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Poubelle la vie

Temps de lecture : 4 min

C’est pour moi une corvée, et pourtant cette obligation fait partie des tâches ponctuelles qu’il convient d’accomplir dans le respect des consignes. Je veux parler de la collecte des plastiques agricoles, de cette visite bisannuelle au recyparc communal où nous attendent de joyeux drilles commis à la surveillance des opérations de déchargement. Cet endroit, c’est tout un poème, d’où se dégage un vaste panel d’odeurs, un florilège de couleurs et de bruits uniques en leur genre. Avec beaucoup d’imagination, on pourrait aimer ce temple des déchets, où aboutissent les rebuts de nos activités, afin d’être triés et redirigés vers des filières de recyclage. Lesquelles ? En ce qui concerne nos plastiques agricoles, on préférerait l’ignorer…

Ciel gris, air du jour humide et froid, le décor était planté ce jeudi pour m’accompagner en cette promenade particulière. Au recyparc, la file de tracteurs s’allongeait déjà, attelés de bennes remplies à ras bord de plastiques noirs, blancs, verts, à l’aspect peu ragoûtant. Apparemment, pas mal d’agriculteurs avaient eu l’idée géniale « d’y aller en premier pour être vite quitte », dès l’ouverture des grilles à 9 heures 30 du matin. Les employés du parc nous attendaient de pied « ferme », encore endormis, immobiles comme des statues, appuyés sur le manche de leur pelle Quel métier pénible ! Ils doivent être épuisés, le soir venu… Le plus nerveux faisait la circulation, le regard peu amène, dopé à la caféine, déjà excédé par tous ces cultos mal embouchés qui osaient venir troubler la quiétude de leur quotidien. Comme je m’ennuyais à attendre, je suis venu lui demander où allaient finir tous ces plastiques : bâches de silo, ficelles et filets de boules et ballots, films d’enrubannage. Il m’a toisé d’un œil rond, se demandant sans doute à quelle espèce d’étrange insecte j’appartiens, pour me répondre qu’il « n’en avait rien à cirer, du moment que ce n’était pas trop près de chez lui », « loin d’ici, en Chine ou ailleurs, probablement pour être brûlés dans une cimenterie », « et regagnez votre tracteur, vous bloquez la file ! ».

Il m’a fallu attendre une demi-heure, largement le temps d’observer le recyparc, l’agencement de ses containers : un pour les vieux papiers, un autre pour collecter les métaux, un pour les encombrants, les bulles à verres… Un container débordait d’herbe de pelouse et de feuillages. Quel gaspillage ! Toutes ces surfaces bêtement tondues pour faire joli, au lieu d’y installer un potager, ou d’y laisser brouter des moutons ! Autrefois, pas un mètre carré n’était perdu autour des maisons des villages ; même les talus étaient fauchés pour affourager une vache à l’étable, ou des veaux. Aujourd’hui, des milliers d’hectares enherbés sont « nettoyés » au gyrobroyeur le long des routes, autour des échangeurs autoroutiers. Ici, la tonte des pelouses atterrit au recyparc, à grand renfort de GES dégagés par la combustion des carburants.

Ceci dit, qui sommes-nous, agriculteurs, pour critiquer cette dilapidation ? Nous-mêmes, plus que notre part, amenons au recyparc toutes sortes de plastiques, des bidons vides, des pneus, de l’huile de vidange. Nous participons activement, à notre manière, à l’hyper-consommation de biens et à la production des déchets qui en découle. Ne nous voilons pas la face : que deviennent ces plastiques ? S’ils ne terminent pas dans les océans, sans doute sont-ils « incinérés » dans des centrales plus ou moins bien équipées de filtres adéquats, censés capter les résidus les plus toxiques. La Chine n’accepte plus nos plastiques, paraît-il ; ils iraient en Roumanie, ou vers d’autres pays pauvres. Nos bâches et nos ficelles agricoles sont réduites en GES, en d’autres poisons (hydrocarbures et composés organiques volatils), lesquels provoquent des cancers et des maladies pulmonaires… loin de chez nous !

Il faudrait inventer des films plastiques bio-dégradables, élaborés à l’aide de matières premières agricoles. C’est tout à fait réalisable ! Pourquoi toujours utiliser des produits pétroliers ? Notre monde est assis sur un puits de pétrole. Notre vie en dépend à tous les niveaux : les carburants, les lubrifiants, les pneus, les objets et les films en plastique. Et tout cela termine sa vie dans l’atmosphère ou dans les mers, même après avoir transité dans ces vertueux recyparcs ! On est bien loin de cette fameuse « économie circulaire » annoncée à cor et à cri, prônée par d’aucuns qui eux-mêmes n’échappent pas à l’addiction universelle aux produits pétroliers.

En ce qui me concerne, en tout cas, comme chaque année, je vais essayer de faner en sec au maximum, pour éviter d’accumuler tous ces plastiques qu’il me faudra conduire au recyparc (quelle corvée !), et qui iront empoisonner des braves gens, loin de chez nous. Dans un siècle ou deux, si l’humanité existe encore, un feuilleton télévisé racontera peut-être l’aventure des gens d’aujourd’hui : il s’intitulera ’» Poubelle la vie »…

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