plupart ont embrassé leur métier par passion. Sinon, ce serait par trop désespérant...

Car même la plus belle des passions finit par s'user, à force d'être contrariée, à force de subir la loi des mille et un avatars normatifs et bureaucratiques, créés pour nous par tous ces gens qui ont pris en main nos destinées. À toutes ces petites misères s'ajoute la dégradation continue des prix, soutenue par une surproduction bénie et orchestrée par l'industrie agro-alimentaire. Le tableau serait bien sombre pour nous, s'il ne nous restait la passion, la volonté de survivre et d'avancer contre vents et marées. Et puis, nous avons le choix! À tout moment, nous pouvons cesser de pratiquer une spéculation en perte de rentabilité, nous réorienter, nous «diversifier».

La voie royale, le chemin du roi en guise de nouveau chemin de choix, ne serait autre que l'agriculture biologique, paraît-il! À entendre nos ministres régionaux de l'Agriculture et de l'Environnement, l'agriculture wallonne de demain sera biologique ou ne sera pas. C'est pour nous l'unique voie de salut! Le «bio» est paré de toutes les vertus, le «conventionnel» de tous les défauts. C'est aussi simple que cela, alors, messieurs les paysans, ne réfléchissez pas trop et foncez têtes baissées dans le bio, comme autrefois on vous a fait foncer aveuglément dans l'agriculture intensive. Voici des primes, des débouchés pour vos produits, des prix de vente alléchants! Qu'attendez-vous, bande d'idiots? Comment? Vous n'avez pas la passion pour le bio? Qui vous parle de passion? On vous parle ici de rentabilité écologique et financière; on vous parle de fournir des produits qui demain seront à bas prix, parce que vous serez un jour toutes et tous en «bio», à force de vous y encourager. Les primes auront fondu comme le beurre et l'argent du beurre au soleil, sans le sourire de la fermière qui aura rendu son tablier, la pauvre, trop fatiguée, trop écoeurée...

Rien à faire, la passion doit guider nos pas vers notre chemin de choix, sinon, il deviendra vite votre chemin de croix. J'ai rencontré dernièrement une vraie passionnée, et cela m'a ravi: une jeune agricultrice qui élève des volailles après journée, après la traite, après les soins au cheptel très important de son exploitation, en plus de son ménage, de l'éducation de ses enfants. Elle vend des oeufs, des poulets, des pintades, des lapins, ..., et garde un éternel sourire. Quand elle vous parle de sa passion, ses joues sont roses, son ton est enjoué. Pas besoin de discours, elle a tout compris : l'agriculture d'aujourd'hui est en déficit de bonheur; pour survivre, notre profession a un urgent besoin de vraie passion, laquelle abattra nos croix et guidera notre chemin de choix!

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