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« Je veux porter

la voix du terrain

et du bon sens

dans l’hémicycle »

Patron d’une entreprise d’insémination artificielle, secrétaire général de la fédération du commerce de bétail et de viande, Benoît Cassart est avant tout éleveur de Blanc Bleu-Belge à Porcheresse. Élu en tant que représentant du MR à l’issue du scrutin européen de juin dernier, Il est désormais eurodéputé au sein du groupe centriste et libéral Renew et compte bien jouer le rôle de trait d’union entre les acteurs du monde agricole et l’hémicycle européen.

Temps de lecture : 7 min

C’est ce qu’il nous a expliqué lors d’une rencontre dans le cadre de la Foire de Libramont. Au cœur de l’allée de l’élevage, comme il se doit.

 

Benoît Cassart, tout le monde vous imaginait comme membre effectif de la commission de l’Agriculture (Comagri), vous y siégez « seulement » en tant que suppléant. Que s’est-il passé ?

Le groupe Renew, dont Valérie Hayer qui siège à la Comagri est devenue présidente, a perdu des plumes aux élections. Il est passé de 7 à 4 membres au sein de commission de l’Agriculture qui compte déjà deux agriculteurs, un danois, un irlandais, et une agricultrice allemande. Comme j’étais nouveau, ils ont privilégié ceux qui avaient déjà une expérience à ce niveau. Mais il faut savoir qu’en cas d’absence de Valérie Hayer qui sera forcément accaparée par ses nouvelles fonctions, je pourrai récupérer son droit de vote. De toute façon, quel que soit le titre officiel, la tâche de suppléant et d’effectif peut être la même si tant est que l’on s’investisse dans la commission. C’était d’ailleurs le sens du message que Marc Tarabella m’avait fait passer, lui qui avait effectué un excellent travail au niveau agricole en tant que suppléant.

Vous vous êtes par ailleurs tourné vers deux autres commissions, dont celle du commerce international, pourquoi ce choix ?

Pour construire une politique agricole commune cohérente, le premier paramètre dont il faut tenir compte concerne les accords internationaux. On parle beaucoup de prix justes pour les agriculteurs, mais si l’on évolue dans un marché sans aucune limite de frontières doublé d’accords commerciaux sauvages, on ne maîtrisera plus rien au niveau du prix. Il faut arrêter de dire des bêtises aux gens. Pour moi, il est nécessaire de faire des choix stratégiques à la fois au niveau agricole et commercial.

Dans cette optique, comment envisagez-vous l’avenir ?

Sachant que les agriculteurs ne gagnent plus leur vie, nous allons nous retrouver devant deux options en 2027. Soit on revient à un système plus protectionniste comme celui que nous avons connu avant 1992, tout en évitant les dérives et en imaginant des mécanismes d’intervention sur les marchés pour pouvoir gérer de manière indirecte un prix. Soit on fait le choix de maximiser la libéralisation du commerce international. Dans ce cas, la seule solution pour soutenir le revenu des agriculteurs sera d’augmenter le budget de la Pac et les aides directes. Mais faire croire aux gens que l’on peut à la fois garantir un prix juste et libéraliser le marché, c’est tout à fait paradoxal et il faut mettre fin à cette hypocrisie-là.

En juin, la commission a officiellement entamé les négociations d’adhésion de l’Ukraine à l’Union. Quel est votre regard d’agriculteur par rapport à cette perspective ?

Mon parti est très favorable à l’adhésion de l’Ukraine et il faut clairement soutenir le peuple ukrainien. Mais l’arrivée de ce pays constitue un véritable problème, dans le sens où elle va bousculer le secteur agricole des 27 États membres. Du coup, l’on parle un peu moins de l’accord avec les pays du Mercosur alors qu’il constitue également une grande menace pour l’agriculture et une catastrophe pour notre Blanc-Bleu. On nous dit que si l’on importe 100.000 tonnes de plus, ce n’est pas grave. Mais ce n’est pas vrai, car ce sont des steaks, des entrecôtes, des contrefilets, soit des morceaux nobles.

Vous avez aussi rejoint la commission des transports où il est notamment question de la révision du règlement de 2005 sur le transport des animaux vivants dans le cadre du bien-être animal. Quel va être le sens de votre implication et action ?

