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Les marchés de l’est,

une réelle opportunité

pour les agroéquipementiers ?

Si les grandes plaines d’Europe de l’est, de Russie, d’Ukraine et du Kazakhstan sont connues pour leur importante production céréalière, cela signifie-t-il que le marché du machinisme

agricole s’y porte bien ? Au sein des sept pays étudiés,

la situation est en réalité très contrastée, oscillant entre

baisse des investissements et concrétisation d’achats,

selon l’état de santé économique de l’agriculture locale.

Temps de lecture : 9 min

Notamment en raison de l’incertitude pesant sur les prix des céréales et oléagineux sur les marchés internationaux, les principaux fabricants de machines agricoles, optimistes tout au long de l’année 2018, se montrent désormais inquiets pour leurs ventes futures. « Tous s’attendent à écouler moins de matériel en 2019, bien que subsistent quelques exceptions au cœur de l’Europe », éclaire Mikhail Mizin, coordinateur UEE (Union économique eurasienne) de l’Association allemande des équipementiers et machinistes agricoles.

Et de préciser : « En France, par exemple, les constructeurs restent résolument optimistes. A contrario, en Europe de l’Est et dans les pays de l’UEE, une grande majorité d’entre eux s’attend à vivre une année morose. Leur chiffre d’affaires devrait s’afficher en baisse ou, au mieux, être stable ». Toutefois, quelques exceptions existent de ce côté-là également et certains marchés devraient vivre une année 2019 positive.

Une situation qui transparaît sur plusieurs marchés emblématiques, connus également pour être de grands bassins de la production céréalière mondiale.

Pologne : détérioration en vue

Mikhail Mizin s’intéresse en premier lieu à la Pologne, un pays dont la situation agricole s’est fortement détériorée durant l’année écoulée en raison de la sécheresse qui toucha de plein fouet l’Europe. Les rendements céréaliers y ont chuté de 16 %, tandis que la production de colza s’écroule de 20 %.

« Bien que les prix aient augmenté sur le marché polonais, cela n’a pas suffi à compenser la baisse des rendements », explique-t-il. C’est pourquoi le gouvernement a débloqué 190 millions d’euros en guise de soutien aux agriculteurs ; montant qui sera réparti selon diverses modalités.

Le marché du machinisme semblait quant à lui très positif, du moins jusqu’à ce que les effets de la sécheresse se fassent ressentir. En effet, le volume des ventes a augmenté en 2017 mais aussi en 2018. « Durant le premier semestre 2018, les importations polonaises de machines agricoles ont même grimpé de près de 40 % », précise-t-il. Avant de nuancer : « Toutefois, les immatriculations de tracteurs sont en baisse et la situation devrait encore se détériorer dans les mois à venir. Les baisses à deux chiffres ne sont pas à exclure à l’heure actuelle ».

Près de 500 millions d’importations bulgares

En Bulgarie, le climat (printemps froid, sécheresse, grêle et enfin précipitations) a aussi entraîné des pertes de rendements, après avoir retardé les récoltes. L’optimisme qui régnait au premier semestre a été quelque peu contré par les reculs de la production de blé et d’orge, estimés respectivement à 7 et 10 %. En revanche, la récolte de maïs pourrait être, une fois les chiffres définitifs obtenus, supérieure aux résultats de 2017.

« Globalement, un léger ralentissement de la dynamique actuelle du marché est attendu mais aucun effondrement significatif ne devrait survenir », ajoute M. Mizin. Le marché des machines agricoles est, contrairement à la situation polonaise, en hausse. Pour preuve, la Bulgarie importe près de 500 millions d’euros de tracteurs et de machines agricoles par an, principalement en provenance d’Allemagne et d’Italie. Un chiffre qui s’explique par une quasi-inexistance de fabrication locale.

Le marché roumain en plein boom

Du côté de la Roumanie, où l’on recense une ferme de l’Union européenne sur trois, le marché est caractérisé par des extrêmes. 90 % des 3,5 millions d’exploitations roumaines cultivent moins de 5 ha tandis que moins de 1 % des fermes s’étendent sur plus de 50 ha. Afin d’accompagner les plus petits agriculteurs, l’État tente de promouvoir les coopératives, notamment par le biais d’avantages fiscaux. Sur le plan des rendements, la récolte roumaine est l’une des rares à être supérieure à la moyenne.

Malgré des fermes de petites tailles, le marché du machinisme agricole affiche un taux de croissance bien supérieur à la moyenne de l’Union européenne (+6 % en 2018, pour s’établir à un peu moins de 700 millions d’euros). « Par ailleurs, le marché roumain a presque doublé depuis 2010. Sa taille est maintenant comparable à celle des marchés scandinaves, belge, tchèque ou encore hongrois », poursuit-il. Cela s’explique par les programmes européens de développement rural qui stimulent la demande en machines agricoles, mais aussi par les programmes nationaux d’irrigation et d’investissements dans les installations de stockage de céréales et aliments pour animaux.

L’agriculture, indéniable atout de l’Ukraine

L’agriculture ukrainienne est très diversifiée. Outre les cultures traditionnelles que sont le blé et le tournesol, le maïs grain, le soja et le colza sont de plus en plus cultivés. De plus, les coûts de production restent très bas en raison du faible salaire des travailleurs agricoles et du moindre coût des engrais de production nationale ou biélorusse. « Cela rend l’agriculture ukrainienne très performante sur le plan international et en fait un exportateur de céréales de poids », insiste Mikhail Mizin.

Toutefois, le printemps trop chaud et trop sec a engendré un sentiment de morosité chez les agriculteurs du sud du pays. Par ailleurs, les grandes exploitations ont réalisé des investissements très importants au cours des années 2016 et 2017 et ont donc couvert leur besoin à court terme. Ce qui n’est pas de bonne augure pour le marché des agroéquipements…

Toujours est-il que celui-ci connaît d’importants changements depuis une dizaine d’années. « Les marques mondiales ont fait de l’Ukraine leur territoire de compétition. Elles détiennent actuellement pas moins de 65 % des parts de marché contre seulement 20 % en 2004. » 2017 a d’ailleurs été une année faste pour les constructeurs : les investissements dans les technologies agricoles modernes ont fortement augmenté, les ventes de tracteurs ont grimpé de plus de 70 % par rapport à 2016 et le marché des moissonneuses-batteuses comptait plus de 1.500 machines soit son plus haut niveau dans l’histoire récente du pays.

Très protégé, le marché biélorusse

En Biélorussie, la situation est bien différente. En effet, le marché des machines agricoles est placé sous la forte influence du gouvernement. Une grande partie de l’équipement est ainsi achetée par l’État via un mécanisme d’appel d’offres favorisant les constructeurs locaux. « Toutefois, une infime partie du marché est libre. Les constructeurs occidentaux tentent de s’y engouffrer par tous les moyens afin de grappiller des parts de marché », ajoute M. Mizin.

De ce fait, les exploitations agricoles disposent d’un parc de machines moderne et performant qui leur confère une haute productivité et un poids important dans l’économie nationale. Au vu de mécanisme d’achat instauré, l’industrie de fabrication des machines agricoles est également un secteur stratégique pour la Biélorussie qui tente donc de le protéger au maximum.

Le Kazakhstan, un marché au potentiel énorme

Au Kazakhstan aussi, l’agriculture constitue un pilier stratégique de l’économie. Elle est d’ailleurs, tout comme la fabrication de machines agricoles, inclue dans la liste des projets prioritaires qui bénéficient du soutien du gouvernement (subventions, privilèges fiscaux, support d’investissement…). De quoi inciter les marques occidentales, mais aussi russes, à s’intéresser fortement à ce marché. « C’est d’ailleurs ce qu’elles font : les fabricants locaux ne détiennent que 1 % des parts du marché des agroéquipements. »

La compétition entre les marques devrait encore s’accroître en 2019. D’une part, le marché est évalué à 4.500 machines vendues annuellement (dont 1.000 moissonneuses-batteuses et 1.400 à 1.500 tracteurs). D’autre part, le niveau de dégradation du parc actuel de machines agricoles approche les 80 % alors que la demande en équipements n’est satisfaite qu’à 55 % environ. « Cela montre à quel point ce marché est prometteur et offre des potentialités impressionnantes. »

