Le lundi au soleil, on est venu à la Foire pour s’amuser, pour rencontrer des amis, pour goûter à mille gourmandises et boire un bon verre (d’eau par exemple) à gauche et à droite. On est venu pour observer, pour lire le présent de notre métier et deviner entre les lignes quel sera notre avenir. À Libramont, l’agriculture ne s’expose pas toute nue : un peu de pudeur, voyons ! Tout est neuf et habillé de propre : les tracteurs, les machines, les équipements. Les animaux ont été shampouinés, bichonnés, coiffés de frais ; leurs litières sont impeccables et sentent bon la paille ou les copeaux de bois. C’est à croire qu’ils se retiennent de satisfaire leurs besoins, afin de ne pas incommoder les visiteurs ! La Foire diffuse à grande échelle une image d’Épinal de notre profession, idyllique et lisse, sympathique et rassurante. À Libramont, tout va très bien Madame la Marquise. Les promeneurs ont tout loisir de s’ébahir, de toucher des yeux et des doigts les meilleurs côtés d’un métier, tout compte fait pensent-ils, extrêmement agréable et passionnant. Les vapeurs euphorisantes des bières d’Ardenne Joyeuse renforcent ce sentiment d’être en visite au paradis des cultivateurs et des éleveurs.
Celui qui prend la peine de regarder et d’analyser, de lire entre les lignes les messages diffusés par la Foire, se rend vite compte que tout est trop beau, trop gentil, trop grand, trop parfait, trop cher. L’agriculture en habits de fête de Libramont n’est pas la vraie agriculture ; elle est beaucoup moins ’’glamour’’ lorsqu’elle enfile sa salopette et chausse ses bottes pour patauger dans son quotidien. Mais en ce lundi au soleil, tout le monde y croit ou fait semblant. Hauts les cœurs ! Les exposants ont le sourire un peu las et forcé d’un dernier jour de foire, mais leurs traits tirés s’éclairent encore d’un sourire quand vous entamez une discussion avec eux. Les associations et officines qui tournent autour de l’agriculture sont chaque année plus nombreuses. Tant de sollicitudes à notre encontre devraient nous émouvoir, et nous encourager. Nous ne marcherons plus jamais seuls !
Ainsi, au stand du «Juste Prix au Producteur», j’ai pu converser avec une personne absolument rafraîchissante et lucide. Elle m’a parlé de tous ces mots en ’’ation’ qui ont transformé progressivement notre métier en moins d’un siècle : chimisation (engrais et produits phyto), mécanisation et motorisation, modernisation, optimisation, rentabilisation, rationalisation, tertiairisation, financiarisation, informatisation, digitalisation, etc., etc., et j’ai gardé pour la bonne bouche : folklorisation et victimisation. La Foire pourrait organiser un jeu-concours pour replacer tous ces mots dans l’infinie kyrielle de stands, chez les banques, les petits commerces, les exposants de matériel, les associations (encore un mot en «ation») para-agricoles…
Le lundi au soleil, on est si bien dans l’odeur des foins ; on est si bien à goûter le houblon et le raisin. Tout simplement ne rien faire, le lundi au soleil !