Je vais tirer des sonnettes d’alarme. Je voudrais clamer haut et fort que ce règlement est le plus perfectionné au monde et qu’il n’est pas utile de le réformer. Il n’a aucun équivalent sur les autres continents. Ce qui me rend malade depuis que je travaille à la fédération du commerce de bétail, c’est le fait d’être attaqué par des ONG qui font pression sur les décideurs européens en faisant circuler des images d’incidents impliquant des animaux. Cela provoque des erreurs de lecture dans l’analyse d’une situation donnée.

Vous vous référez aux bovins immobilisés pendant 11 jours dans un camion à la frontière bulgaro-turque en 2018 ?

En effet. Le camion qui transportait ces animaux a malheureusement été bloqué dans une file par des fonctionnaires pour des questions purement administratives. Les bêtes y sont restées coincées sous une chaleur caniculaire et c’est bien évidemment une situation que l’on regrette et que je condamne.Mais il faut savoir que le règlement européen n’est pas en cause dans ce cas précis. Il n’a tout simplement pas été appliqué puisqu’il prévoit des limites au niveau des températures, des durées maximales de transport, des pauses et un accès à l’eau. Il s’agit d’un cas isolé qui a été monté en épingle par des ONG, où l’on retrouve parfois des gens malhonnêtes, dans le but de durcir le règlement sur le bien-être animal.C’est comme si l’on filmait un chauffard en excès de vitesse qui faucherait un enfant dans les rues de Bruxelles et que l’on incriminerait ensuite le code de la route. Le problème ne vient ni de ce dernier, ni du règlement sur le bien-être animal dans le cas des bovins. Plus d’un million d’animaux sont transportés chaque jour en Europe. S’ils arrivaient à destination en mauvaise condition, que ce soit chez des éleveurs laitiers marocains, dans des abattoirs libanais, chez des engraisseurs italiens, personne ne les achèterait.Les bêtes dont on ne respecte pas le bien-être sont moins performantes en termes de production de lait ou de viande de qualité.

Quels sont les autres points du règlement sur lesquels vous souhaitez travailler ?

Si l’on appliquait le texte tel qu’il est sur la table aujourd’hui, on devrait par exemple diminuer la densité des animaux dans les camions pour leur offrir davantage d’espace. Mais il faut savoir que l’on court à la catastrophe avec des bêtes qui ne seraient pas assez serrées puisque ballottées de gauche à droite et de l’avant vers l’arrière, aggravant ainsi un risque de fractures au niveau des pattes. Je demande clairement que l’on fasse confiance aux professionnels qui ont tout intérêt à faire correctement leur travail.Économiquement c’est aussi une catastrophe puisque diminuer de 30 % la densité des animaux dans les camions reviendrait à augmenter de 30 % le coût du transport, sans compter qu’il faudra accroître le nombre de véhicules sur les routes, ce qui, écologiquement, est un non-sens.Il est par ailleurs aussi question, c’est du moins dans les cartons, de l’obligation d’avoir un espace supplémentaire de 20 cm au-dessus des têtes des bêtes. Sauf que les vaches laitières sont plus grandes. Il faut quand même rappeler que les camions sont aujourd’hui conçus pour travailler sur deux étages. Cela deviendrait impossible si l’on augmentait leur hauteur en raison de celle des ponts des routes et d’autoroutes.Ces inquiétudes très concrètes me reviennent en direct des opérateurs professionnels qui sont tous les jours sur les routes, mais elles échappent complètement aux décideurs européens.

Comment allez-vous agir, vous qui êtes désormais au cœur du processus européen ?

Je me considère comme un citoyen-agriculteur, j’ai de l’expérience en matière de commerce de bétail et je veux porter la voix du terrain et du bon sens dans l’hémicycle, m’appuyer sur des exemples concrets, réalistes, qui doivent être à la base des réglementations tandis que l’émotionnel tend à prendre le pas sur le rationnel. Je veux prendre le contre-pied des discours dogmatiques que certains lobbyistes anti-viande et anti-élevage véhiculent au sein de la commission et du parlement.

Marie-France Vienne

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