Compétition entre marques russes et occidentales

Le marché russe est quant à lui prometteur au vu du nombre d’agriculteurs que compte le pays (6,5 millions sur 143 millions d’habitants) mais aussi très difficile, notamment en raison de la situation économique actuelle (dépréciation du rouble, augmentation de la tva, hausse des droits d’accises sur le carburant…). En outre, la récolte de céréales devrait atteindre, une fois les derniers chiffres compilés, 120 millions de tonnes, contre les 108 initialement attendues. À court ou moyen terme, cela pourrait avoir une influence sur les prix payés aux producteurs. Autre obstacle : la réduction des subventions allouées par l’État, ce qui complique le financement de nouveau matériel agricole.

Le marché russe des agroéquipements est d’ailleurs orienté à la baisse bien que des variations apparaissent selon les segments. Ainsi, les ventes de tracteurs 2018 se maintiennent au niveau de 2017 grâce à une augmentation des importations de tracteurs de moins de 50 ch. En effet, cette hausse a été suffisante pour compenser la réduction des importations de tracteurs de plus de 50 ch et le recul de la production locale de machines, pourtant fortement soutenue par l’État.

Les ventes de moissonneuses-batteuses sont en nette baisse : la chute des ventes de machines produites localement (-23 %) n’a pu être compensée par le bond observé du côté du matériel occidental (+44 %). Les ventes d’ensileuses sont en légère hausse (+5,2 %) tandis que le commerce de presses à balles est stable.

En ce qui concerne les outils traînés, le matériel de travail du sol et de semis subit un déclin significatif. Les ventes d’équipements de phytoprotection sont quant à elles restées au niveau de 2017 malgré des variations internes (épandeurs : +20 %, pulvérisateurs : -10 %).

Quelles perspectives pour les marques occidentales ?

En 2017, le marché russe des machines agricoles était pour 56 % aux mains de marques locales ; les marques occidentales se partageant les 44 % restants. « Toutefois, certaines marques occidentales sont reprises comme étant des marques locales car elles disposent d’une usine d’assemblage en Russie », nuance Mikhail Mizin. Et d’ajouter : « Cette répartition des parts de marchés préserve à la fois les intérêts des marques locales mais aussi des agriculteurs qui ont accès à un large éventail de produits ».

Ce marché devrait retrouver quelques couleurs en 2019, notamment pour les marques mondiales et ce, pour deux raisons. D’une part, l’aide publique à l’agriculture augmentera pour atteindre 300 milliards de roubles (soit 3,84 milliards d’euros selon le taux de change en vigueur le 3 janvier). D’autre part, le gouvernement russe soutiendra les entreprises occidentales installant leur production en Russie.

À noter toutefois que cette annonce contraste fortement avec les pratiques actuellement adoptées par le Gouvernement russe en vue de favoriser les entreprises locales, au détriment des entreprises internationales. Les premières bénéficient en effet de subventions diverses, de taux d’intérêt réduits pour les projets d’investissement… tandis que les secondes n’ont qu’un accès restreint au financement et doivent, bien sûr, se conformer aux règles russes.

Concernant les ventes 2019 en particulier, il existe toujours un besoin de remplacement important pour les tracteurs de moyenne et haute puissance, mais les grandes exploitations ont pour la plupart déjà renouvelé leur flotte et sont susceptibles de réduire leur investissement. La demande pourrait néanmoins émerger des fermes de petite taille ou de taille moyenne.

Le marché des moissonneuses-batteuses devrait repartir à la hausse, pour autant que le rouble reste stable et que le prix des céréales se redresse. Quant au marché des machines de récolte des fourrages, il évoluerait très peu. Enfin, la tendance sera à la hausse pour les outils de travail du sol, semis, protection et entretien des cultures malgré un contexte difficile de concurrence accrue entre les marques locales et occidentales.

J.V.

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