Chez Marc Remy, entre viande et laine, le pari d’un modèle ovin durable
La Bruyère. Domaine La Falize, une brèche ouverte dans le temps. L’humidité, la bruine serrée, elle enveloppe le paysage de son écriture à l’insu de son auteur. Ciel cambriolé de décembre, il engloutit des routes de nuages sombres, en dessous les prairies ondulées mouchetées de brebis glissent en vagues silencieuses dans la houle verte. C’est ici que Marc Remy fait paître une partie de son troupeau bio de Texel français. L’éleveur namurois a inscrit son activité dans le cycle vertueux du circuit court pour valoriser la viande et la laine de ses animaux. Une orientation qui sied à la vision du métier et du territoire qu’il défend.

Quand Marc Remy reprend la ferme familiale en 1995, il n’hérite pas seulement d’un cheptel et de bâtiments. Il reçoit en partage un regard, une façon de comprendre l’animal et le paysage.
L’héritage d’un savoir-faire
Son père, ingénieur agronome formé à Gembloux devenu un éleveur émérite, avait construit à Floreffe un petit troupeau de Texel destiné à la vente directe : des brebis bien typées, inscrites au stud-book, jugées en concours, observées avec la précision d’un artisan qui connaît les lignées comme d’autres connaissent les arbres de leur verger.
Le fils, lui, reprend ce geste sans s’y enfermer. À peine installé, il transforme la structure de l’exploitation : passage en bio, introduction du mouton vendéen pour étaler les agnelages, diversification vers un petit atelier bovin de Limousine. Cette évolution rapide ne procède pas d’une rupture mais d’un approfondissement. Marc Remy cherche à ajuster son troupeau à son territoire, à la qualité de ses prairies, à la capacité d’accueil des sols.
Dès 1998, l’ensemble des prairies est certifié biologique, puis toute l’exploitation en 2000. Ce choix précoce, loin des modes, reflète un rapport très concret au paysage : beaucoup de ses terres sont superficielles, non labourables. Un système herbager, fondé sur la prairie permanente, la rotation, la biodiversité fonctionnelle, y trouve naturellement sa place.
Une exploitation tissée de lieux et de parcours
Au cœur de ce réseau se trouve la bergerie de Sart-Saint-Laurent, enchâssée entre deux anciens étangs de pêche. L’endroit, protégé, presque feutré, devient l’abri hivernal où se concentrent les soins, les mises bas, les observations fines. C’est là que se joue la relation la plus intime entre l’éleveur et ses animaux, celle qui se mesure au bruit discret du râtelier, à la densité du poil, au regard d’une brebis qui s’apprête à agneler. Dès que la température le permet, les brebis se dispersent dans les prairies : les terres familiales de Floreffe, les pâtures de Sart-Saint-Laurent, les coteaux cultivés du Domaine La Falize où elles pâturent les couverts hivernaux et entretiennent les interlignes de vigne.
Entre Texel français et Vendéen
Avec ses 400 brebis, Marc Remy atteint une taille qui lui permet de vivre de son troupeau sans en perdre la maîtrise. « Au-delà, je sens que le geste m’échapperait », dit-il. Cette maîtrise du nombre lui permet de garder un contact direct avec chaque étape : alimentation, reproduction, soins, tri des toisons, relations commerciales. La ferme grandit, mais l’éleveur refuse de se déposséder de sa propre pratique.
Le choix des races traduit cette recherche d’équilibre. Le Texel français reste la pierre angulaire, mais sa saisonnalité stricte ne convenait pas à un système qui cherche à répartir le travail. L’arrivée du Vendéen, à la fin des années 90, souffle une autre dynamique : plus rustique, plus souple dans ses périodes de reproduction, mieux adapté aux agnelages étalés. Cette dualité des races apporte une sécurité zootechnique et une respiration nouvelle au métier.
Un système fourrager pensé comme une mosaïque
Pendant plus de 20 ans, Marc Remy a cultivé environ 4,5 ha de terres labourables, rares et précieuses, où il produisait épeautre, orge et luzerne destinés à l’aliment du troupeau. Mais le temps, l’usure des sols et les besoins financiers de la ferme (agrandissement, nouvelle étable) l’ont poussé à vendre ces parcelles récemment.

Aujourd’hui, il assume un système presque entièrement basé sur les fourrages : foin, préfané, pâturage. Pour l’équilibre nutritionnel, il achète un concentré bio, respectueux des mêmes distances d’approvisionnement que son propre système.
Cette autonomie fourragère partielle mais solide s’articule avec la présence d’un petit troupeau de Limousines. Les vaches permettent de valoriser les fourrages grossiers et les tournières, tandis que les brebis exploitent les prairies les plus fines. Le tout compose un ensemble agroécologique cohérent, pensé comme une mosaïque plutôt qu’un modèle unique.
15 ans d’engagement dans les Maec
Une partie de l’exploitation est engagée depuis plus de 15 ans en Maec de haute valeur biologique. D’autres parcelles ont suivi, même si l’ensemble de la ferme ne peut pas être intégré en raison de la nature des sols ou de l’organisation du pâturage.
Ce long engagement témoigne d’une intention profonde : maintenir des prairies riches en espèces, préserver les sols légers des érosions rapides, favoriser les insectes et la faune auxiliaire, offrir aux brebis une herbe diversifiée qui s’exprime au rythme des saisons plutôt qu’à celui des intrants.
La viande : une économie fondée sur la proximité
La laine, une matière en quête de filière







