Accueil Archive

L’esprit saint (sain ?) est multiculturel

Temps de lecture : 5 min

Tout le monde connaît le week-end de Pentecôte grâce au lundi férié qui le met en valeur. Mais qui se souvient de sa signification ?… moi, parce que je fus « enfant de cœur ». En ce temps-là, on m’expliqua comment « l’Esprit Saint » était descendu sur terre sous forme de langues de feu. Il donna aux apôtres la mission d’évangéliser le monde. En fait, il s’agissait d’apporter la Bonne Nouvelle : la nouvelle religion serait définitivement la bonne. Le monde serait divisé en deux : les croyants d’un côté, les païens de l’autre.

Deux mille ans plus tard, la bonne nouvelle, c’est un jour de congé en plus pour les salariés, pas nécessairement pour les agriculteurs, sauf s’ils sont invités à une Communion.

Cette année, cela coïncidait avec la fête des pères. À défaut d’être un père de l’église, mes (grands-) enfants m’ont offert une bande dessinée et ma femme une sortie au cinéma.

Nous sommes allés voir « Le jeune Ahmed » des frères Dardenne. Je me suis dit : « Avec un nom comme Dardenne, c’est sûrement un produit du terroir », quoiqu’Ahmed respire davantage le bassin méditerranéen. Qui sait, avec le réchauffement climatique, on cultive peut-être des mandarines au sud du Sillon Sambre-et-Meuse ?

Le sujet m’interpellait pour deux bonnes raisons. D’une part, Le Sillon venait de faire deux pages sur la « Ferme de la Croix de Mer » à Borlez qui avait servi de décor au film au film primé à Cannes. D’autre part, j’ai fait jadis deux ans de coopération agricole en Algérie, à l’époque de Boumediene.

J’ai bien aimé ce film. Il raconte l’histoire d’un jeune de chez nous, radicalisé par l’iman du coin. On se dit : « Quelle mouche l’a piqué pour se laisser entraîner dans un tel intégrisme ? » Les langues de feu, OK, pourquoi pas, c’était il y a 2.000 ans, mais le djihadisme aujourd’hui, incompréhensible. Et puis, ce monde divisé en deux : les croyants d’un côté, les mécréants de l’autre, cela me gêne un peu.

Au retour, j’ai lu la BD : « Les Seigneurs de la terre – tome 1 ». La radio en a fait la réclame. Impeccable au niveau de la forme mais le contenu est d’un simplisme qui laisse pantois. Il s’agit du combat mené par un fils d’agriculteurs devenu bobo contre la génération qui l’a précédé. Le bio contre le conventionnel. L’amour de la terre contre ceux qui l’exploitent. L’agriculture vue des villes contre l’agriculture vécue dans les champs. Tout le monde il est gentil d’un côté, tout le monde il est mauvais de l’autre (productivisme, affairisme, pollution, corruption, débauche, etc.)

J’ignore ce que seront les autres tomes, mais dans le genre « tolérance et ouverture d’esprit », ce ne sera pas de la tarte. À chacun son djihad. Jusqu’à présent, les « écolorabiques » n’ont quand même jamais tué personne.

Les voies du Seigneur sont impénétrables. Quelques heures plus tard arrive dans ma boîte mail un lien pour découvrir une autre « Révélation ». Comme la droite peut être dépassée sur sa droite, la gauche sur sa gauche, le Bio le serait aussi par « plus naturel » que lui.

Aux États-Unis, des penseurs (philosophes ?) condamnent désormais l’agriculture dans son ensemble, Bio compris. « L’agriculture est la pire erreur de l’humanité » selon Jared Diamond et autres Clive Dennis ou Robert Sapolsky qui résume : « L’agriculture est une invention humaine assez récente, et à bien des égards, ce fut l’une des idées les plus stupides de tous les temps. Les chasseurs-cueilleurs pouvaient subsister grâce à des milliers d’aliments sauvages. L’agriculture a changé tout cela, créant une dépendance accablante à quelques dizaines d’aliments domestiqués, nous rendant vulnérable aux famines, aux invasions de sauterelles et aux épidémies de mildiou. L’agriculture a permis l’accumulation de ressources produites en surabondance et, inévitablement, l’accumulation inéquitable ; ainsi la société fut stratifiée et divisée en classes, et la pauvreté finalement inventée. »

On peut qualifier de « fourrageurs » les adeptes de ce courant de pensée. C’est ainsi que Y. N. Harari décrit les chasseurs-cueilleurs dans le best-seller du moment : « SAPIENS, une brève histoire de l’humanité ». L’agriculture est jeune, elle n’a que 10.000 ans. Les « chasseurs-cueilleurs » existaient il y a 100.000 ans.

Selon eux, ce n’est pas l’homme qui a domestiqué le blé mais le blé qui a rendu l’homme « domestiqué ». Les « fourrageurs » ont leur égérie : Lierre Keith, qui a déterré la hache de guerre contre les agriculteurs. L’agriculture tue la vie du sol depuis qu’elle existe. Elle est responsable de tous nos maux, depuis l’esclavage jusqu’au réchauffement climatique (sic !). J’ignore si ces gens font leur marché avec des arcs et des flèches, mais derrière le micro et sur internet, leurs langues crachent le feu contre l’agriculture. J’admets cependant que notre goût actuel pour le jogging et le tourisme (même de masse), est sans doute lié aux gènes transmis par nos ancêtres préhistoriques « chasseurs-cueilleurs ».

Relativisons quand même les extrémismes puisqu’au siècle des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, écrivait déjà : « Ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain ».

À chacun sa foi, sa croix, son inquisition et ses hérétiques à combattre.

JMP

La Une

Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs