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Micro-méthanisation agricole: plus d’autonomie énergétique avec un projet qui s’adapte à l’exploitation en place

L’exploitation laitière de François-Hubert et Stéphane Van Eyck, à Corroy-le-Château, accueille depuis peu une unité de micro-méthanisation, une manière intéressante d’optimaliser la gestion des effluents d’élevage tout en produisant sa propre énergie. Ils nous présentent le concept, en compagnie de Sigrid Farvacque, manager chez Biolectric.

Temps de lecture : 10 min

L ’installation de méthanisation agricole de la famille Van Eyck a été initiée en collaboration avec la société Biolectric, active dans la méthanisation agricole depuis une dizaine d’années. « L’histoire de Biolectric est celle d’une start-up démarrée dans un garage avec pour concept original celui de convertir le fumier de vache en énergie verte et en chaleur. Après plusieurs années de tests, les premières installations ont vu le jour. Au début, tout a été très vite et la technologie a dû être corrigée et affinée en collaboration avec les éleveurs mais, aujourd’hui, le concept est au point. Nous avons d’ailleurs un partenariat avec Friesland Campina aux Pays-Bas et de solides investisseurs, dont la holding d’investissement Ackermans & van Haaren. »

« Notre rayonnement est désormais international, avec plus de 300 installations en Europe, dont 80 en Belgique, mais également des unités aux États-Unis et au Japon », explique Sigrid Farvacque concernant l’évolution de la société.

Démarche écoresponsable et indépendance énergétique

Du côté de la famille Van Eyck, l’intérêt pour le concept existait depuis un temps déjà : « Ça faisait un moment qu’on pensait à mettre quelque chose en place car nous sommes bien conscients qu’il y a un minimum à faire par rapport à la gestion de nos élevages et effluents. On souhaitait aussi acquérir plus d’indépendance énergétique. La micro-méthanisation nous apparaissait comme la plus appropriée à notre exploitation. Ce dont on avait besoin était disponible en continu sur la ferme, contrairement à l’éolien ou le solaire. Maintenant, le top serait d’être totalement indépendant du réseau pour éviter les mauvaises surprise en cas de coupure, notamment pour le robot, mais ce n’est pas encore possible », explique François-Hubert Van Eyck.

Pour Sigrid Farvacque la démarche est positive à plus d’un titre : « L’agriculteur s’engage pour la communauté. Il vient soutenir le réseau en énergie renouvelable. Il participe à l’indépendance de la Wallonie à ce niveau. Elle est aussi proactive et écoresponsable car, en traitant ses effluents, on va capter le méthane et limiter les émissions atmosphériques. De même, le digestat, résultant de la méthanisation et épandu au champ, n’a pas d’odeur ce qui limite les impacts négatifs pour la population. Enfin, l’azote présent dans le digestat est plus rapidement assimilable par les plantes. Ça représente une économie d’engrais et limite la lixiviation. On crée un système en autarcie. On limite le transport et les intrants extérieurs pour alimenter la méthanisation ou fertiliser les cultures ».

« Le but n’est pas de produire un maximum d’électricité mais d’avoir un outil en corrélation avec la ferme pour être indépendant au niveau énergétique ».

Du digestat pour être plus efficace

« Le digestat est en effet l’un des éléments qui nous a séduits car nous avons 3 à 4 millions de litres de lisiers à épandre et nous nous situons près d’un village. Même si nous n’avions pas de remarques, nous percevions que l’odeur et le transport durant 20 à 30 jours pouvaient devenir un problème ».

Surfant sur ces atouts, la famille a poussé plus loin son raisonnement dans la gestion de cette matière. « Nous avons repensé tout notre système d’épandage. En effet, nous possédons déjà un réseau d’irrigation et l’avons étendu et modifié afin de pouvoir y injecter du digestat. La chaîne de carbone ayant été cassée lors de la méthanisation, la matière est plus visqueuse et liquide et c’est plus facile à épandre. Nous n’interviendrons désormais au champ qu’avec un tracteur et une rampe de 12 m raccordée aux bornes d’irrigation via un tuyau. Fini les tonneaux, il y aura moins de transport et moins de compactions. Le travail sera fait plus rapidement, en un seul passage, avec une moyenne de 200m³ à l’heure. Nous avons également décidé de construire une seconde cuve de stockage afin de tenir 9 mois et pouvoir intervenir au moment opportun au printemps. En été, cette seconde citerne servira sans doute de réserve d’eau », détaille François-Hubert Van Eyck.

La station est calibrée en fonction du nombre de m³ de lisier produit par an.
La station est calibrée en fonction du nombre de m³ de lisier produit par an. - D.J.

Tout commence à l’étable

Le concept de base de la micro-méthanisation est donc de récolter les lisiers à l’étable et les convertir en électricité et chaleur.

À Corroy, l’étable accueillent environ 120 laitières traitent par deux robots. Celles-ci évoluent sur caillebotis et le lisier produit est aspiré par un aspirateur et déposé dans une préfosse. La pompe positionnée en bout de course envoie régulièrement du lisier vers le méthaniseur : « En effet, plus le lisier est frais, moins il y a de perte de méthane dans l’air et plus son pouvoir méthanogène est important ». Dans ce sens, quelques adaptations ont été réalisées dans l’étable afin de réduire la préfosse et permettre un flux plus régulier du lisier vers la station.

Station standardisée calibrée sur l’exploitation

Les stations Biolectric sont très standardisées. « Nous proposons des installations de 11kW (50 vaches) à 75kW (400 vaches) mais le look extérieur reste toujours le même. Le local technique est identique à toutes les installations mais est rempli différem ment suivant leur dimensionnement. Le digesteur varie quant à lui en termes de taille. Dans le cas de l’exploitation Van Eyck, nous sommes sur une station de 22kW ».

Contrairement à l’éolien ou le solaire, en micro-méthanisation, on table sur un fonctionnement toute l’année (8.760 heures) : « Mais la machine fonctionne plutôt 11 mois avec une moyenne établie à 8.300 heures quelle que soit la capacité car il y a les opérations de maintenance etc. Dans le cas présent, une moyenne à 8.000 heures permettrait de générer 176.000 kW (8.000 * 22kW) et l’exploitation a besoin de 80 à 90.000 kW sur l’année. Le surplus est réinjecté sur le réseau en échange d’une petite compensation ».

La station arrive montée chez le client. « On s’insère un maximum sur l’existant. Ici, l’ancienne fosse de stockage du lisier a été convertie en stockage final du digestat. Quand nous sommes arrivés, la dalle de béton était posée et les tranchées ouvertes. Nous avions à disposition l’eau, l’électricité et internet et nous nous sommes occupés du transfert du lisier et de l’installation de la machine. Le local technique a été posé prêt à l’emploi avec la première plaque du digesteur. Le tout a été installé en trois jours vu que l’essentiel avait déjà été préparé en usine ».

Le traitement du lisier dans le digesteur

Le local technique comprend plusieurs réseaux. Un premier réseau alimente le digesteur en lisier frais. Le sol et les murs de ce dernier sont faits de plaques d’inox parées de 6cm d’isolant. Une bâche à lisier crée l’étanchéité et un mat central maintient la pointe du dôme en place. Un capteur de biogaz est placé dans la hauteur du dôme. Un filet pend au-dessus du digestat afin de capter le souffre, néfaste au moteur, présent dans le lisier. « Le filet sert de filtre. Comme nous sommes en anaérobie et qu’on crache un peu d’air au niveau du filet, le souffre va passer de l’état gazeux à solide et s’y accrocher sous forme de petits boudins jaunâtres. Sous son propre poids, il retombe ensuite dans le digestat et est évacué vers le stockage final où il retrouve sa forme initiale. Les agriculteurs le récupèrent pour leurs épandages et nous, on protège nos moteurs ».

Un mixeur permet d’homogénéiser la matière : « On insère chaque jour du lisier frais en plusieurs régimes avec, en parallèle, une sortie identique vers le stockage final pour conserver un même niveau dans le digesteur. Les entrées ne sont pas encore ensemencées par la bactérie qui permet la production du biogaz, il est donc nécessaire de bien mélanger et homogénéiser l’ensemble à l’aide du mixeur ». Le digesteur est maintenu à 42ºC, température nécessaire au developpement de la bactérie, grâce à un système de chauffage alimenté par la chaleur cogénérée par le moteur. Un batteur anti-mousse évite également que le filet ne traîne dans le liquide et ne fasse plus son travail.

La station de la famille Van Eyck traite le lisier de 120 vaches et produit 22kWh.
La station de la famille Van Eyck traite le lisier de 120 vaches et produit 22kWh. - D.J.

Du biogaz à l’électricité… mais aussi la chaleur

Un second réseau permet d’achalander le biogaz produit dans le digesteur vers le local technique. Là, il passe d’abord dans un refroidisseur. « Le biogaz prend pas mal de place et est difficilement compressible. Plus on le refroidit, plus il est facile de le comprimer et, en plus, on va l’assécher et éviter les problèmes de condensation. Il est ensuite dirigé vers le moteur et passe par un filtre à charbon actif afin d’éliminer les dernières traces de soufre ». Les moteurs utilisés sont des moteurs Kubota 4 cylindres transformés en moteurs à biogaz. Le moteur fait tourner la génératrice et produit de l’électricité mais aussi de la chaleur. C’est pour cela que l’on parle de cogénération. « On produit autant d’électricité que de chaleur. La chaleur est récupérée via un réseau d’eau. 30 % de celles-ci permettent le maintien du digesteur à la bonne température, le reste alimente deux maisons, la ferme, les robots et maintient l’eau des abreuvoirs à 17ºC en hiver. Certains agriculteurs ont même des projets de serres chauffées, chauffent l’école du village ou encore leur hangar à pommes de terre ».

Enfin, le local contient aussi une cabine électrique dont l’éleveur peut suivre les paramètres à distance, via une application. « On peut prendre le contrôle de la machine de loin ce qui signifie qu’un technicien peut faire du monitoring en ligne en continu et que le client peut suivre sa production de près et visualiser ses prochaines obligations… ».

Une prise en charge minimale

L’entretien de la station demande un peu d’implication mais le travail est restreint : « Quand on arrivait en ferme, les gens marquaient toujours leur intérêt mais nous disaient qu’ils n’avaient pas le temps. Nous avons donc travaillé sur un maximum d’automatisation. En moyenne, il faut compter 20 minutes de travail par jour. Dans les faits, c’est plutôt 5 à 10 min pour le contrôle journalier et une grosse heure lors des entretiens. Il est vraiment important de passer chaque jour à la station pour être dans le préventif. On vérifie le niveau d’huile, on écoute, on voit, on sent et, si quelque chose cloche, on peut intervenir rapidement. Toutes les 800 heures, c’est-à-dire 1 mois et une semaine, on doit faire la vidange moteur, changer les huiles, les filtres, les charbons… Ce sont des actions assez basiques et tout à fait à la portée des agriculteurs », explique encore Sigrid Farvacque.

«Biolectric est active dans une dizaine de pays européens avec un focus sur le Benelux, la France, la Pologne et l’Italie. Depuis peu, l’Allemagne est également en plein boom car l’élevage a repris sa place par rapport à la grosse méthanisation», explique Sigrid Farvacque.
«Biolectric est active dans une dizaine de pays européens avec un focus sur le Benelux, la France, la Pologne et l’Italie. Depuis peu, l’Allemagne est également en plein boom car l’élevage a repris sa place par rapport à la grosse méthanisation», explique Sigrid Farvacque. - D.J.

Achat et suivi tout compris

L’achat d’une station de micro-méthanisation chez Biolectric comprend tout d’abord une partie administrative : « Il y a d’abord l’étude de réseau réalisée par Ores qui permet d’évaluer ce qui peut être réinjecté sur le réseau et quel type de station est approprié. La prise en charge du permis de construire et des demandes pour les certificats verts ou les aides UDE (aides régionales pour l’utilisation des énergies renouvelables en entreprise) en font également partie. Une étude de faisabilité avec, notamment une analyse du pouvoir méthanogène du lisier de la ferme, permet aussi de dimensionner correctement la station ». Après installation, l’entreprise assure encore un an de garantie et effectue toutes les visites préventives et curatives nécessaires au bon fonctionnement de la machine. « Ensuite, nous travaillions avec un contrat de maintenance tout compris qui inclut des visites préventives tous les trimestres et les actions curatives éventuelles, les déplacements, la livraison des consommables, le monitoring en ligne et l’assistance technique. Si une pièce est défectueuse, elle est remplacée, qu’il s’agisse d’un boulon ou du moteur, il n’y a pas de surprise ».

Pour la famille Van Eyck, l’expérience est pour l’instant concluante : « Ça répond à nos attentes et donne lieu à d’autres projets. Néanmoins, et même si tout cela est devenu plus intéressant depuis la signature du contrat vu le contexte, il faut quand même préciser que ce type de projet est une manière de diversifier les revenus pour les éleveurs laitiers et que les aides et certificats restent nécessaires à leur rentabilité ».

D. Jaunard

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